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Mais dans un an ou deux ans... - Mutations urbaines - La république en chantier - Paroles de commerçants - La revue du témoignage urbain

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Paroles de commerçants

Mais dans un an ou deux ans...

Au n°43

« Euroméditerranée, c’était y’a quatre ans à peu près... 2002 cela devenait vraiment concret. Comme le quartier était quand même relativement handicapé - faut voir, hein ! - on pensait qu’avec eux, même si on souffrait un peu, il allait être un peu réévalué. Mais il était pas question qu’on allait faire partir les locataires et les commerces. Y’a jamais eu d’informations qui nous ont précisé que les commerces allaient disparaitre. On nous a rien présenté du tout. Non, on ne s’inquiétait pas du tout. » Éléonore Breda-Boulangerie Breda. Déboutée.


Mais dans un an ou deux ans...
 Mais dans un an ou deux ans...

On n’a plus beaucoup d’espoir. Normalement on avait eu gain de cause au tribunal de commerce, mais en tribunal d’instance, on a été débouté. Parce qu’on leur doit des loyers, et de ce fait, Marseille République a résilié le bail. Normalement, on doit quitter les lieux fin mai. On va partir en Cour d’Appel pour savoir si on va être dédommagé ou pas. Pour le relogement, on m’a proposé rien du tout. On a eu des contacts avec Marseille République, du direct, mais avec les médiateurs, pas avec le directeur. Monsieur Donnadieu, il y est pour rien lui, c’est qu’un "médiateur", ça veut dire ce que ça veut dire. Eurazéo, eux, ils ont contact avec le directeur ; le directeur commercial déjà vous pouvez avoir une entente, mais là, les médiateurs ils ont des ordres, ils les appliquent. Ils ont pas les coudées franches comme si c’était un patron.

Bon, mis à part que je leur dois une somme - ça on est d’accord là-dessus, c’est vrai que les loyers il faut les payer ... - Mais on a des circonstances atténuantes : 50% du chiffre d’affaire, on a perdu, parce que la clientèle, ils ont quitté la rue. Et puis on n’avait plus les passages de voitures... deux ans, dix-huit mois.

En 83 [1], on tournait à six cents clients par jour. Pendant les travaux, c’est tombé à cent cinquante et c’est le bout du monde. On passe plus que cinquante kilos de farine, ça ferait trois cents baguettes par jour, à peu près ; et dans les baguettes vous avez les restaurants et tout le reste.

Voilà, on a dit qu’on allait nous faire le tramway- bon, on n’y croit pas trop, parce qu’à mon avis c’est un gadget, mais bon -, qu’on allait refaire la rue un peu plus moderne, un peu plus propre, parce que les couloirs c’était vraiment un peu dégueulasse ; on pensait que ça allait faire venir une clientèle un peu plus importante, plus sophistiquée que c’était là, parce que la clientèle qui y’avait était vraiment en dessous, du, du... Elle était pas à provoquer, mais pas loin, fallait quand même apporter un petit peu quelque chose.

Mais faut pas tout mettre sur les travaux, ça s’est dégradé pas que pendant les travaux, ça s’est dégradé depuis dix ans... le vieillissement du quartier. On avait un voisin maghrébin qu’était installé à l’angle du passage de Lorette, il faisait les pizzas, le pain... Vous savez qu’entre eux ils s’aident : tous les Maghrébins ils vont là-bas, et comme le quartier est à 80% maghrébin... Et les Français y’en a beaucoup moins qu’avant dans le quartier : ceux qui travaillent dans les bureaux, ceux qui travaillent aux impôts, et après le dimanche, y’en a plus. Dans l’immeuble, par exemple, quand nous sommes rentrés en 83, y’avait celle qui jouait du violon, le professeur de musique ; y’avait Naïs, qui était algérienne, mais y’avait qu’elle, tout le reste c’était des Français qui habitaient là, maintenant, moi je suis seule.

Donc tout le monde y croyait à Euroméditerranée, parce que moi je connaissais un client qui travaillait à la Société Générale et qui m’a dit : "Patientez, vous allez voir que dans deux, trois ans vous allez avoir les commerces qui vont avoir une plus-value." Et finalement, c’est pas du tout ça ; il y a aucune information qui nous a précisé que les commerces allaient disparaître, ou que les habitants allaient se déménager ! Je pense qu’ils veulent que des grandes enseignes, surtout sur cette portion de rue que nous sommes là - le lot numéro douze - ils ont déjà prévu des enseignes de luxe. En fait, que le quartier soit plus beau après, moi, j’en disconviens pas... Mais si on est plus là pour le voir, on en a rien à foutre. Un magasin de chaussures, un magasin de robes, un magasin de souvenirs, un magasin de j’sais pas... Hein, Lulu [2] : Qu’est-ce qu’y vont en faire de ce magasin ? C’est grand : il fait 180m². À l’arrière, il donne sur le garage Carnot, le passage de Lorette, mais comme ils veulent pas une rue commerciale par là derrière... Avec 180m², ils veulent faire deux magasins de 80 mètres : ce serait une bijouterie par devant et un magasin de légumes derrière.

C’est la Mairie qui a fait Euroméditerranée, parce qu’on confond beaucoup Euroméditerranée avec Marseille République. Apparemment, entre guillemets, ça n’a rien à voir mais je pense qu’il y a une corrélation entre les deux. Mais y’a eu aucune information de la part de la Mairie.

