Je m’appelle Houda. J’ai 25 ans. J’ai mon premier bébé. Il a un an. Il s’appelle Rayan. Dans notre religion on parle plus de mères : "Le paradis est sous leurs pieds". Parce que déjà jeune fille on a les règles douloureuses. Elle souffre… En plus les maladies… Elle est là, elle doit obéir. Elle a des rôles, elle donne le sein. Vous voyez, moi, j’ai un rôle auprès de mon bébé : je vais former un homme ou une femme qui va faire quelque chose pour le pays.
Koinai : Le couple est-il pour vous un idéal de petite fille ?
J’ai jamais voulu me marier. Parce que en regardant les autres souffrir comme ça, les femmes qui restent à la maison, qui fassent le ménage, qui fassent le manger, qui attendent le mari qui rentre à la maison, et puis le reste, vous connaissez : le lit naninanani… Ça va, avec mon mari je vis pas ça, je fais pas la routine. Déjà il voyage. Par exemple quand je m’habille ma façon, il est pas contre, il me laisse comme je veux moi, alors que d’autres… J’en vois, ils leur demandent le hidjab [1], pas de pantalon jean ; il faut tout cacher. C’est-à-dire, même dans la religion il faut qu’on soit d’accord, y a pas la contrainte normalement. Mais ils le font et ça c’est pas bien. Ils appliquent ce qui est pas dit, ils prennent ce qui les arrange eux, ils jettent ce qui les arrange pas. Regardez, malgré papa était dur questions travail, mariage… C’était interdit de porter des jeans, on portait des robes, des vêtements larges. Il faut pas se montrer le corps, c’était la honte. Mais le hidjab il n’a jamais… Pourtant il était pratiquant.
K : Quelle a été votre réaction et celle de votre entourage lorsque vous avez su que vous alliez être maman ?
Ben, j’étais contente. J’étais heureuse parce que je le voulais, ce bébé. Tout le monde était très heureux parce que j’étais heureuse. Déjà toute petite, je gardais toujours les enfants des voisins, les enfants des amis de maman. La famille, vous savez, quand ils ont à faire, ils nous portent les enfants et moi je les gardais toujours, ouais, ça me plaisait. Ouais, ça m’a toujours fait rêver, mais c’était pas en projet. Le bébé ça change, y’a des principes. Avant je tenais à des choses, maintenant j’ai changé. J’aurais aimé être mieux que ça, j’aurais aimé avoir un métier, un rôle, un truc que je fasse moi-même et après, faire un enfant.
K : Vous n’avez pas suffisamment étudié ?
Non. C’est trop tard. Lui, il dit j’ai pas besoin,"… Je te fais nourrir"… et tout ça. Il croit que ç’est ça : nourrir-manger. Non, je ne suis pas d’accord. Au début je pensais qu’à mes études, qu’à mon avenir, mon travail, qu’est-ce que je serais… La femme libre indépendante qui gère son budget, personne la commande. J’aime pas dépendre, parce que j’ai un père qui était là, qui regardait même ce que j’avais dans mon sac, ah oui ! Maintenant ça va, les gens changent. Mon père était contre que je fais mon passeport par exemple, parce qu’il croit dans sa tête que je compte voyager, que je vais partir, alors que moi je le fais parce que c’est aussi une carte d’identité et qu’on sait jamais qu’est-ce qui nous réserve l’avenir. Et puis j’étais trop ambitieuse, j’étais trop rêveuse, moi.
K : Que faisiez-vous adolescente ?
C’est clair : c’était les études. Sage, raisonnable, j’étais trop timide ! Mais, après, c’était une révolution, j’ai révolté un petit peu. Après vingt ans, j’ai commencé à aimer la vie, à m’amuser : le flirt, les voyages, vivre la passion.
K : Comment avez-vous vécu votre grossesse ?
Ah ! Elle va me marquer toute ma vie cette grossesse, parce que j’ai travaillé en même temps, j’ai pas arrêté. J’étais vendeuse, dans une presse, c’était très très dur, et surtout que le bébé grandissait beaucoup dans mon ventre, d’ailleurs je l’ai eu en césarienne. Il faisait 4,200 kg quand même, ouais !
