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Juliette puis Cléopâtre - Femme aujourd'hui - La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

Femme aujourd'hui

Juliette puis Cléopâtre

Antoine au fourneau, elle au créneau

« Femme ? Quand, déjà, j’ai rencontré l’autre sexe, hein ; c’est le regard aussi de l’autre sexe qui m’a renvoyée à mon côté femme. Mais peut-être aussi la féminité de ma mère, le regard de mon père. Déjà la petite fille, elle voit sa mère, elle voit le regard de son père regarder sa mère : y’a déjà de la femme, y’a de l’homme puisque c’est très lié… enfin, dans notre culture. » Hélène Soun, 52 ans, thérapeute.


Juliette puis Cléopâtre -photo : Josefa Lopez
 Juliette puis Cléopâtre -photo : Josefa Lopez

Koinai : À quel âge vous êtes-vous sentie femme ?
À quel âge ? C’est difficile… Oh, c’est autour de… Ça se passe entre seize ans et vingt-six ans, c’est… Ça peut être des moments à l’adolescence où là on sent que y’a quelque chose de la femme, mais c’est pas un état permanent parce que c’est encore un peu l’adolescence, c’est encore un peu jeune adulte, et puis, petit à petit, c’est une identité. J’ai plus l’impression que c’est un tissage de vie, quoi, c’est une création de vie, à un moment, voilà… Là, en ce moment, je me sens aussi une femme, mais à vingt ans aussi je sentais la femme, pas de la même maturité, pas de la même… Voilà.

K : Qu’est-ce, pour vous, être une femme ?
Être une femme, c’est toute une vie, quoi, c’est tout un chemin de vie. C’est d’être une sœur : je suis la sœur de beaucoup de frères, j’ai des soeurs, j’ai des parents ; c’est d’être la fille de ma mère et de mon père qui n’est plus, mais… Voilà, c’est d’être une femme dans mon travail, d’être une collègue bienveillante, d’être une thérapeute à l’écoute avec les personnes. Voilà, c’est tout ça la femme. L’homme qui est près de moi, quand il est près de moi, c’est d’être au plus juste dans ma féminité et dans sa masculinité. Et puis de continuer à me réaliser, quoi, enfin de continuer à me créer, de pas m’oublier, de penser à moi, de m’aimer et de ne pas renoncer à la vie et à l’être que je suis, et de continuer à me nourrir des autres et à donner aux autres, d’aller jusqu’au bout, quoi. Comme j’ai l’intention de vivre jusqu’à cent ans…

K : Quel genre de femme êtes-vous ?
Genre de femme que je suis ? Eh ben, je suis plein de genres à la fois, finalement, hein. Alors qu’est-ce que c’est une femme ? Est-ce que c’est une fille, une sœur, une mère, une épouse ou une concubine ? Est-ce que c’est aussi une citoyenne ? C’est tout ça certainement, c’est aussi des périodes plus… Voilà : je suis une femme qui aime la vie, j’aime aussi rencontrer l’autre et voilà, ça serait ça peut-être.

K : Quel est votre cursus scolaire ?
Alors, euh… terminale, enfin école primaire, collège, lycée, formation d’éducatrice spécialisée à Grenoble et ensuite pas mal de formations : une formation langage des sourds, formation déléguée à la tutelle, formation analytique freudienne pendant mes études d’éducatrice parce que le désir c’était d’être thérapeute, aussi une formation en analyse transactionnelle avec une analyse personnelle, une formation à la médiation, formation en art-thérapie, formation lacanienne… Voilà, je suis tout le temps en formation. Une période aussi, j’avais fait une rupture dans le travail social et je suis allée du côté du créatif, donc j’avais fondé une galerie associative à Brest où j’avais accueilli des artistes de toutes les nationalités : Chinois, Américains, des calligraphes arabes, des peintres bretons, et l’objectif étant la lutte contre le racisme à travers des créations de toutes sortes. Là je me suis formée aussi un petit peu à la création.

