Marie-Noëlle, 60 ans, est puéricultrice à Marseille dans un centre maternel pour très jeunes mamans et leurs bébés. Depuis vingt ans elle accompagne ces parentes isolées sur le chemin de l’autonomie. Dans ce foyer n’incluant pas les hommes, elle insiste sur la nécessité d’intégrer le père, quand il se fait connaître. Pour que les femmes ne soient plus victimes de la volonté du Saint-Esprit...
Koinai : Quel a été votre parcours professionnel ?
J’ai commencé à travailler comme rééducatrice pendant six ans dans un centre d’enfants infirmes moteur-cérébraux. Ensuite, j’ai travaillé en Algérie pendant deux ans. Je suis venue en France en catastrophe parce que j’ai eu deux jumeaux prématurés, et ensuite j’ai eu quatre enfants, donc je me suis arrêtée de travailler pendant une douzaine d’années pour élever mes enfants jusqu’à ce que le dernier soit au CP. Ensuite je suis venue travailler au Foyer Centre Maternel.
K : Comment avez-vous concilié vie de famille et activité professionnelle ?
Je suis mère de quatre enfants et d’un cinquième que j’ai élevé parce que mon neveu s’est retrouvé orphelin. Donc je suis mère de cinq enfants. À l’époque, c’était impossible de trouver une place en crèche. D’autre part, je considérais que avoir quatre enfants, ce n’était pas pour les confier à... à j’sais pas qui parce que je n’avais pas de parents qui m’auraient aidée, forcément. Donc j’avais plutôt choisi de vivre, non pas en communauté, mais avec d’autres dames qui étaient dans la même situation que moi, pour qu’on puisse être solidaires entre nous par rapport à des gardes d’enfants et tout. Mais je n’ai repris mon travail qu’à mi-temps en 1986.
K : Pourriez-vous revenir sur l’expérience algérienne ?
C’était dans un "Bon Pasteur". Des sœurs blanches y tenaient un énorme orphelinat avec une centaine de jeunes filles non chrétiennes, qui étaient Algériennes, musulmanes. En tant qu’éducatrice, j’avais en charge vingt-cinq jeunes filles en internat dont cinq ou six avaient eu un bébé par inceste et avaient été quasiment incarcérées dans ce Bon Pasteur parce qu’elles avaient fait passer leur bébé par la chasse d’eau des cabinets ou par... Elles avaient été obligées de supprimer leur enfant et elles étaient responsables, puisque c’étaient elles qui étaient tombées enceintes de leur père ou de leur frère. Mais bon... ça, ce n’était pas dit.
K : Quel est le portrait type des personnes accueillies au centre marseillais ?
Moi, ça fait vingt ans que je travaille ici, et je peux vous dire que ce foyer, c’est une loupe sur toute l’immigration. Dans les années 80, on a reçu beaucoup d’Asiatiques qui avaient enfin leurs papiers parce qu’elles étaient enceintes, beaucoup de Cambodgiennes qui avaient été violées dans les camps. Ensuite on a eu beaucoup de Maghrébines ; quand elles arrivaient chez nous, elles pouvaient garder leur enfant. Là, on n’a plus du tout de Maghrébines dans la mesure où, depuis les événements en Algérie en 88-89-90, y’a plus de visa possible ; il y a impossibilité pour les jeunes mamans de venir accoucher sous X en France. Donc, je ne sais pas ce que deviennent ces jeunes mères ; je suppose qu’elles doivent vivre des trucs effroyables en Algérie. Mais on ne reçoit plus de Maghrébines, sauf celles qui sont d’origine maghrébine et qui viennent des cités un peu difficiles, des quartiers nord ou de toute la France. On reçoit aussi, depuis 1990, beaucoup de Mahoraises, puisque Mayotte est un département français, et beaucoup de jeunes des pays de l’Est qui grâce au fait qu’elles soient enceintes sortent un peu du système de la mafia. On reçoit aussi beaucoup d’Africaines qui sont recrutées dans les villages pour se marier en France avec des vieux paysans et qui se retrouvent dans le Massif Central avec des mecs de 50 ans, donc elles s’enfuient de cette situation. Bref, y’a un peu toutes les origines... Il y a aussi énormément de petites jeunes françaises qui ont vécu dans des quartiers difficiles, dans des foyers et qui se retrouvent dans des grandes détresses dues à leur milieu familial. Elles ont été suivies par des services, les parents aussi, et elles ont rencontré de grandes difficultés dans leur famille, ont manqué de soutien de la part de leur famille ; elles se retrouvent un peu en errance, un peu à la rue. La moyenne d’âge c’est 16 ans, en gros.