K : Avez-vous été soutenue ?
Moralement ouais, mais ils ont pas travaillé à ma place, c’est clair.
K : Je vois que vous l’allaitez. La première fois c’était comment ?
Il le fait souvent, même s’il n’a pas faim, s’il a pas envie. La première fois j’ai pleuré, j’ai pas arrêté de pleurer en le regardant comme ça. C’est un miracle, là on sent que le Dieu il existe, il est là tout proche de nous. C’est ce que j’ai senti, c’est vrai. Déjà, dans mon ventre, malgré la souffrance, j’ai accepté tout ça parce que je sais que ça va finir, je sais qu’après neuf mois il va sortir ce bébé. Et puis c’est du bonheur, même cette douleur c’est du bonheur. J’ai même dit à une copine que si les hommes pouvaient avoir des bébés comme ça, ils souffriraient, ils auraient pas fait la guerre, ils auraient pas fait la guerre, ils auraient pas été méchants. Ah oui vraiment !
K : À quel moment vous êtes-vous sentie "maman" ?
À quel moment ? C’est pas avec les analyses, moi j’ai senti bien avant, oui. Après le fait que j’ai fait l’amour, j’ai senti qu’il se passait quelque chose. Au début je prenais la pilule parce que j’ai pas décidé d’en avoir et puis après, comme ça, tout d’un coup, je voulais être maman. Comme ça, j’ai pris la décision d’avoir un bébé. Parce que vous savez, les années passent et tout, puis je voulais qu’il grandit, qu’il est là avec moi, dans la vie. C’est comme ça. Et puis mon mari m’a dit : "Tiens, c’est bizarre, quatre mois quand même il s’est rien passé. Tu veux qu’on aille chez le médecin et tout ?" Je lui ai dit : "Non, j’ai pas besoin, je sais que je vais avoir et tout." Mais pour le rassurer lui, on est parti quand même. Et après le médecin m’a dit de faire des analyses, faire souvent l’amour ; il nous a conseillé. Après une fois comme ça, on a fait l’amour, et puis j’ai dit :"Il y a quelque chose". J’étais heureuse. Et voilà, ça fait quatre mois après le fait que j’ai arrêté la pilule. C’était rapide.
K : Aujourd’hui, vous vous sentez plus femme, ou maman ?
Ah ! Plus maman ! Femme aussi. Mon bébé m’a fait sentir que je suis une femme, sauf que, mon corps a changé… J’aimerais avoir mon corps d’avant. J’ai accepté certaines choses et pas certaines quand même. Faudrait un soin particulier, ouais !
K : Qu’est-ce qu’une femme, qu’est-ce qu’une maman ?
C’est différent. Comment expliquer ça ? C’est différent. La mère n’existait pas en moi, avant, elle existe au fond, mais pas aussi fort. C’est comme si j’étais dans un monde et que je suis devenue dans un autre. C’est fragile, en même temps elle est forte, elle est là, elle se bat, elle est responsable. Avant je dormais. Maintenant je dors un oeil ouvert, un oeil fermé, ah oui ! Je contrôle mon bébé : est-ce qu’il a chaud ; il va bien ; il n’est pas étouffé par la couverture… Je me lève cinq, six fois. La responsabilité, c’est clair.
K : Et votre mari dort comme le bébé ou il se lève ?
Ah non. Les hommes c’est incroyable. Les hommes sont là pour nous enmerder nous les femmes sur cette terre, et puis c’est tout. Ils sont là pour faire des problèmes : avec qui on se bagarre, avec qui on n’est pas d’accord. Et puis c’est tout. Peut-être ils sont bien pour nous faire l’amour, des cadeaux un peu… Peut-être y en a des hommes qui sont attentionnés… ? Je sais pas. C’est maintenant qu’il commence à aider un peu - seulement si je suis malade ou très fatiguée. C’est le premier bébé à la maison. Dès que il y a le bébé, il dit : "C’est toi."Mais je ne suis pas d’accord. Je lui dis - c’est la vérité - je lui dis en face ce qu’y a dans mon coeur. Dès fois, tellement je suis franche, y a des gens qui m’apprécient pas. Là, par exemple, je lui dis : "Je suis capable de vivre seule sans toi." Je l’ai vécu jusqu’à 24 ans, vierge.
