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"Sur la grande jetée, y'avait les bateliers" - Vis ma ville - La revue du témoignage urbain

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"Sur la grande jetée, y’avait les bateliers"

L’Estaque en super-huit

Natif et résident de l’Estaque, Laurent Damonte, né en 1926, est un ancien de la marine marchande. Il visionne ici, pour la première fois, un film tourné par son beau-père. Son témoignage en regard des images est l’un de ceux qui ont donné le jour à "Chronique urbaine", réalisé par Claude Bossion, fruit d’un tête à tête entre les habitants du secteur Nord-Littoral et leurs propres mémoires. Tourne la pellicule, voguent les souvenirs…


Le golfe de Marseille. Vue de l'Estaque. Cézanne
 Le golfe de Marseille. Vue de l’Estaque. Cézanne

Ah ! ben ça, c’est mon tout petit neveu Gérard qu’on amène à l’école, dans la rue Magali… Oh là là ! Pensez, il a quand même quarante ans, ce petit ! Voilà, ça c’est la fin, voilà ma belle-mère qui récupère un énergumène. Assez formidable de voir ça, parce qu’elle est morte en fin d’année. Voilà, là y’a Gérard et… maintenant lui, je me rappelle même plus comme y s’appelle, euh… c’est aussi un neveu, quoi.

Là je suis en train de me construire un bateau. Oh ! Regardez, là, il est beaucoup plus avancé, là ! Ah ! Ça c’est joli ! Ça, ça me fait plaisir par contre ! … Ça c’est un ami, on est en train de peindre le bateau. C’est un gros bateau, hein, un voilier de huit mètres cinquante, c’était pas une rigolade !

Mon grand-père avait fait bâtir cette maison aux approches de 1900 et c’était le Super Estaque. Toutes les maisons qui sont recouvertes de tuiles romaines, c’est le vieil Estaque, mais dès qu’y z’avaient un peu d’argent, les pêcheurs y faisaient construire leur maison un peu sur la hauteur parce que comme ça, on pouvait avoir une fosse septique, parce qu’en bas y’en avait pas et tous les matins, y’avait le torpilleur qui passait pour ramasser les tinettes, alors c’était pas drôle.

Et voilà, c’est là sur la terrasse qu’on a construit le bateau. Le barbecue qui est là n’existait pas, le bateau, il arrivait à la hauteur de ce cabanon et pour écrire son nom, il a fallu que je m’assoie sur la rambarde. Alors évidemment on l’a construit à l’envers, il était assez bas. De la route y se voyait pas. Les voisins savaient que je faisais un bateau, mais les autres qui passaient… Et puis un jour, avec des crics, on l’a monté pour le boulonner sur sa quille, ça fait que les gens tout d’un coup y z’ont vu un bateau. Alors y’a eu des questions idiotes, voyez : « Pourquoi tu te construis un bateau ? » Alors je leur ai dit : « Parce que je savais plus où pendre mon ciré », ou des trucs comme ça. « Mais pour le mettre à la mer ? » Je dis : « Je le redémonte, puis on le porte par morceau au bord de mer, puis on le remonte au bord de mer. » Enfin, ç’a été la grosse rigolade mais ça a fait parler et ça a duré trente mois. Ma femme était ravie parce que comme ça, j’étais toujours à la maison (rires), voilà…

Voilà, le bateau au mouillage aussi… C’est Niolon, la calanque de Niolon… Ah non ! non, nous sommes aux îles, nous sommes au Frioul.

Quand vous venez de Marseille - je dis toujours Marseille, parce qu’ici c’est pas Marseille, d’après moi - mettons, quand vous venez de la ville, vous arrivez à Mourrepiane, où y’a ce grand hangar de conditionnement des légumes, des fruits secs, là, eh bien c’était un très joli endroit. Quand je venais du lycée, on arrivait là au Cap Janet, la pointe de Mourrepiane se mirait dans l’eau, c’est pas croyable…

Là, on voit le chemin de la Nerthe… Là c’est l’oncle… les enfants… Mon père, à l’âge de quatorze ans il travaillait à Saint-André. Quand y’a eu la déclaration de guerre, il a été mobilisé mais après, il s’est marié là-bas, il est revenu en France en 22.

Voici le château Bovis, c’est là où je suis né. Ma mère… ma petite nièce. À l’époque, derrière la gare des trains, il y avait une grande scierie et mon père y travaillait là comme outilleur dans les madriers. Enfin, y faisaient tout là-dedans, parce qu’y faisaient beaucoup de genre de petits cadres pour les tuileries, pour mettre les tuiles dessus à sécher. Oh ! il en fallait, il en fallait des milliers, des milliers. Ça arrêtait pas d’en faire tous les jours, tous les jours…

Et mon frère qui m’a tué un serpent. Maintenant il est mort, hein, mais il a pas peur, il les attrape, il les met autour du cou…