K : Quel est votre rôle au sein du centre maternel ?
Ça consiste à être à la fois dans une position médicale, psychologique, éducative pour être dans un accompagnement d’une très jeune maman avec son bébé, puisque ce centre reçoit des mamans qui sont mineures ou jeunes majeures et qui arrivent de situations extrêmement difficiles de par leur parcours d’enfance. Mon poste de travail est un peu atypique puisque c’est très différent d’une jeune femme à l’autre. Au début j’étais seule, ensuite on était deux. Parce qu’au départ le centre maternel accueillait moins de personnes. Et puis on a déménagé il y a six-sept ans. Il y a huit appartements sur place, donc y’a plus de capacité d’accueil et il y a plus de jeunes femmes à l’extérieur. En principe, un deuxième poste était prévu pour qu’on travaille en tandem. Malheureusement cette personne est en longue maladie depuis longtemps. Donc je me retrouve seule, finalement. De toute façon je ne suis pas seule dans l’équipe ; il y a énormément d’éducateurs, de psychologues, de chefs de service et de secrétaires qui participent au travail autour de l’accueil des jeunes mères avec leurs enfants. Donc je ne suis qu’une personne parmi une équipe, et on travaille énormément en lien avec les éducateurs. Par exemple, une jeune maman, quand elle arrive, elle a deux référents éducateurs et moi, la puéricultrice. On travaille vraiment en collaboration, en réfléchissant au mieux avec la jeune maman : comment on peut l’aider à s’en sortir et être autonome quand elle sortira du foyer...
K : De combien de femmes avez-vous la charge ?
Je m’occupe en principe que de la moitié des résidentes accueillies. Mais, comme je suis seule, je m’occupe de toutes les résidentes. Ce qui fait en moyenne vingt-deux mères et quarante-quatre enfants. Ça dépend... On reçoit les enfants dès la sortie de la maternité, puisqu’on ne reçoit pas les mères avant l’accouchement. Donc ça va de zéro à... La plus âgée a huit ans, parce que la mère, quand elle est arrivée, avait douze ans.
K : Dans quel état d’esprit ces personnes arrivent-elles chez vous ?
En général, elles arrivent surtout pour trouver un toit sur leur tête, parce qu’elles sont dans des situations difficiles, voire douloureuses, voire effroyables ; ça dépend d’où elles viennent. En tous cas, elles sont en rupture de leur famille, ça c’est sûr. Et quand elles arrivent, c’est surtout un toit, se poser et qu’on les emmerde pas trop. C’est clair que nous, on n’est pas là pour les forcer. Donc, ou elles acceptent un petit peu un règlement, un contrat de travail éducatif avec les éducateurs, ou elles n’acceptent pas. Si elles n’acceptent pas, on ne les force pas à rester. En général, les premiers mois, c’est pas facile. Surtout d’avoir un enfant qui est déjà en foyer. En même temps, ici, ce sont des appartements autonomes. Ça n’a rien à voir avec des foyers comme on peut le penser. Elles sont vraiment chez elles, en appartement, notamment avec chambre pour enfants. Au bout du compte, très vite elles se rendent compte que ce n’est pas ce qu’elles avaient craint, imaginé. Et en général, elles sont plutôt bien.