K : Quelle place a le bébé dans le couple ?
Chacun sa place, j’aime pas tout le temps… Je suis pas esclave de mon bébé, je suis pas esclave de mon mari, je suis là pour eux quand ils ont besoin de moi, et il faudrait que je sois là aussi pour moi-même, c’est important. Après, je serai une femme délaissée, parce que c’est pas mon mari qui va me dire : "Va te maquiller, va te rendre belle." Ou le jour où il va me dire ça, sûr qu’il est ailleurs avec une autre femme, et il va me le dire avec un air hein…
K : Comment se comportent les mamans plus âgées avec vous ?
Ah : "Vous êtes très jeune, c’est magnifique. Mais c’est du boulot, c’est du boulot !"
K : Vous, qu’est-ce qui vous différencie des autres mamans ?
Peut-être une elle est pas mariée, elle a sa maman qui l’aide, elle a son bébé, elle travaille, tout ça, elle continue ses aventures, sa jeunesse. Moi, ma maman est loin de moi, quoique j’ai décidé de grandir mon bébé toute seule. Mais je savais que c’était du boulot. Là, je regrette un peu. Ouais, j’aimerais bien que maman elle est là, elle m’aide à m’occuper de mon bébé, me donne des conseils. Déjà, moralement, elle me rend forte. Et je craque pas, mais quand je craque elle est là. Dès fois, je suis fatiguée. Qu’ils me laissent tranquille c’est tout.
K : Qu’est-ce qu’elle vous a transmis, votre mère ?
Elle m’a tout appris, presque, beaucoup de choses, je suis un peu une copie d’elle. Je comprends comment les mères elles souffrent… Maintenant je la comprends.
K : Avez-vous envisagé l’avortement ?
Quand j’ai eu Rayan, non, je le voulais. Mais tiens, en parlant d’avortement, je vais vous confier quelque chose : moi après, le médecin m’a prescrit une pilule trop forte que j’ai pas supportée. J’ai eu deux fois mes règles dans le mois, ça m’a fatiguée ; j’ai arrêté quatre mois, et hop : une grossesse ! Je l’ai sentie et en même temps j’attendais mes règles. J’étais sûre d’être enceinte, et au moment de mes règles, au moment d’hormonement, il s’est rien passé. Là j’ai dit à mon mari : "Y a un retard"… Alors que c’était pas un retard. Quatre mois après Rayan, j’ai fait des analyses : c’était positif. J’ai parlé avec lui : "j’étais très fatiguée, j’ai fait une césarienne, j’ai élevé mon petit toute seule…" Lui m’a dit : " T’as le ch…(oix). On le garde." J’ai dit : "Non. Je peux pas le garder, je suis très fatiguée, il faut que je sois disponible pour le petit et tout."
K : Vous pensez avoir fait le bon choix, c’est sans regret ?
Regret, dans le… Non. J’ai pas dépassé les quarante jours, donc je pense que il était pas formé, quoi.
K : Au plan éthique c’était important pour vous ?
C’est clair, j’ai demandé au médecin si le coeur il bat. Il m’a répondu que je le garde pas.
K : Vous sentez-vous encore une jeune fille ?
Oui ! Ah oui, souvent, oui oui. Par exemple, surtout nous les femmes, on aime bien toujours séduire, d’ailleurs je veille à ce que je ne grossis pas, que je garde mon corps d’avant : mes habits j’ai pas changé, je garde toujours mes jeans et tout, j’aime bien ce qui est sexy.
K : Aujourd’hui, vous vous sentez indépendante ?