K : Quel est votre parcours professionnel ?
J’ai fait ma formation pendant trois ans, après j’ai travaillé à peu près quatre ans à l’institut des sourds à Chambéry, ensuite j’ai travaillé dans un foyer de jeunes délinquants à Brest, ensuite j’ai travaillé comme déléguée à la tutelle quatre, cinq ans à peu près, ensuite j’ai fait une rupture : j’ai travaillé dans une galerie d’art contemporain. En même temps aussi j’ai travaillé dans une société qui vendait des produits - des algues naturelles - où j’ai fait le design des produits, puis tout le texte qui va pour les produits et caetera. J’ai fait aussi deux, trois ans d’enquête sociale et de personnalité au tribunal de Brest aux affaires civiles et pénales avec un juge d’instruction et des juges des affaires familiales, ensuite… eh ben voilà. J’ai commencé mon métier de thérapeute depuis une quinzaine d’années dans différents lieux, différentes activités, dans des centres d’hébergement d’urgence… Au sein de l’association "Aptitude médiation" et puis avec des partenaires comme "Solidarité Logement" ou la maison d’arrêt des Baumettes ; ça fait sept, huit ans : j’ai un atelier d’art-thérapie pour les pères incarcérés, voilà.

K : Que vous apporte votre travail ?
Vraiment beaucoup de… j’allais dire "bonheur" ; beaucoup de passion, beaucoup de richesse, beaucoup de… C’est un cadeau, voilà, chaque jour c’est un cadeau.

K : Quelle est votre situation familiale ?
Alors, donc je suis mère de famille, il y a un homme dans ma vie, il y avait… En ce moment on ne vit pas ensemble, mais nous exerçons notre parentalité ensemble. J’ai trois enfants.

K : Arrivez-vous à concilier travail et famille ?
Oui, complètement. De toute façon, pour moi, la priorité c’est de m’exprimer en tant que femme, ça c’est essentiel. Et puis, dans cette femme que je suis, je me suis accordé le temps de la maternité, en même temps de continuer les activités professionnelles, en même temps de me former, de vivre une relation de couple intense… Enfin j’ai eu un premier amour on va dire "Roméo et Juliette", et puis ensuite on passe à l’amour avec l’homme, c’est "Antoine et Cléopâtre" on va dire.

K : Dans votre couple, qui gère les tâches ménagères ?
C’est monsieur. Il adore faire la cuisine, donc moi je le laissais faire la cuisine ; moi c’est pas mon truc, je préfère être dehors ou alors j’étais plus, moi, du côté de la parole avec les enfants, l’éducation. Voilà, je suis beaucoup de ce côté-là. Lui, il adorait aussi faire le ménage, il adorait nettoyer, il faisait même la couture ! Donc, moi, je me suis occupée, par exemple, des relations avec la banque, les démarches administratives, ce genre de choses. À la fois on le faisait ensemble, enfin c’est-à-dire que c’était pas un d’un côté et l’autre de l’autre, c’est ensemble, mais en fonction de nos sensibilités chacun faisait là où il se sentait le mieux. Bon, toujours ça fonctionnait très très bien.

K : Qui gère le budget ?
Tous les deux. On travaille tous les deux, on a un compte commun, on gère ensemble, on prend les décisions financières, enfin les décisions importantes, ensemble : l’achat de la maison, le choix aussi, le temps du prêt. Enfin, tout ça, ça se fait à deux, comme ça, sans trop de problèmes, quoi. De toute façon, il y a de l’argent qui rentre à la maison, on a une vie de travail tous les deux.

K : Quelle est votre vision du couple ?
Je trouve intéressant cette association d’un homme et d’une femme. Au niveau de la sexualité, je trouve que c’est un sacré challenge parce qu’on est fondamentalement différents. On a une sexualité fondamentalement différente. Et puis, sur le plan de la pulsion vitale, on transmet quelque chose de la vie, quoi, donc on est là aussi ensemble pour cette transmission de la vie, d’un lien d’amour, d’affection, qui donne de l’énergie pour continuer à vivre. On battit ensemble quand on peut être dans une entente et une harmonie, une complémentarité. Donc, on a beaucoup de différences, et si on peut préserver un dialogue, des paroles, et connaître l’autre, et se faire connaître à l’autre, c’est passionnant.