K : Les jeunes femmes que vous hébergez vous demandent-elles des conseils pour s’occuper de leurs enfants ?
Oui, bien sûr. Pas toutes. Y’en a qui ne demanderont pas de conseil, enfin si on leur en donne un, elles ne l’écouteront pas. Mais c’est pas forcément d’apporter une réponse, c’est plus de faire avec elles sans pour autant dire les choses, ou y’a des choses qui se comprennent parce qu’on les voit. Une maman, quand elle arrive, elle pense que le bébé ça comprend rien, et puis si elle voit les éducateurs parler au bébé, qu’elle voit le bébé réagir, c’est plus ce qu’elle pensait. À travers ce qui est fait dans la salle d’accueil de permanence qui est une salle très importante puisqu’il s’y passe beaucoup de choses, que ce soit dans la salle ou dans le jardin, sans donner de conseil, y’a des choses qui se comprennent. Et c’est beaucoup plus important que donner un conseil qui ne va pas forcément être écouté.
K : Quelles difficultés perturbent l’accompagnement ?
Les plus grandes difficultés, ce n’est pas forcément le travail que je fais avec elles, parce que je trouve ce travail passionnant. Ces jeunes mamans sont extraordinaires. Franchement je leur tire mon chapeau ; envers et contre tout, malgré les aléas de la vie, elles sont sacrément courageuses. Les plus grandes difficultés que je rencontre, c’est pour les aider à obtenir un logement, à avoir une place en crèche de façon à ce qu’elles continuent leur formation, à ne pas avoir d’étiquette dans les écoles ou les crèches parce qu’elles viennent d’un foyer. Donc je me bats plus sur leur environnement pour qu’elles n’aient pas à pâtir en plus d’un racisme supplémentaire. Pour moi c’est une forme de racisme, compte tenu que, des fois, je m’entends dire dans les écoles et dans les crèches : "On ne veut pas de cas sociaux."
K : Combien de temps le centre assure-t-il la prise en charge ?
Alors, c’est pas un cadeau qu’on leur fait ! C’est elles-mêmes qui arrivent à être autonomes. Chaque situation est différente. Je vais vous donner un exemple : une jeune mère est arrivée à l’âge de treize ans ; on a arrêté la prise en charge à l’âge de vingt-et-un ans parce qu’on ne peut pas aller au-delà. Mais cette jeune maman a réussi à être en licence de droit. Donc ça veut dire qu’on a une longue prise en charge. On peut avoir des mamans qui ne restent là qu’un an ou deux parce qu’elles ont besoin d’un soutien plus matériel ou psychologique, mais elles sont plus âgées et presque capables de se débrouiller... Ça peut varier. Ceci dit, on arrive de moins en moins à prolonger les prises en charge. Y’a des réductions de budget de partout. Toute prise en charge coûte cher, donc le Conseil Général a tendance à nous empêcher de continuer un travail qui, à mon avis, est plus intéressant si on le prolonge un peu plus. Ça donnera une autonomie réelle à la jeune maman. Donc, en moyenne, ça peut durer d’un an à cinq, six ans, ça dépend de l’âge d’entrée et puis de la volonté de la jeune maman à travailler avec le foyer. Parce qu’ici, ce n’est pas une prison. Les jeunes femmes qui sont là sont d’accord pour avoir un contrat éducatif avec l’équipe.
K : Après la sortie du centre, des liens sont-ils entretenus ?
Absolument ! Alors là, c’est incroyable, comme ça laisse des traces très importantes pour elles. Il y a deux, trois ans, nous avons organisé les cinquante ans de l’association et toutes les anciennes sont venues témoigner. Beaucoup viennent avec leurs enfants. Dernièrement, une ancienne est venue avec sa fille de dix-huit ans qui voulait revoir toutes les personnes qui s’étaient occupées d’elle. Les mères nous donnent toujours des nouvelles ; c’est rarissime, quand on a perdu la trace de quelqu’un. Elles sont très attachées à ce lieu où, quand elles sont arrivées, elles étaient toutes griffes dehors. En fait, elles ont pris confiance dans ce lieu, et pour elles c’était une période très importante de leur vie.
