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Pour travailler dans le métier à nous - Sur la route - La revue du témoignage urbain

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Sur la route

Pour travailler dans le métier à nous

Migrant espagnol

« En Espagne j’étais tailleur de pierre comme ici. Seul, je suis venu le mois de mars 61 ; et après avec ma femme et mes enfants à la fin novembre 61. Oh, j’ai quitté l’Espagne parce que à ce moment-là elle était pas bien, au niveau de vie, elle était pas bien, alors là on est venus en France. À ce moment-là, la France elle était bien. » Carlos, 71 ans.


 

Mon père, il était mort, déjà, il est mort jeune, il est mort à travailler comme un fada pour nous nourrir à tous. Et pourtant il avait un bel métier aussi. Il était ébéniste, il faisait - comment il s’appelle... - les trucs de bateaux. Il était dans les grandes bateaux, les paquebots, il faisait toutes les chambres. C’est lui qui faisait tout ça.

Ma maman, ma maman, j’étais ici à Marseille quand elle est morte. Ma maman voulait qu’on trouve une meilleure vie que là-bas. À ce moment, là-bas la vie n’était pas... Il fallait émigrer. D’abord, nous, c’était la région d’Espagne qu’on a plus de migrants : la Galice... pfff, surtout en Amérique, au Brésil, toute l’Amérique du Sud, en comptant le Mexique ; jusqu’en bas, jusqu’à l’Argentine, tout ça. Mais il y avait des millions des immigrants, hein ! Dans les années 30, un million et demi de migrants d’Espagne. Que c’était beaucoup à cette époque.

J’avais, je vais vous dire, 21... 23... ou 24 ans.

Le billet je l’ai payé moi. Je l’ai payé de chez moi à la frontière, qu’il y avait mille et quelques kilomètres. Mais en arrivant en France, on a passé una révision médicale très poussée. Parce que on refoulait beaucoup. Rien que vous aviez une petite cicatrice tout ça, refoulé. Refoulé. Après on vous passait les poumons tout tout partout. Mais on refoulait pour rien, pour une petite cicatrice on refoulait. Et après, là-bas, on avait le billet gratuit jusqu’à Paris. On nous donnait une baguette avec du pâté, je sais quoi, pour le chemin, pour la nuit.

J’ai commencé à travailler depuis le premier jour que je suis arrivé. J’avais ma sœur et mon beau-frère et c’est eux qui m’ont envoyé un contrat de travail. Je suis venu avec du travail, déjà, sur mon métier.

J’étais dans un hôtel meublé. J’étais dans un hôtel meublé tout seul. Et de l’hôtel, après quand j’ai fait venir la famille, j’avais un appartement. Après oui, j’avais mes enfants et tout ça. J’avais trois enfants. Et... pffff... J’ai eu tout suite un appartement et tout ça, alors là, hein. C’est moi qui paie tout, ah oui, parce que je gagnais déjà mon salaire. Je gagnais alors 2,80 francs à l’heure.

C’était meilleur que maintenant, tout ça. Avant, avec 30 francs, vous mangez toute la semaine, vous allez dans le métro, vous aviez la carte métro. Vous aviez tout pour 30 francs. À l’époque. Ça veut dire déjà je gagnais par semaine 150 francs. Nous on parlait des anciens francs, c’était 15 000 francs à l’époque. On payait avec le billet de... Quand je suis arrivé, le billet de 100 francs on dirait une feuille d’un journal, il était gros comme ça. Ouais, à l’époque c’était 10 000 francs. C’est après ils ont enlevé les deux zéros, ils ont passé au franc nouveau.

Je parlais pas français, rien du tout. J’aimais lire, j’aimais lire beaucoup, alors en lisant... Et après mon beau-frère il m’a donné un coup de main parce que il sortait du travail, il faisait l’école. Il faisait une heure ou deux heures d’école en français. Alors lui il le parlait déjà bien, le français. Et quand j’avais des difficultés je demandais à lui et lui...

Je travaillais pour un patron à Paris De 61 à 68. Après, ensuite je suis descendu sur Marseille.

Oui, 68. Le patron qu’y avait à Marseille, il est monté à Paris ; on est descendus trois, trois Espagnols, on a descendu et depuis on a resté là. Il avait besoin de nous trois ouvriers, mais bien qualifiés. Alors là on s’est trouvés là-bas avec lui. Mais il est venu au chantier, je sais pas comment il a su qu’on était... Voilà, je crois qu’il a passé là-bas, il a regardé le chantier, il a parlé avec nous. Et il nous a convaincus de descendre à Marseille. Quand on a descendu, on avait l’appartement, on avait tout, déjà. Tout tout tout... Il nous avait trouvé l’appartement et tout, le patron. On a descendu moi, ma femme et les petits.