K : Et votre vision idéale ?
L’idéal, c’est… Je pense que j’avais eu l’idéal un peu Shakespeare, Roméo et Juliette, et puis chemin faisant, la maturité et la réalité ont fait que c’est plus tout à fait comme ça, quoi. Les histoires personnelles, les personnalités se révèlent, les circonstances font que l’idéal ne se construit pas comme ça. L’idéal devient réel, et donc c’est de tisser quelque chose avec la réalité, quoi.

K : Quelles sont vos revendications dans le couple ?
En fait dans mon couple j’ai eu tout ce que je voulais, donc… Peut-être la revendication, si, serait que - bon, moi, j’ai fait une analyse -j’aurais bien souhaité que mon compagnon - le père de mes enfants - fasse une analyse aussi. Parce qu’à un moment, je crois qu’on était décalés. Pourtant il est dans le soin à la personne humaine, mais bon… Il a fait un petit bout d’analyse mais pas suffisamment, voilà. Ça, peut-être, ça serait ma revendication : qu’il fasse ce chemin-là.

K : La maternité est-elle nécessaire à l’épanouissement personnel ?
Non non, bien sûr que non. Y’a plein de manières de s’épanouir pour une femme. La maternité, si elle est là et que c’est possible et qu’elle est choisie, qu’elle est désirée et que le compagnon… et que des circonstances permettent de la vivre, ou répondent au désir de la vivre, c’est super. Mais, l’épanouissement de la femme ou la création d’une femme ne passe pas systématiquement par la maternité. C’est un chemin possible qui est merveilleux, qui est vraiment plein de tendresse, d’amour, c’est de la pulsion de vie, mais une femme est une femme sans être dans la maternité. Y’a plein de manières de transmettre et de se réaliser : dans un métier, dans une activité de bénévole, dans la nature, avec les animaux, dans une création, dans un travail… Plein de moyens de se réaliser.

K : Quelles sont vos obligations en tant que mère ?
C’est faire l’apprentissage de la séparation, voilà. Je suis une mère passionnée, affectueuse, qui parle mais aussi très très exigeante. J’étais très présente dans l’éducation. Et donc maintenant les deux filles grandissent, une va avoir vingt-deux ans, elle est en faculté de philosophie, cinquième année, elle vit dans son petit logement. La deuxième a dix-huit ans, elle va aller en faculté, elle va faire du théâtre. Il faut que j’apprenne à nous séparer et accepter qu’elles sont dans leur féminité, qu’elles sont des jeunes filles, des jeunes femmes quoi, donc la maman ce n’est plus cette maman… Voilà, c’est une autre forme. Elles ont moins besoin de mon amour par exemple, de mon affection, donc c’est apprendre à être là et juste là, et être moins là.

K : Avez-vous éduqué différemment filles et garçon ?
Oui, enfin, à peu près, en tenant compte de la différence sexuelle mais le garçon il fera la vaisselle, ou il va ranger la vaisselle, ou il va ranger sa chambre comme une fille, et chacun a les mêmes droits, et se respecte, voilà. Enfin maintenant il commence à être grand. C’est-à-dire que la différence elle est, mais je suis la même, et ma manière de dire les permissions, les autorisations de sortir ou pas, tout est pareil, quoi : le rapport à l’argent de poche, le rapport aux sorties, le rapport au travail… Ce sont les mêmes règles que je transmets.

K : Qu’en est-il des salaires dans votre travail ?
Y’a un code de travail, et que ça soit un psy homme ou femme, avec le même nombre d’années d’expérience, il a le même salaire, donc à ce niveau-là, pour moi, c’est pas un problème.