K : Diriez-vous que la situation des femmes en précarité est stable ou en augmentation ?
C’est en augmentation, ça c’est sûr. Le décalage s’accentue, compte tenu qu’on reçoit aussi des jeunes femmes qui ont des problèmes de papiers. On a de plus grandes difficultés pour qu’elles aient des couvertures-maladie, qu’elles, ou leurs enfants, aient accès à une nourriture correcte... La précarité s’accentue. C’est un constat plutôt négatif.
K : Vous êtes obligée de refuser à des jeunes filles...
Tout le temps. Il y a des listes d’attente énormes. La prise en charge est longue ; nous ne travaillons pas sur le court terme, puisque ça sert à rien, et les places ne sont pas énormes, il y a huit appartements ici et douze à l’extérieur. Donc c’est limité. En France, il y a 3000 grossesses adolescentes par an, même s’il y a la contraception, l’information qui est soi-disant faite dans les collèges, ce dont je doute. Le chiffre est constant depuis longtemps, depuis des années.
K : Vous arrive-t-il de sortir une maman du dispositif ?
C’est déjà arrivé. Il arrive des fois que des mères soient dans la maltraitance avec leur enfant, c’est rare mais ça arrive. Mon travail avec l’équipe, c’est de repérer quand même s’il y a quelque chose d’impossible... Je vous donne un exemple parce que c’est déjà arrivé : une maman qui a eu un enfant issu d’un viol aura beaucoup de mal à voir grandir son enfant. Ce n’est pas fréquent mais ça peut arriver. Parfois il y a des choses très douloureuses entre une mère et son enfant, selon ce qui s’est passé avant l’arrivée de l’enfant. Là, on propose un accompagnement pour que la maman trouve un autre lieu pour son enfant, de façon à ce qu’il y ait une famille d’accueil qui puisse prendre le relais, qu’elle ait son enfant peut-être que le week-end. Donc ça peut arriver qu’il y ait un placement d’enfant, une proposition de famille d’accueil avec l’accord de la maman.
K : L’accord de la maman est-il toujours requis ?
Ah, ben oui, bien sûr. On ne travaille pas comme avant où il y avait la DASS qui prenait l’enfant... Non, ça n’existe plus. Sauf s’il y avait un danger énorme. Il y a dix-huit ans, j’avais repéré un bébé d’un mois qui était bizarre. J’ai téléphoné discrètement au pédiatre. On a découvert avec horreur que ce bébé était fracturé de tous les côtés. L’hôpital a appelé le juge, et l’enfant a été placé. Ce sont des situations rarissimes, mais ça fait aussi partie de notre travail. Mais ça fait des années que je n’ai pas vu ça, parce que les mentalités ont changé. La manière de travailler aussi ; il ne faut pas oublier qu’avant, à l’issue de la guerre, il y avait beaucoup de filles-mères avec des enfants issus d’un viol ou avec les Allemands et tout... Donc y’avait beaucoup d’abandons, beaucoup d’accouchements sous X. L’association s’est ouverte y’a cinquante ans à Marseille, et justement pour éviter les abandons et proposer un toit aux mères, de façon à ce qu’elles prennent en charge leur enfant. Ensuite on a employé le terme de mères célibataires, puis de mères isolées et actuellement, de parents isolés. Ça signifie que les jeunes mères sont aidées avec une "allocation de parent isolé" de la CAF qui existe depuis 1985, versée pour qu’elles puissent s’occuper de leur enfant. Chose qui n’existait absolument pas avant. Mais avant, si vous aviez un enfant, il fallait payer un peu votre péché. Donc ces mentalités ont énormément changé.