Alors là, c’est à la plage de l’Estaque, ça existe plus… Et dans la bouée, c’est ma nièce. A la fontaine des tuiles, y’avait une plage - on appelait ça les Sablettes - une petite plage mais alors, du sable fin ! C’était joli ! C’est là que j’ai appris à nager, et en 42 les Allemands y z’ont agrandi la route, alors ça fait qu’y z’ont lancé des gros blocs et la plage a totalement disparu. J’ai appris à nager au milieu du parking, moi ! Voilà, maintenant, là, c’est là qu’y z’ont fait les formes, la grande forme qu’y’a maintenant là, de construction de bateaux. C’est juste là. Voyez les bateaux qu’y’avait au mouillage…

Putain d’embrouille, y’avait toute la famille qui habitait ici… Ceux que vous avez vus danser, c’était l’oncle, et à côté ma belle-sœur, y’avait tous ses enfants. Y’avait une voisine aussi qui habitait juste à côté. Après y sont partis, y z’habitent Ensuès, y z’ont fait construire là-bas. Et en bas y’avait mon beau-père, et y’avait une trentaine de vaches. Chacun avait ses jours pour tendre le linge, aussi. C’était obligé, si tout le monde lavait ensemble, comment on faisait !

Après on jetait beaucoup des oranges parce que à l’époque, quand le bateau il arrivait, il était pas d’accord avec la douane, il sortait au large et il jetait toutes les caisses à l’eau. La mer, elle était orange, parce qu’elles flottaient. Quand on se baignait, on était entouré d’oranges. Alors on choisissait les plus belles et on mangeait. Et les bananes c’était pareil, mais les bananes, elles allaient au fond…

Ça c’est l’usine au château Bovis, elle a disparu maintenant. C’était une très belle usine… une tuilerie… La gare de l’Estaque… On voit les cheminées des anciennes tuileries en bas du boulevard Fenouil.

Sur la grande jetée, y’avait les passeurs, les bateliers qu’on appelait. Alors là, vous preniez le bateau, lui y notait à telle heure où vous vouliez partir, vous payiez un temps, y vous menait sur les blocs et vous passiez la journée, ou deux ou trois heures, il vous reprenait à telle heure et vous reveniez. Vous avez des gens comme ça qui allaient sur les blocs parce que y pêchaient. Après on pouvait se baigner de l’autre côté aussi, la pleine mer.

Tè ! Là, on voit une vue générale de la tuyauterie chaudronnerie cuivre. Dans cette boîte, on était sept à huit cents et puis on a fusionné avec les établissements Terrin, alors là on était les deux mille huit cents. Parce qu’il fallait faire une grande boîte de réparation navale. C’était le but. Seulement on est tombés à l’époque de la crise économique. Peut-être que nos grands responsables, actionnaires, administrateurs et autre y z’ont pas vu plus loin, ch’ais pas, ça…

Là y chauffent avec un brûleur à mazout, parce que le tuyau est énorme et y va falloir le chauffer pour le cintrer. Les gars, ils ont un treuil et des palans aussi, pour aider le treuil. Et y sont à quatre qui vont tourner sur le tuyau. Là, le type il a cintré un tuyau et il a le gabarit dessus - bon, là, y le coupe à la main, tout à l’heure, y le coupait à la tronçonneuse.

Le travail était jamais le même, aujourd’hui pour demain. Là ça va, y’en a plusieurs. Mais un ouvrier rentrait dans l’usine, même dans les machines à la mécanique ou à la chaudronnerie, un matin y travaillait sur une pièce, il la terminait, le lendemain, quand on lui donnait un autre travail ç’avait rien à voir. Là par exemple, le gars y va faire une trémie, ç’a rien à voir avec les cages d’écureuils qu’il a fait auparavant. Il fallait qu’y soit… c’était un ouvrier. Maintenant, y’a plus un ouvrier. Ce sont des manœuvres spécialisés. Et les gars y travaillaient de sept heures et demie du matin jusqu’à cinq heures et demie le soir, et y faisaient une heure supplémentaire jusqu’à six heures et demie, et y z’en faisaient une autre jusqu’à sept heures et demie, hein. Ça faisait dix heures, ça. Ou alors des fois, on les faisait partir à cinq heures et demie et y revenaient à huit heures pour travailler jusqu’à minuit, une heure, deux heures du matin. Quand ça pressait, que c’était urgent, parce qu’y fallait qu’on travaille des pièces pour qu’on les envoie sur les bateaux. Eux y démontaient des pièces des bateaux, des pompes, des vannes, des robinets, des tuyaux qu’y fallait refaire, des tôles qu’y fallait démonter de la coque et rentrer en atelier. Une fois qu’elle était refaite, elle remontait sur une prolonge, une remorque, et les gars y z’allaient la remettre en place à bord. C’était toute une chaîne, c’était la réparation navale !