K : Rencontrez-vous des difficultés particulières ?
Oui, y’en a plein, mais avec mon tempérament, quand je rencontre des difficultés, je cherche des outils pour les résoudre. Sinon au quotidien, bon : j’aime pas faire le ménage, j’aime pas trop faire la cuisine. Bon, ben, est-ce que c’est une difficulté ? Je la contourne. Je fais un petit peu le ménage, quand j’ai un peu l’énergie, quand j’en ai pas, je le fais pas. C’est le rapport aussi de couple, ça peut être une difficulté, mais j’essaye de trouver des réponses, mais c’est pas fondamental, à un moment ou à un autre, après je trouve des réponses. Mais une difficulté peut-être majeure, c’est la sensibilité de la femme - je pense aussi à beaucoup de femmes que je rencontre - elle n’est pas suffisamment présente dans la société, dans la culture, dans le financier, dans l’éducatif, dans la hiérarchie, dans le parlement, la politique, partout, quoi… Enfin, le monde est masculin !

K : Quels changements avez-vous constaté ?
Ah ! Quand même je peux parler de mes grand-mères qui étaient des mères, qui étaient des épouses, qui aussi avaient un certain pouvoir parce qu’elles géraient les budgets. Moi, je viens d’un monde agricole, donc elles étaient femmes de paysans, autant du côté maternel que paternel. Les hommes et les femmes vivaient ensemble au quotidien et, par exemple par rapport à l’argent, les femmes géraient les budgets. Surtout en Bretagne, les hommes et les femmes se répartissaient… C’est vrai, moi j’ai vu mon père faire la cuisine, balayer la maison et ma mère - pas conduire le tracteur mais traire les vaches par exemple, elle faisait des tâches… J’ai vu une évolution parce que ces grand-mères que j’ai eues, ma mère, elles étaient quand même beaucoup dans une fonction de mère et d’épouse, hein, donc elles n’ont pas eu vraiment leur place dans la société, le même chemin que je fais et comme mes filles vont faire, quoi, ça c’est certain. Mais elles m’ont impulsé quelque chose donc, que j’ai reçu, que j’ai modelé à ma manière et que j’impulse et que je transmets. Donc bien sûr que ça a bougé quand même, ça a évolué. Y’a encore du chemin à faire, mais j’ai bien entendu ce que ma mère me disait, j’ai bien écouté.

K : Vous sentez-vous indépendante ?
Complètement. Mon premier salaire c’était donc après mon Bac, j’ai ouvert mon compte bancaire au Crédit Agricole à Brest, et j’ai toujours mon compte bancaire personnel à mon nom, donc Hélène Soun, au Crédit Agricole de Brest. Et on a un compte commun de père et de mère, de parents, familial, "de couple" on va dire. Donc moi, je gère aussi le compte couple.

K : Avez-vous le permis ?
Oui, l’année du Bac j’ai eu le permis, ça c’était très important.

K : Comment avez-vous établi et développé votre indépendance ?
C’est vital en moi cette indépendance, donc je sais pas si je l’ai développée. En plus, je suis une fille de la nature, hein, j’ai vécu auprès des animaux dans une ferme : y’avait des hectares, y’avait un père d’un côté, une mère de l’autre ; nous sommes douze enfants, donc mon indépendance c’était de fait. Puis j’ai un tempérament comme ça, je peux être seule et parmi les autres à la fois, c’est pas une difficulté ni une lutte. Je me sens comme ça, à la fois indépendante, enfin, autonome, et à la fois en lien avec l’autre. Enfin, je fais un peu comme j’ai envie.

K : Que reste-t-il des années 68 dans votre vie ?
J’étais une petite femme encore à l’époque, une jeune fille plutôt parce que je devais avoir quatorze ans. J’étais en pension, chez des religieuses d’ailleurs. Et y’avait des manifestations dans la rue, et donc je me souviens qu’elles fermaient les volets pour qu’on ne voie pas ce qui passe à l’extérieur. Mais cependant, quand même, ça a traversé les murs, quoi, la révolution : c’est le vestimentaire, c’est les droits de la femme, la reconnaissance que la femme existe dans sa sexualité beaucoup plus aussi, dans le choix de sa maternité, la contraception, le droit à l’avortement, le droit à quelque chose de son corps aussi, qu’elle vit de son corps, de sa féminité… Dans le temps il y a eu de la transmission et donc on recueille les fruits de cette lutte et de cette expression aussi. Et peut-être aussi, le rapport des hommes et femmes a évolué depuis les années 68 : le rapport à l’homme, le rapport à l’homosexualité aussi, hein, donc tout ce qui touche de la sexualité, de la maternité, c’est certain…

K : Quel rapport entretenez-vous avec votre mère ?
Ah, un rapport d’amour. Un rapport de parole, un rapport de respect… Voyez, un profond amour, un amour profond. Là, je la remercie, je lui dis : " Merci " et je l’embrasse bien fort.