K : Est-il plus difficile d’être mère aujourd’hui ?
Ah, sacré question ! Il y a plusieurs versants qu’il faut relever. D’abord à mon époque, dans les années 70, il n’y avait pas la pilule, pas de contraception. Les IVG n’existaient pas. Y’avait pas de crèche. Soi-disant, on est très en avance en France, mais au niveau de la femme, ça a été des combats qui se sont gagnés après 68, de haute lutte. À mon époque, la contraception, c’était pas évident du tout, c’était pas la même mentalité non plus. Avant, les familles nombreuses, c’était un peu le lot des femmes ; elles avaient pas trop le choix de continuer à travailler ou d’imaginer qu’elles auraient un avenir professionnel. Actuellement ce n’est plus du tout le cas, mais je trouve que c’est beaucoup plus difficile pour les jeunes parce que d’une part, il y a un problème de logement aigu qu’il n’y avait pas avant, par ailleurs il y a un problème d’emploi énorme, puisque je me rappelle, à mon époque, je pouvais changer de travail sans problème, je n’avais aucune crainte d’être au chômage, du tout ! Les jeunes femmes de maintenant, surtout si elles sont enceintes jeunes, arrêtent leurs études très souvent et quand elles arrivent sur le marché du travail avec un enfant, elles sont doublement pénalisées. Il y a eu des années extraordinaires pour les femmes, mais parce qu’elles se sont battues, et les jeunes de maintenant ne reprennent pas le combat ; ils pensent que tout est acquis. Ils se fourrent le doigt dans l’œil bien bien, parce que tous les acquis qu’on a obtenus de haute lutte, ils sont en train de se perdre, mais alors en beauté !
K : Vous-même, avez-vous participé à cette lutte ?
Énormément. Je me suis mobilisée pour le premier avortement, le procès qu’il y a eu à Bobigny, sur Paris ; à Aix-en-Provence pour la fameuse Marie-Claire. [1] On s’est énormément mobilisé. J’ai beaucoup milité pour des associations de femmes. Je me suis beaucoup battue pour le droit à la contraception, le droit à l’information, le droit au travail pour les femmes, pour organiser des crèches sur les facultés pour que les filles continuent à pouvoir étudier. Je me suis aussi beaucoup battue pour que les pères aient aussi leur place par rapport à l’éducation des enfants. Enfin voilà, je suis une vraie militante !
K : Justement : où sont les hommes ?
Où sont les hommes ?! Eh bien, ici. Ici, on est habilité pour s’occuper de la mère et de l’enfant. Comme si l’enfant était venu de la Sainte Vierge, comme si les hommes étaient absents. Or, pour nous, c’est évident qu’on va tout faire, s’il y a un père pour l’enfant. Mais on est en dehors de l’agrément que l’on a, puisqu’on est financé pour s’occuper que de la mère isolée avec son enfant. Or, nous, on n’est pas d’accord. Quand une mère va à l’extérieur, on fait tout pour que le compagnon puisse s’installer avec elle. Pour nous c’est très important que le père ait sa place au niveau de l’enfant. Parce qu’un enfant, ça ne vit pas qu’avec sa mère.
K : Quelle opinion les femmes que vous recevez ont-elles à propos des hommes ?