Je me suis plu tout suite ici...Meilleur que Paris, le soleil et tout ça. Vous savez. Paris ça me plaît comme ville, mais il pleut beaucoup, ah ah ah. On pouvait travailler meilleur là-bas. Là-bas comme on travaillait beaucoup à l’extérieur, à Paris, alors ça veut dire que la moitié de l’hiver on l’a passé en intempérie tout le temps.

La preuve que je connaissais bien mon métier est qu’après, à Marseille, j’étais chef de chantier, j’ai commandé cinquante hommes, hein ! Dans la pierre, toujours dans la pierre et dans le marbre. Les Espagnols, on était un paquet dans la pierre...Toujours dans la pierre et dans le marbre. On faisait ça. Marbre, pierre, pierre et marbre, Ah ah ah... C’était le métier à nous. J’étais chef de chantier jusqu’à la retraite, jusqu’à 2000. J’avais quatorze ans de chantier que j’ai géré moi. J’ai pris la retraite, j’avais 65 ans, hein. Le patron il voulait pas que je parte. J’ai dit : "Non, aller monter aux échafaudages et tout ça, là", j’ai dit : "J’en ai marre.", surtout, j’avais la carrière complète. J’avais travaillé toutes les années complets.

Au début, on devait venir pour retourner, on allait toutes les années là-bas en Espagne mais comme au milieu de ça, ça veut dire, mes enfants ils se sont mariés avec des Françaises, c’est des belles-filles françaises et tout ça, les petits-enfants ils sont là, alors là on a resté là, on a dit : "Qu’est-ce-qu’on va faire en Espagne". Eh oui, vu que la famille, là, il s’est mélangé avec la française. Mes enfants, ils sont plus Français qu’Espagnols. Parce que mes petits-enfants, il n’y a pas un qui parle espagnol. Les petits, bon ça, la mère elle est Française. Ma petite-fille a vingt-deux ans déjà, qui cette année doit sortir infirmière. Ils ont tous étudié un peu, parce qu’il y en a un qui travaille à Eurocopter - ça c’est pour la part de ma fille - il a sorti la quinzième place des 500. Rentrer là c’est pas facile ! Mais mon fils il parle bien l’espagnol. Heu, parce que moi j’ai dit : "C’est dommage de ne pas l’apprendre, la deuxième langue, c’est bon ça, ça sert dans la vie." Celui qui est marié avec la Française il va beaucoup en Espagne.

Il y a un paquet qui sont comme ça. Ils se sont mariés avec des Françaises, alors là ils sont dans la merde parce que on a des maisons là-bas ; moi j’ai vendu la maison que j’avais. Eh oui, pour aller le voir à l’année, j’avais des problèmes tout le temps : d’humidité, d’être enfermé dans... fermer la maison. On a vendu l’appartement, on a acheté ici. Mais il y a des autres qu’ils ont trois ou quatre appartements qu’ils ont acheté en Espagne, et maintenant ils sont dans la merde. C’est vrai, c’est vrai, c’est vrai.

On part de temps en temps pour ne pas oublier le pays. Hein. Parce que c’est bon, quand on est là-bas, c’est bon. Quand on travaille pas là-bas, quand on va en vacances, c’est trop bon, là-bas. L’Espagne, je ne sais pas si vous la connaissez ? Si vous allez, ça vous plaît, parce que là-bas il y a la fête tous les jours, ah ah ah...

Il y avait des associations espagnoles à l’époque. Je sais qu’il y en avait mais j’ai pas été dans ces associations-là. C’est quand je suis venu à Marseille en 68, en 78 je suis venu à l’association. Ça fait dix ans après. Centre Galigo, c’est la Galicie. Parce que nous, on est de la région de St Jacques de Compostelle. Mais c’est là où ils font la pérégrination. Il y a la grande pérégrination qui va à pied d’ici au... Il y en a même d’Hollande, d’Allemagne et tout ça... Ils font le chemin à pied jusqu’à là-bas. Ils font quatre mois pour y aller, hein hein. Nous, on descend des Celtes. On joue la cornemuse, on a un groupe de petits et de grands. On joue la cornemuse comme les Bretons, comme les Ecossais, comme en Angleterre, le Pays de Galles, l’Irlande, tout ça, on est dans la même... On était envahis par les Celtes. Eh oui, on était envahis par eux. Et on a gardé les coutumes et les habitudes. Toute cette communauté, samedi, ils viennent tous, il y a de la danse, le groupe s’entraîne ; après on a mis ça, le bar et la cuisine en gérance, ils font le dîner. On boit un coup, là, et tout ça.