K : Et avec votre père ?
Aussi de l’amour, de la tendresse. Différent, parce que mon père… C’est ma mère l’être responsable à la maison. Mon père, lui, il était paysan mais en fait, un jour je lui ai demandé : "Papa, qu’est-ce que tu aurais voulu faire ?" Il m’a dit : "Chanteur accordéoniste." Voilà, ça c’est mon père. Donc mon père, ce que je garde de lui c’était, par exemple, quand on se baladait, on allait chercher les vaches au champ, il me disait : "Biche - parce qu’il m’appelait Biche - regarde dans un arbre", et c’est lui qui m’a fait découvrir les nids parce qu’ils sont très très bien cachés. Voilà, c’est… À l’époque de l’adolescence, il adorait danser et quand il y avait un mariage ou quoi, il me disait : "Biche, tu viens danser ?" Moi j’adore danser aussi, donc voilà. Mon père aussi de l’amour, aussi de l’amour, oui. J’ai été, je dois dire "privilégiée" je pense, très très gâtée, j’ai eu beaucoup d’amour de mes frères et soeurs aussi. Je suis au milieu des douze enfants.

K : Quelle éducation avez-vous eue ?
Beaucoup de liberté, très peu de censure. J’ai pu conduire le tracteur, je pouvais… On n’avait pas beaucoup d’argent, hein, on était même plutôt on va dire "pauvres" puisque les parents n’étaient même pas propriétaires de leur terre, donc ils étaient locataires et il y avait douze enfants. Donc, nous, on a partagé un lit à trois enfants et une chambre à cinq. Il fallait caser tout le monde, quoi ! Et même ça a fini parfois à la pension parce que y’avait pas toujours de la place à la maison. Puis, petit à petit, à force de travail, mes parents sont devenus propriétaires. Nous on travaillait aux champs les vacances, on travaillait tout le temps, quoi. Il y avait l’école mais les vacances, il fallait ramasser les pommes de terre, les moissons, amener les vaches, nettoyer dans les crèches, y’avait tout le temps du travail. Ça c’est une valeur qu’on m’a transmise, hein. Et puis, enfin moi, si je voulais sortir, je sortais, j’allais danser à seize ans, je pouvais aller dans les boîtes si je voulais, si j’avais besoin d’un petit peu d’argent on me le donnait - y’avait pas beaucoup, on demandait pas beaucoup de toutes façons, on savait qui y en avait pas - et j’ai très, très peu eu d’interdictions. Peut-être aussi de mon tempérament y’avait pas besoin vraiment de… Je sens de manière instinctive là où on peut aller, ce que l’on peut demander ou ce qu’on peut pas demander.

K : Y avait-il des distinctions entre frères et sœurs ?
Non, pas vraiment. Bon je rappelle c’est la ferme et peut-être en Bretagne - je sais pas, je connais pas les cultures dans les autres régions - y’a une équité entre l’homme et la femme que ça soit par rapport à l’argent, à la parole, ou… Donc les frères et sœurs c’est pareil, quoi, on avait les mêmes droits et les mêmes devoirs, enfin à peu près. Enfin, bien entendu avec des différences dans la sexualité, physiques, mais y’avait une équité, quand même, oui. Des fois quand je voyais mon père et ma mère ensemble, je voyais mon père, il était à table, ma mère lui disait : "Bon allez, il faut éplucher les patates", ou : "Tu passes un petit coup de balai", voilà. Donc ça dit un petit peu…