Je ne peux pas répondre pour elles. Tout dépend du vécu qu’elles ont eu dans leur famille, avec leur père, avec leurs frères. Déjà, ça va beaucoup ordonner une orientation par rapport aux hommes en général. Ensuite, selon ce qui s’est passé avec la naissance de leur enfant et l’homme qui n’a pas reconnu l’enfant, ou qui s’en est détourné ou désintéressé, et qui l’a laissé se dépatouiller, ou au contraire qui ne la laisse pas tomber, ça va énormément changer son regard sur les hommes. Ce que je pense des jeunes hommes à l’heure actuelle : je suis assez inquiète, je constate que dans les lycées, dans les collèges, il y a une espèce de banalisation des violences entre les garçons et les filles. Quand la jeune Sohane a été brûlée dans une poubelle dans les quartiers, je ne sais plus où, à Paris ? Quand il y a eu la reconstitution des faits, tous les jeunes hommes de la cité ont hué ; il se sont mis du côté du jeune garçon sans prendre conscience qu’ils ont assassiné une jeune fille... Moi, je me suis toujours battue pour l’égalité, mais en ayant la notion que les hommes et les femmes sont différents. Ils sont à droits égaux, mais ils sont différents dans les sexes, et je suis assez inquiète de voir qu’il y a beaucoup de jeunes garçons - et même d’ailleurs de jeunes filles aussi - qui rentrent dans la violence sans état d’âme. Ça ne veut pas dire que c’est tout le monde, mais il y a un petit courant qui commence à devenir inquiétant. Il faudrait que la société, et les jeunes, réfléchissent parce que c’est les jeunes générations qui vont en subir les effets. Il faudrait que le combat continue, en tout cas de prise de conscience de ce genre de chose.
K : Quel est justement le rôle de l’homme ?
Ce rôle est très important. Il y a beaucoup de familles monoparentales, beaucoup de familles avec des liens compliqués entre les familles séparées. Donc, s’il y avait plus de maîtres dans l’éducation nationale, dès la petite enfance, c’est-à-dire dans la maternelle ou le primaire, ce serait bien. Ça serait déjà pas mal que les enfants aient dans leur environnement des hommes. Pour moi, c’est tellement évident que les hommes soient à part entière responsables et à partager les responsabilités parentales que... Même si je pense qu’il faut se battre pour le statut de la femme, je pense que les hommes ont tout à fait leur place.
K : Vous qui êtes militante, vous penchez-vous sur les problèmes de la femme dans le monde ?
Absolument, absolument. Je fais partie d’une association de femmes. Au départ c’était le MLF, qui a été beaucoup critiqué mais qui a beaucoup milité pour le droit à l’avortement et pour le droit de choisir librement. Donc y’a eu un collectif et tout. Et sur Marseille, je continue à militer énormément en partenariat avec la situation des femmes dans le monde entier. Vous vous êtes adressé à une grande militante, voilà (rires).
K : Votre famille vous suit-elle dans votre combat ?
C’est-à-dire que je suis fière d’avoir des enfants, des hommes, des fils - je n’ai pas eu de fille, malheureusement - qui sont d’accord avec mes idées, mais des fois ça les fatigue un peu. Ceci dit, leur compagne ont de la chance, parce qu’ils partagent les tâches, et ils sont responsables autant qu’elles, que ce soit des choses matérielles ou du ménage, de l’accompagnement des enfants en crèche...
K : Vous avez réussi votre éducation ?
Ben, c’est-à-dire : oui. Il est pas question que mes enfants soient des machos et qu’ils participent pas. Alors là, ça me ferait suer !
K : Quelles satisfactions vous apporte votre profession ?
C’est un boulot passionnant. Je vais partir à la retraite dans pas longtemps. Ça a tellement correspondu à ce à quoi j’ai toujours pensé. D’ailleurs quand j’aurai fini de travailler ici, je continuerai forcément à militer pour le statut de la femme en général, que ce soit en France ou par le monde entier.
N. B :
Propos recueillis le 30/05/06 par Christophe Péridier ; rédaction : Patricia Rouillard ; secrétariat de rédaction : Christophe Péridier et Odile Fourmillier ; image d’archives.
[1] En 1978, à l’occasion d’un procès pour viol à Aix-en-Provence, des féministes se mobilisèrent pour dénoncer des notions fondamentales qui justifient le viol par la nature virile, agressive, de l’homme et la passivité masochiste de la femme.
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