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Le dernier du 43 - Mutations urbaines - La république en chantier - Les sentences de l'habitant - La revue du témoignage urbain

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Les sentences de l'habitant

Le dernier du 43

A sa façon, M. Hedroug est une sorte de Robinson Crusoë de la rue de la République. Seul occupant de son immeuble, il se bat pour maintenir en état les lieux, au milieu des squatteurs, et abandonné par des propriétaires fantômes. M. Hedroug n’est pas dupe, et cela fait longtemps qu’il ne se berce plus d’illusions. Il veut seulement qu’on l’entende et qu’on le respecte enfin.


les chaines. photo : JLopez
 les chaines. photo : JLopez

Koinai : Bonjour M. Hedroug, vous habitez au 43 rue de la République ?
Exactement, au 43, ça va faire 12 ans. Depuis 97.

K : Et vous êtes le dernier occupant de l’immeuble ?
Oui, l’immeuble qui est au 43. Et il y a un autre monsieur au 45, plus les squatters. Y en a en pagaille, des squatters. C’est pas ça qui manque.

K : Et comment ça se fait que vous soyez le dernier ?
Ben, je suis le dernier locataire parce qu’on ne m’a pas encore relogé. Parce qu’ils devraient me reloger. Donc, on m’a fait des propositions, mais ça m’intéressait pas. J’ai un appartement qui est immense, qui est propre et tout. J’ai tout refait, j’ai sacrifié toute ma jeunesse quand je travaillais, quand j’étais en bonne santé. Je suis en invalidité pour l’instant. Je peux pas travailler parce que je suis malade. Donc, je suis reconnu comme travailleur handicapé et je touche une petite pension d’invalidité. Ca me donne pas les moyens d’aller ailleurs. On m’a proposé des loyers de 700, 800 €, j’peux pas. Là, je paye que 350 € par mois. C’est des bas loyers, vous voyez. Et puis j’aimerais bien rester dans le quartier. Mon épouse travaille juste à coté, elle est à 10 mètres du boulot. On m’a proposé des relogements dans des quartiers qui m’intéressaient pas ou dans des immeubles, et pareil, c’était du vieux et tout. J’ai préféré rester à la rue de la République. Ils ont besoin de retrouver le patrimoine comme ils disent, mais c’est pas une raison de me mettre dehors.

K : Alors, au niveau de la loi, dans quelle situation êtes-vous ?
J’ai reçu un congé qui me disait que mon bail se terminait fin 2009. Dernièrement, j’ai eu une offre, une proposition. J’ai été contacté par les propriétaires pour qu’on aille voir avec "Marseille République" s’ils pouvaient s’arranger et tout. Sinon, je sais pas où ça va aller. J’suis aidé par "Un Centre Ville pour Tous" qui me suivent depuis toujours. J’suis résistant avec eux ; ils ont réglé pas mal de dossiers.

K : Est-ce que vous êtes expulsable ?
Pour l’instant, non. Moi, je sais que mon bail va jusqu’en 2009 et pendant la période hivernale ils ont pas le droit d’expulser les gens. Donc, ça va aller jusqu’en avril 2010, le temps que les procédures se fassent. Par contre, y a des propriétaires qui ont omis d’envoyer des congés à deux ou trois locataires qui sont à coté, et ils leur ont fait un prolongement de bail. Donc, eux, ils sont prolongés jusqu’en 2014. Ils vont pas continuer les travaux tant que les personnes sont à l’intérieur. En plus, ce qu’ils veulent eux, c’est récupérer leur terrain pour en faire une résidence et tout relouer à 1200 €, 1300 €. Mais, le Préfet a toujours dit que tous les locataires qu’y habitent à la République seront relogés, qu’ils sont légitimement inexpulsables, si vous voulez. Y a des lois, ça peut demander des années.