K : Voulez-vous transmettre les valeurs reçues de votre mère à vos enfants ?
Oui, certainement, certainement. Peut-être que ma mère a été plus mère, épouse que femme, hein. D’ailleurs elle le dit hein, que si elle avait été dans une autre époque, peut-être qu’elle aurait pas eu autant d’enfants, qu’elle se serait séparée de son homme avant. Peut-être qu’elle serait femme d’affaires, ou elle voulait être institutrice ; elle avait commencé des études d’institutrice et elle a été obligée d’arrêter parce qu’y a eu la guerre, et son père est mort et donc il a fallu retourner travailler à la ferme. Donc elle aurait pas eu ce destin-là parce que à l’école elle travaillait très très bien, donc elle avait des capacités intellectuelles. Mais elle m’a transmis ce qu’elle m’a transmis et bien sûr y’a des choses fondamentales que je transmets aussi, notamment par exemple l’amour, la parole, l’ambition de se créer. Et puis elle m’a transmis ce qu’elle a pas pu avoir, donc je me sers aussi d’un contre-modèle. Elle a fait des choix qui me convenaient pas, et je me sers de ce contre-exemple pour essayer de me construire. Donc je transmets et mes enfants, ils vont prendre, ou ne pas prendre, enfin ça dépend des caractères aussi. Celle qui fait de la philosophie, elle dit que c’est l’angoisse existentielle qui la pousse à travailler. Donc elle est effectivement élève très très brillante. Et la deuxième - c’est son rêve - elle veut être comédienne. Alors elle n’est pas aussi performante dans les résultats. Là, elle a eu son Bac à ras-le-sol, mais c’est une énergie de rêve qui la stimule. Et le troisième il est entre les deux, je trouve, pour l’instant.

K : Quelles sont les différences et les ressemblances entre vous et votre mère ?
Ma mère, elle était très mère, très épouse et peut-être pas assez dans le conflit et donc… Moi je suis mère, mais c’est pas mon rôle à cent pour cent. J’aurais un temps de maternité, et là maintenant je suis un peu en retrait puisque les filles grandissent donc je me retire. Ma mère est restée très très mère, même avec ses fils ou ses filles qui ont trente ou quarante ans, elle reste vraiment dans cette maternité, dans cette toute puissance maternelle qui, moi, ne me convient pas. Donc elle m’a appris - et ça m’aide d’ailleurs maintenant - de prendre un peu de distance avec mes filles qui deviennent plus grandes, qui ont moins besoin de moi. Voilà, donc je me sers de ça, hein. Elle était très épouse aussi, c’était vraiment… Elle s’est beaucoup beaucoup adaptée à la personnalité de mon père, maternante avec lui, et elle, finalement, elle s’est oubliée : elle oubliait son corps, elle oubliait son parcours. Elle a fait le don d’elle-même et d’ailleurs c’est ce qu’elle dit quand elle parle d’elle. Moi je suis pas d’accord avec ça, donc j’essaye de me servir un peu de ce don pour faire du contre-don, voilà.

K : Comment vivez-vous l’égalité entre hommes et femmes ?
Pour moi la question ne se pose même pas sur ce plan, l’égalité elle est là puisque on est : y’a un homme et une femme, y’a du féminin et du masculin. Sur le plan personnel j’ai aucune difficulté à ce niveau-là. Je parlerais plus de complémentarité et de différence dès que y’a du chemin à faire au niveau du politique, de l’économique et du culturel. On n’a pas bien fait notre travail. Mais moi je me sens différente d’un homme et complémentaire, et ensemble on a à construire les choses.

K : Comment réagissez-vous au regard d’un homme sur vous ?
Ça me plaît, tout à fait oui oui, c’est… J’aime rencontrer le regard des hommes et de l’homme en particulier. Bien sûr qu’il m’intéresse, et moi aussi je le regarde.

K : Soignez-vous votre apparence ?
C’est pas une question de soin, c’est que j’aime m’habiller, j’aime me faire belle, j’aime choisir des habits qui me vont bien, j’aime… Oui oui, je m’occupe de moi. Et dans l’apparence et aussi de l’intérieur parce que c’est le sourire, c’est le regard, c’est… Donc l’habit, le regard, le sourire, la voix, les mots, c’est tout ça, quoi, c’est tout ça le personnage que je suis. Essayer de rencontrer l’autre et voilà.