Il y a de jeunes Espagnols, des étudiants qui sont à la faculté de la Timone, il y a des filles qui sont infirmières, qui sont en train d’étudier infirmières, il y a des garçons qui étudient dans la médecine aussi. Ils viennent beaucoup là. Ils viennent dîner les samedi ici, ils passent le samedi avec nous. Mais en vingtaine, ils viennent nous voir. Toutes les semaines c’est pas les mêmes. Toutes les semaines, il y en a quelques uns qui, peut- être, ils ont réussi leurs études. Mais on les voit plus, ils s’en vont en Espagne. C’est meilleur la vie de là-bas que la vie d’ici. Il est plus vivant pour nous là-bas. Ici les jeunes qu’est-ce-qu’ils font ? Ou bien la drogue et tout ça... Mais bon, là-bas ils se droguent aussi. On parle avec, on parle de l’Espagne, de tout ça.

Les jeunes ont du mal comme ici en France. Eh oui. Moi je dis qu’il faudrait qu’ils fassent des métiers. Ça je le dis, et si je pouvais je l’aurais dit au gouvernement Français. Il faut laisser apprendre des métiers. Parce que je dis une chose, je vois bien qu’il gagne plus en maçon, il a plus de salaire en maçon, un bon maçon, que un type qui a un bac plus cinq. Mais non, ils veulent pas se salir les mains. Tout le monde ils veulent dans les grandes études mais il y a pas de place pour tout le monde. C’est vrai ça. Et en Espagne c’est pareil. On a les mêmes problèmes. Quoique l’Espagne il a très bien monté. Il a... Oh putain, il s’est développé en pagaille, en Espagne. Là-bas, il vit bien. Tout le monde, tout le monde il a sa bagnole, et pas una petit bagnole comme la mienne, ils ont des grosses bagnoles, là-bas. Ils sont moins chers là-bas, les bagnoles. Mais ils sont moins chers là-bas, les bagnoles.

Ce qui manque d’Espagne, c’est la façon de vivre. On vit plus qu’en France. C’est-à-dire en France, on sort de boulot, à la maison et en Espagne, non. En Espagne vous sortez du travail, vous allez à la maison, vous prenez la femme et les enfants, vous allez vous promener et au lieu de faire le manger... Vous mangez dans un restaurant et tout... On sortait plus là-bas. On vit plus la vie, on est plus joyeux, déjà le climat est bon là-bas. Ici Marseille, encore c’est bon.

J’aimais beaucoup mon pays, oui. Je l’aimais beaucoup, dommage qu’avant il s’était mal gouverné. Il était mal gouverné mais j’adore mon pays. C’était pays... mais d’abord tout le monde quand il va là-bas il adore l’Espagne. Je sais pas pourquoi, il adore l’Espagne. Parce que pfff... on vit la vie, on vit et avec moins d’argent qu’en France. Jeune... jeune... quand on était jeunes, putain... on faisait la fête à presque tout le temps. Mais je passais des semaines sans dormir en faisant la fête. Quand j’étais jeune, je parle quand j’étais jeune. Oh pauvre ! On faisait la fête, à l’époque. Il y avait les fêtes partout. Là-bas en été, vous savez, de mois de mai, chez moi, dans mon patelin à moi, celui de la Galice, il commence le mois de mai, les fêtes, et il finit le mois d’octobre. Il y avait... toutes les semaines il y a des fêtes. Mais il faut aller travailler aussi. Parce que moi, mon père, je me rappelle, me disait tout le temps : "La fête c’est très bon, mais le travail il faut y aller, hein". Alors, mais il fallait, même sans dormir j’allais travailler.

Propos recueillis le 07/04/2006 par Souleiman Saïdi ; rédaction : Patricia Rouillard.

3 Messages

  • "Pour travailler dans le métier à nous" 7 juin 2006 09:41, par Christophe Peridier

    Ce témoignage de courage et d’optimisme m’a emballé. Il prouve que si on s’en donne les moyens et avec des sacrifices inévitables, on finit toujours par se faire une petite place dans la société. J’ai aimé aussi ce voyage en Galicie, ces souvenirs éparses d’une jeunesse active.

  • "Pour travailler dans le métier à nous" 10 juillet 2006 12:52, par thomas djida

    Pour travailler dans le métier à NOUS, se donner beaucoup à EUX. Ils n’avaient certes pas la choix. mais ils sont devenus les URGENTISTES de la foi, des EXPERTS de la problèmatique en lien avec la santé, le logement, le travail. un grand salut et merci à le "NOUS". Dji.Thomas

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