K : Vous pensez pouvoir être relogé dans de bonnes conditions ?
Oui, moi j’ai demandé à être relogé dans de bonnes conditions, dans les mêmes conditions au niveau de la superficie... On m’a proposé un appartement qui est neuf, qui se trouve à la Belle de Mai dans le 3 ème. C’est des chambres de 8 m2. 8 m2, j’peux pas y vivre. Soyez compréhensifs, non ? J’pourrais même pas mettre mes meubles et tout. J’ai investi, j’ai travaillé au port pendant 25 ans, j’étais en bonne santé et maintenant, j’en ai 51. Et puis, si vous voulez, j’pourrais pas subvenir à mes loyers. Là, ils essayent de dire, "M. Hedroug, vous faites pas d’efforts de votre coté ". Moi, j’aimerais bien faire un effort. S’ils me proposent un loyer qui est raisonnable et un appartement qui est raisonnable, y a pas de problème. Je suis capable de négocier avec eux. Mais ils parlent, rien n’est fait par écrit. Ca tourne en rond, si vous voulez.

K : Donc, en fait, ils font un peu durer en espérant que les gens se lassent et s’en aillent ?
Exactement, y en a beaucoup qui ont été pris à contre-pied et qui sont partis. Y en a beaucoup qui ont résisté, et qui ont été relogés. Bon, ça m’intéresse, le relogement. Tout ce qui est en face, c’est social, donc, c’est l’OPAC, c’est LOGIREM. Moi, j’aimerais rester dans le social vu que j’ai pas de revenus et mon état de santé ne me permet plus de travailler. Je suis là, ça fait 12 ans, mais j’ai souffert. J’ai souffert avec tous les travaux qu’y avait, au niveau du tramway, au niveau de l’appartement, de l’immeuble qui est dans un état... Tous ceux qui connaissent le périmètre - mêmes les propriétaires - reconnaissent l’état des lieux, de l’appartement, de l’immeuble, qui sont dans un état catastrophique. Y a pas de lumière dans les cages d’escalier, l’ascenseur qui marche pas, y a des fuites de gaz... C’est pas dans les normes. Y a des problèmes monstres. Tout le monde le sait, même le maire, et personne ne fait rien du tout. Donc, ils font, ils font tout pour nous mettre dans la rue, chose que je n’admets pas. Nous sommes en 2008, hein ?

K : C’est aussi pour ça, en fait, qu’il y a aussi des squatters, alors ?
Les squatters, j’ai jamais eu de problème avec eux, mais ce qui est embêtant, c’est qu’ils peuvent être dangereux aussi. Quelqu’un qui n’a pas où aller, il peut être agressif. Moi, personnellement, je suis pas la police pour pouvoir les déloger, les expulser. Je sais qu’ y a une justice, c’est à eux de procéder. J’ai un enfant de 15 ans et donc, à chaque fois qu’il arrive, qu’y a pas de lumière et tout, je suis obligé de descendre jusqu’en bas pour le récupérer. Mon épouse, je suis obligé de descendre aussi la récupérer. Y a un monsieur qui habite au 45 et lui aussi, c’est pareil. Nous sommes les deux sur les 25 appartements qui restent. Deux locataires, c’est tout. Moi, j’ai demandé à être relogé. Je suis un garçon qui n’est pas compréhensif, d’après l’OPAC. Par contre, j’ai essayé de négocier avec eux. Donc, j’ai vu le médiateur de Buildinvest qui est le propriétaire de cet îlot, et on va voir où ça va aller, s’il y a du nouveau.

K : Vous parlez de Buildinvest, alors c’est un nouveau propriétaire ?
C’est pas la première fois. En l’espace de deux ans, y a eu quatre propriétaires. Ils se renvoient la balle et tout le monde pense que ça va être l’Amérique ici. Alors qu’ils se trompent, il faut beaucoup, beaucoup de moyens. Il y a des immeubles qui sont fermés, des appartements, ça fait plus de quinze et vingt ans. Ils n’ont rien fait, donc, c’est pas aujourd’hui qu’ils vont faire. Enfin, avec la crise économique et tout, ça va être difficile, c’est qui qui va payer ? Le pape Jean Paul II ? Y va pas revenir sur terre !