Non, je vous dis la vérité, parce que je suis mariée, le mariage ça fait des contraintes. J’ai toujours vécu avec mes parents jusqu’à mon mariage, mais à un certain moment je voulais vraiment être indépendante, être à l’aise. Parce que c’est possible, c’était la jeunesse, c’était plus à la vingtaine comme ça. Je recherchais quoi ? Ma liberté franchement, être à l’aise et vivre ma vie comme je la veux moi, sans aucune gêne, quoi. Dans ma religion on doit suivre le mari, on doit suivre l’homme ; ça veut pas dire si il est en tort on doit le suivre. Je ne dépends pas de moi toute seule. Là si je dois prendre une décision, il faudrait que j’en discute avec lui. Surtout les enfants ! Il est pas mon enfant à moi toute seule.
K : Votre mari ne vous laisserait jamais partir seule ?
Ben oui, mais moi aussi je vais pas le laisser partir seul, c’est réciproque. Parce que je pense qu’on est jaloux, on aime bien regarder. C’est une façon de protéger l’autre côté, je me dis : "S’il va loin - comme on dit - loin des yeux loin du coeur". Je garderai toujours cette… Je suis très jalouse. Mais bon ça lui arrive de partir une semaine pour le travail. Mais j’aimerais bien arriver à ce qu’il soit tranquille dans mon côté à moi aussi. C’est-à-dire si c’était forcé, je dois le faire. Pas toute seule : moi et lui. Lui aussi il doit accepter. Par exemple, il m’a proposé d’aller voir la famille, passer les vacances, et comme on vient d’ouvrir ce magasin, j’ai dit : "Il a besoin de moi, il faut qu’on soit ensemble, il y a du travail pour moi." Quoique je sais que c’est un homme qui pense qu’à travailler, qui pense qu’à ça.
K : Quels sont vos loisirs ?
J’aime bien danser. Avec mon mari seulement. J’ai pas le droit toute seule. J’aime bien voyager, ah oui, j’aimerais bien ne pas arrêter de voyager. Bon y’a le p’tit, j’ai pas le choix, et si j’ai le choix, ben il faudrait que lui il soit d’accord. Quand je lui demande d’aller au cinéma il me dit que c’est une perte de temps. Moi je suis une femme qui déguste trop tout ce qui bouge, nature, vivant, les couleurs, les artistes, j’aime bien ça. Ouais, ben je dessine, moi, je faisais des dessins, et j’aimais trop les caricatures. J’ai tous mes dessins à la maison. Ah oui, je dessinais très bien.
K : Voudriez-vous d’autres enfants ?
Oui, dans deux ans peut-être.
K : L’homme idéal, pour vous ?
Qu’il arrête qu’il soit égoïste. Moi je lui dis : "Donne-moi aujourd’hui et tue-moi demain." L’homme en général je le trouve égoïste, ce qui fait de lui un homme dur. Parce que l’égoïste ça entraîne beaucoup de choses après, si on est égoïste on pense qu’à soi-même et si on pense à soi-même, on pense à posséder, et si on doit posséder on fait tout pour posséder quelque chose, et on va faire du mal, c’est clair. On peut pas voir les choses comme ça, comme quoi, comme la guerre qui a fait souffrir tout le monde. L’égoïsme c’est très grave.
K : Quelle femme aimeriez-vous rester ?
D’abord belle. Rester belle ! Aïe, Aïe. Je sais que je vais changer, je vais grandir c’est clair, je vais avancer dans l’âge. Bon il y a cette peur on s’est habitué : on est pas nées des vieilles, on est nées jeunes, la peau bien… Et se retrouver comme ça, avec la peau plein de rides, tout ça… Surtout moi, je suis trop attirée par tout ce qui est couleurs, la mode, beauté, maquillage, les couleurs… Je suis raisonnable. Je me donne pas à fond dans ce domaine, je veux bien m’occuper de moi, mais bon pas trop.
K : Alors, heureuse ?
Je suis heureuse et j’ai de la chance, ouais.
Propos recueillis le 16/08/06 par Djida Thomas ; rédaction : Patricia Rouillard.
[1] Ou hijab : du mot arabe hajaba "cacher, voiler". Voile qui couvre cheveux, oreilles, cou, porté par de nombreuses musulmanes
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