K : Que pensez-vous de la coquetterie ?
C’est sympa comme tout.

K : Quel est le rôle de vos amies dans votre vie ?
Eh ben… profonde affection. Ma première amie je l’ai eu en seconde, et elle est en Bretagne là et on a toujours des liens, et elle connaît tout de mon intimité, et je connais de son intimité et on se voit chaque année quand on peut ou on se téléphone. J’ai une autre amie qui est en Martinique en ce moment, qui est originaire de là-bas, et elle était déléguée à la tutelle à l’époque où je l’étais aussi. Elle est un petit peu plus jeune que moi. On a gardé une profonde amitié aussi, elle m’a dit de son intimité, moi je lui ai dit de la mienne et on s’est donné de l’affection donc cette amitié-là, elle dure toujours. Et j’ai rencontré une autre femme à Marseille. Elle est psychologue, psychanalyste et pareil, on a construit notre amitié sur un sentiment profond d’affection et d’intimité et donc voilà, on est toujours là.

K : Êtes-vous solidaire avec vos amies ?
Oui. La question, si y’a besoin d’un petit peu de sous, un besoin d’écoute, un besoin de… Oui oui - enfin, ça peut être parfois dans l’écoute d’une confidence, d’être là quand il y a un moment de souffrance, un moment de détresse, un moment difficile, ou même un petit peu matériellement, enfin, dans la mesure où c’est possible, ou pour créer des liens dans le travail, et caetera et caetera. J’essaie.

K : Faites-vous partie d’une association féministe ?
Non, mais je milite à Amnesty International, et là on milite pour les droits de la femme. Je milite dans différentes associations où le dénigrement, la violence contre la femme, sont dénoncés. Donc là, bien entendu, c’est un combat quand même. Je crois qu’on peut parler encore de combat, enfin c’est un peu guerrier mais, moi, ça m’interpelle des femmes qui sont emprisonnées dans un voile et qui peuvent pas parler ; si c’est leur choix… Et encore, qu’est-ce que ça veut dire "le choix" ? Ou elles sont enfermées dans une fonction de mère ou d’épouse et elles peuvent pas se réaliser, ou elles n’ont pas le droit de parler, ou de se faire belles si elles ont envie, ou de séduire parce qu’elles sont jolies.

K : Quels sont vos loisirs en dehors du travail ?
J’ai pas beaucoup de loisirs. À une époque j’allais beaucoup au théâtre. J’essaie de faire des balades avec mon chien, me balader, me détendre, écouter de la musique beaucoup, j’écoute quand même pas mal de musique. Je lis mais des revues professionnelles. Ah ! si, quand même : j’ai toute une bibliothèque sur les artistes ; enfin, régulièrement je prends des bouquins, des revues sur l’art plastique, des peintres, des sculpteurs, mais j’ai même plus la disponibilité d’aller voir une exposition. Peut-être c’est de ce côté-là qu’il faudrait que je sois un peu plus vigilante, que je prenne un peu plus de temps de loisir.

K : Êtes-vous attachée aux traditions ?
J’y suis attachée dans la mesure où je peux trouver de l’énergie pour les bouleverser, et qu’elles m’apportent cette énergie là d’évoluer, c’est de côté-là que je verrais le mot tradition. C’est de les rencontrer, de les polémiquer, de les critiquer dans le sens philosophique du terme.

K : Des regrets ?
Professionnellement, non : j’ai fait et j’exerce le métier que je désirais. Et je souhaite toujours rester dans une pratique de thérapeute sur le terrain, quoi, enfin, sur la terre, rencontrer les êtres. Dans ma vie privée, si je regrette… ? _Je sais pas… Y’a toujours… Oui certainement, bien sûr qu’y a des regrets, mais bon, si regrets il y a, c’est de les métaboliser, de les transformer, de les faire amis et de les rejouer, de les retransformer en quelque chose de meilleur.

Propos recueillis par Dalila Bouhmadou le 04/10/06 ; rédaction : Odile Fourmillier et Patricia Rouillard.

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