K : C’est sûr qu’il va pas revenir, mais, alors, à votre connaissance, est-ce que les nouveaux appartements qui ont été faits pour les populations à plus gros revenus sont occupés ?
A c’qu’ils disent tout est plein. Alors que moi, je constate que rue de la République, y a pas mal d’appartements qui sont inoccupés. Vous pouvez le voir, si vous vous baladez sur cette partie, la moitié de la place Carnot qui a été refaite jusqu’au Vieux-Port, c’est les bourges. Rien n’a été fait, faut vivre ici le soir. L’insalubrité, c’est pourri, c’est dégueulasse, y a trop de bruit et tout. Je me demande comment les gens veulent investir 400, 500 000 euros pour venir habiter à la rue de la République. Ils se trompent. Tout ce qui est du côté de la Joliette, tout ce qui est Euroméditerranée, y sont en train de faire du building.

K : En fait, ils attendent que vous vous découragiez ?
Exactement. C’est ce qu’ils ont fait. Moi, je résiste, les autres sont partis. Mais, moi, je peux pas me retrouver une main devant, une main derrière. Inadmissible. Comment je vais faire avec tout ce que j’ai investi ? Et, moi, surtout le centre-ville, ça fait trente ans que j’habite le centre-ville.

K : Et vous, comment vous voyez l’avenir de cette rue de la République ?
La rue de la République, je pense qu’y faut beaucoup de temps pour remettre tout en ordre. Y a des magasins, ils sont fermés depuis 15 ans. Y a des immeubles qui sont même pas refaits. C’est pas aujourd’hui ou demain qu’ils vont les refaire. Y faut venir, faut consulter l’état de la rue, comment ça se passe la nuit et tout. On peut pas mettre toute sa fortune pour acheter à la rue de la République. Peut-être pour des gens qui viennent hors de Marseille... Sinon, maintenant le quart, le quart des logements, c’est du social. Avec la crise économique qu’y a, les banques sont en train de revendre. Ils ont fait même des appels d’offre, d’après les informations que j’ai eues, pour les, pour les bailleurs sociaux.

K : Selon vous, ils n’arrivent pas à revendre ?
Je pense que oui. Je pense que oui parce qu’il y a des appartements qui ont été refaits complètement et qui sont pas vendus. Moi, si j’avais la possibilité de pouvoir m’offrir un appartement, j’pense pas acheter à la rue de la République. Y a mieux ailleurs, quand même. En plus, c’est des appartements qui sont à 4000 € le m2. Faut faire le calcul, hein ? 80 m2, ça fait 320 000 € sans compter les frais et tout. A 4000 € le m2, on est pas à New York !

Q : Donc, il faut le vouloir et avoir les moyens, quoi ?
Exactement. Moi, j’ai 51 ans. Je pourrais pas me le permettre. J’ai pas les moyens, les ressources et tout. J’aimerais avoir des voisins qui ont vécu ici, qui ont grandi ici, qui sont nés ici. Nous avons juste le Panier qui est derrière, l’ancien Marseille, si vous voulez. Tous les gens qui viennent , les touristes, la première des choses, c’est d’venir ici. Dans toutes les villes du monde, quand on arrive, on aimerait bien visiter l’ancien. L’ancien, ç’a été refait. C’est bien le Panier, mais par contre, tout ce qui est dans ce secteur, c’est insalubre et c’est mort. C’était une rue où il y avait beaucoup de commerçants, ça marchait. Maintenant, c’est mort. A 19 heures, y a plus personne ici.

K : C’est ce que disent les commerçants de la rue de la République, il n’y a pas suffisamment de commerces de proximité.
Comment qu’elles font les personnes âgées qui sont dans le périmètre quand y faut qu’elles aillent faire leurs courses ? Les petits commerces ont été tués. Fini, y a plus personne ! A part les pharmacies, y a 7 ou 8 pharmacies. Pas de boucher, une seule charcuterie, une seule charcuterie dans toute la rue de la République ! Une seule. Un fruits et légumes, y en a pas dans toute la rue de la République, y a pas un fruits et légumes. Y a pas ! La République, ils ont tué tous les commerces. Les gens, ils en ont marre, y partent. Fini. Avec le temps qu’y fait, une vieille de 80 ans, la pauvre, traverser toutes les ruelles pour acheter un kilo de carottes, un kilo de pommes de terre... C’est pas bien, ça. Y a des gens, ça fait 60 ans qu’ils habitent à la République, y vont les mettre dehors ?

Propos recueillis le 10 décembre 2008 par J.Becker.

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