C’est vrai qu’on a mis longtemps pour réagir quand ils ont fait les travaux, tout ça... Ils ont commencé en 2003, les travaux : l’assainissement, le gaz, les eaux, tout ça... mars 2003. Ils ont cassé les trottoirs, ils ont cassé les devants de portes, ils ont tout cassé ! Moi, j’ai dit : "Si on ne monte pas une association de commerçants, on va être un peu dans la merde." Mais personne n’a voulu participer parce qu’ils y croyaient pas ; j’ai réuni cinquante-six signatures, c’est tout ! Les autres ont pas voulu signer, ils n’ont pas voulu participer. Et, à la fin de 2004 - attendez que je ne dise pas de bêtises - ils ont dit qu’ils allaient nous remercier, qu’on avait plus qu’à partir ; novembre-décembre 2004.

Le tort que nous avons eu c’est de pas se grouper. On se connaissait pas intimement, mais enfin on se côtoyait tous les jours, et si on s’était groupé, on aurait fait autre chose. Le snack, je crois qu’il a perdu, donc il va partir ; monsieur Slimani, il est ouvert, je sais pas, on communique pas tellement ; le marchand de légumes, il est déjà parti ; un peu plus bas, la marchande de bonbons - je me rappelle plus comment elle s’appelle - elle est partie ; le pharmacien je sais pas, maintenant, y’a un doute ; et puis tous les commerces qui sont à côté de moi ils sont partis. Ceux du trottoir d’en face, quel avenir ils ont ? Est-ce qu’ils vont rester ? Est-ce qu’ils vont partir ? On n’en sait rien.

La marchande de bonbons, elle est toujours au chômage ; le snack qui ferme, il est évident que les employés vont partir. Et pourquoi qu’y font tant de cinéma, avec le chômage "Placer les jeunes" comme ils disent, alors qu’ils en créent, du chômage. Personne en parle, personne parle de tous les employés qui se sont retrouvés à la rue. Moi j’en ai trois : une fille, un boulanger, un pâtissier. C’est des gens qui vont aller à la rue ; Odile, elle est dehors, elle a cinquante ans, où elle va trouver du boulot ? Dieu seul le sait ! Ça va partir au tribunal je suppose... Il va y avoir de la précarité. Lucienne, elle va trouver quelque chose où maintenant ? C’est fini, elle demande la retraite. Eh, qu’est-ce que vous voulez qu’elle fasse ? Et si on comptabilise tous les commerces qui ferment, pas que dans la rue de la République, dans le centre-ville - parce qu’ il n’ y a pas que la rue de la République qui est concernée - y’a combien de gens qui vont partir au chômage ? En bas, le marchand de rideaux, Rogaray, tout ça... C’est vrai qu’ils ouvrent d’autres magasins plus loin, mais si les gens n’ont pas les moyens - tout le monde n’a pas la voiture, malgré que nous sommes au vingt-et-unième siècle. Et s’ils peuvent pas aller travailler en voiture, et qu’ils ont pas la voiture, ils travaillent plus, ceux-là. Voilà.

On habite au-dessus, un logement commercial, ça fait partie du bail du commerce ; nous n’avons pas de cuisine, la cuisine elle est là [3]. Le bail est résilié depuis deux ans, bon : c’est fini on n’en parle plus. L’avocate a proposé qu’ils nous refassent un nouveau bail avec les taux actuels. Là, comme je suis en occupation des locaux, je paye 1200 euros à peu près, 1194. C’est un peu en dessous du prix. Avant je payais 8000 francs par mois. Déjà 8000 francs ça fait une somme. S’ils me font un taux à 3000 euros par mois, ce sera difficile... Mais dans un an ou deux ans, si c’est ce qu’ils ont dit, peut-être qu’on arriverait à payer, parce que bon... On est propriétaire du fonds mais on peut pas le revendre, nous, si on n’a pas de bail, vous ne pouvez pas revendre un fonds si un bail est résilié : en résiliant le bail des murs, y’a le bail du fonds aussi. Moi, j’ai déjà un problème, je suis en redressement judiciaire, l’inventaire du matériel il a été fait, donc le matériel est perdu. Alors étant donné que le matériel est perdu, je m’en vais, je laisse le matériel.

Si on peut, on va partir en Afrique. Au niveau du moral c’est pas réjouissant. C’est normal ! Je suis Marseillaise, mais j’en ai ras-le-bol. On ne reprendra pas quelque chose ici, surtout pas. Mon mari, c’est son rêve, de s’occuper des animaux. Il aimerait bien partir au Kenya, prendre une ferme écologique, encore si on n’est pas trop vieux. J’ai pas d’enfant. Le métier me manquera pas, non. La rue, oui, parce que les gens ils sont très sympathiques. J’ai quelques clientes qu’on est devenues amies, moi j’ai des gens qu’ils ont été très bien, ils m’ont fait une pétition, et ils ont été vraiment sympathiques. Sinon j’ai pas de...

Propos recueillis le 21/04/06, par Patricia Rouillard.

Notes

[1La boulangerie Breda a ouvert le 1 avril 1983.

[2Lucienne est l’employée.

[3À l’arrière de la boulangerie.

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