En plus, nous autres, nous étions dans une société où on avait deux secteurs, si on peut dire. Quand y’avait pas trop de bateaux, on appelait ça « la morte ». Y fallait mettre les gens, maintenant on dirait au chômage, mais on les gardait, nous, dans les ateliers ; bon, on les payait un petit peu moins, mais on les gardait pour ne pas perdre cette main d’œuvre spécialisée.

Voilà un gars, le pauvre, il est mort de l’amiante lui, hein, bien avant qu’on sache que c’était l’amiante. Voyez les lunettes, elles sont pendues, le gars y va tronçonner et y se met pas les lunettes. Y risquait d’avoir des pailles dans l’œil . Alors là y fallait y’aller à la manœuvre, y fallait travailler, alors des fois tu rouspétais, puis le gars les mettait, puis quand tu étais parti (rires)… Comme les gants, comme les souliers de la sécurité.

Là, y soude au chalumeau pour retenir la pièce, et après ça va passer dans les mains d’un soudeur à l’arc. Là y regarde sur un plan pour voir où y z’en sont pour pouvoir monter leur fameuse trémie. Là y vont cintrer un gros tuyau, voyez, là y’a la chaleur et tout, là, ils sont trois ou quatre avec les chalumeaux. … Voilà, ça c’est les cages d’écureuil, elles sont terminées, elles vont partir dans une usine pour être mises en place.

C’est un bon boulot, ça, hein. Y faut dire ce qui est, hein, quand tu as passé quarante ans de ta vie et que tu vois dans l’état que ça est, là… D’ailleurs je viens de faucher un bout de fer et ce bout de fer y me parle, moi. A vous c’est rien, moi en revanche je les faisais faire, ces bouts. Quand on avait de très grosses pièces à prendre, on les faisait souder par des soudeurs costauds et c’était là qu’on mettait les élingues, et avec les ponts roulants on les montait en l’air, puis après quand on les avait mis en place on les rasait, on mettait un coup de meule et on en parlait plus. Je vois des bouts de tuyaux, là, y sont là comme des natures mortes, mais ça a servi des quantités de fois. Tous ces bidons, tout ça, là, comme ces tuyaux blancs, voyez, on les raccordait ensemble pour amener de l’eau sur les bateaux, par exemple. Parce que le port autonome, y’a l’eau, l’électricité, y’avait les compteurs, y fallait payer, hein. Alors un bateau, quand il était à quai, y fallait travailler rapidement pour qu’y reparte reprendre sa place dans le circuit des pétroliers et en même temps libérer la place, parce que ça coûtait cher, hein. C’est comme quand un bateau était dans la forme, un bateau dans la forme ça a pas de prix, hein. Moi je me suis régalé au travail, parce que premièrement je travaillais, et pour le travail. Un jour j’ai commencé, on m’a mis là avec de la chance, hein, pour certains comme nous, parce qu’on est quand même pas des quantités qu’on reste dans le coup, hein. Y’en a beaucoup que malheureusement, y sont restés en bordure de la route. Ah ! Ici, des cent vingt, y’en a deux qui se sont suicidés quand on a fermé, un traceur et un chef d’équipe. Bon, pas le premier jour, mais dans les six mois, huit mois, dix mois y… Sans compter certains qui ont… Ah ! que ç’a été long à revenir, disons, à un…

Là on est devant un atelier mort, voilà, une bâtisse au prix du mètre carré, au prix de la valeur des hommes qui travaillent, au prix du progrès qui avance à une allure rapide. On a un truc, une bête monstre, là... Comme les grands ateliers qu’il y a de l’autre côté qui forment le tout en question : c’est là, c’est quatre murs et un toit, maintenant, y’a plus rien, ça vit plus. Y’a que des trucs qui parlent à certains qui viennent se promener et qui peuvent même pas rentrer dedans…

Propos recueillis par Claude Bossion ; rédaction : Odile Fourmillier.

Vous trouverez un entretien de Claude Bossion sur les "Mémoires Partagées" sur le site Cinémémoire.net.

1 Message

  • "Sur la grande jetée, y’avait les bateliers" 1er septembre 2009 09:02, par Patrick Varrot

    Le témoignage de Laurent Damonte, par ailleurs auteur d’un ouvrage sur l’Estaque, communique tout le pittoresque et la saveur du personnage.
    On visionne avec lui le déroulement des images cinématographiques et le sentiment de proximité et de participation à la projection prend vite le pas sur la simple lecture d’un article. Cependant, l’entrée dans l’article par la reproduction d’une toile figée de Cézanne paraît bien mal assortie à la profusion des mouvements du récit de Monsieur Damonte, et le regard photographique instantané (bien peu pictural) qu’il porte sur ces images.
    La réaction est retranscrite à l’état brut et l’on regrette le manque de respiration, de coupures où certains moments du film ou l’ambiance de sa projection pourraient être décrits objectivement par l’interviewer, totalement absent de cette rencontre.
    Le témoignage reste cependant capital sur l’industrialisation de l’Estaque qui navigue aujourd’hui entre le très touristique "Sentier des Peintres" et la très tendance "nouvelle Riviera" marseillaise.

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