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La revue du témoignage urbain

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La tête de l'emploi

Vous êtes ringard

« Autrefois, quand je regardais les gens, je les imaginais toujours mieux, un petit peu refaits à ma manière, c’était déjà en moi, bien enfoui. L’apparence est notre deuxième langage : on parle avec notre vêtement, nos gestes, notre comportement, nos yeux, nos mots... Mais si le vêtement n’est pas en adéquation avec ce que vous avez envie d’avoir comme image, vous serez éliminé. » Patricia Neyron, 52 ans, conseillère en image auprès des chercheurs d’emploi.


Coacheuse T_Wentworth
 Coacheuse T_Wentworth

Je m’intéresse à tout ce qui est esthétique, création - d’ailleurs, ça se voit chez moi : je refais tout, j’achète des meubles, je les repeins, je crée, j’invente - ça me correspond. J’ai commencé avec les chômeurs. Ça m’a permis de bien maîtriser le travail, d’avoir une cible de gens en difficulté d’insertion sociale ou professionnelle qui ont énormément besoin d’aide. Y’avait à faire ! Je travaille uniquement sur ces créneaux. Je préfère me mettre au service des gens qui sont dans une urgence plutôt qu’avec d’autres qui ont de l’argent et peuvent se payer un relooking 1500 euros.

J’ai comme cible tous les RMIstes. Ça peut aller de 20-25 ans jusqu’à 50 ans. En général, j’ai beaucoup de femmes. Je travaille à raison de trois fois par semaine dans ces centres d’accompagnement pour les RMIstes et avec la CAF, avec les femmes isolées, en difficulté. Elles sont souvent divorcées, les enfants à charge. Plus elles se retrouvent dans les difficultés et plus elles s’enferment. J’essaie de leur faire redécouvrir leur personne pour qu’elles retrouvent confiance en elles. Quand on perd son travail, on est dévalorisé. Elles sont donc en recherche d’une identité. Certaines s’orientent vers le milieu hospitalier : aides soignantes, aides à domicile, d’autres veulent simplement faire des ménages ou du secrétariat. Mais surtout, elles veulent acquérir un comportement, une apparence en adéquation avec ce qu’elles recherchent. Les accompagnateurs m’envoient les bénéficiaires du RMI en me disant : "Cette personne est proche de l’emploi, elle est prête". Donc on va travailler sa confiance pour la faire démarrer rapidement. Chaque fois que je la rencontre, je fais systématiquement un compte-rendu à l’accompagnateur du travail effectué. Il y a communication entre nous lorsqu’il y a un problème. Parfois on me dit : "Elle s’est remaquillée à outrance, il faudrait voir pourquoi." Alors je la rappelle.

Le premier regard, la première impression sont très importants et resteront malheureusement gravés. Dans un monde où l’emploi est saturé, on est obligé de mettre tous les atouts de notre côté, et surtout celui-là. On retient plus l’image que les mots. Notre image est primordiale. Du fait que le recruteur a le choix aujourd’hui, il va se permettre de recruter celle qui lui plaît. Tant qu’on est dans une situation où l’emploi est précaire, où il y a de gros problèmes d’insertion, on a intérêt à parfaire notre apparence ; elle est indispensable. Moi, si j’étais recruteur, je ne sélectionnerais pas des gens qui ont des vêtements troués, ce ne serait pas l’image que je veux donner de mon entreprise. Je crois que les gens ont compris. Ils sont sensibles au fait qu’aujourd’hui l’apparence est plus forte qu’avant, qu’elle a un poids dans les relations humaines et professionnelles, donc ils viennent vraiment pour ça.

En fait, maintenant, on fait du coaching ; ce n’est plus du relooking. Pour cela, il y a une part de psychologie forte et importante. Il y a les freins affectifs, familiaux, professionnels, culturels ou physiques, plein de choses qui se mettent au milieu et qui font qu’on n’arrive pas à faire émerger la personne. Donc ça demande plus ou moins de temps. J’ai deux façons d’accompagner. Soit en individuel : je prends une heure, à raison de cinq fois, voire six. Soit en groupe : c’est 2h30 par semaine pendant cinq semaines. Je les prends tels qu’ils sont. Au départ, l’entretien est nécessaire pour situer le personnage. J’aborde le côté psychologie, très important. Si on ne maîtrise pas cela, c’est du déguisement, ce n’est pas du relooking. Puis, je décortique la personne dans tous les sens : son visage, sa coiffure, ses couleurs, son physique, ce qui va ou non. Tout est lié. Lorsque vous rectifiez une apparence, tout doit être rectifié. Vous ne pouvez pas travailler le côté vestimentaire sans travailler la coiffure ; il y aura un décalage, et ça se verra. Dans ce cas, laissez-la comme elle était avant. Pour être un peu plus dynamique, elle doit s’habiller moderne, sans dépenser des fortunes, mais doit aussi toucher à sa coiffure. Je me mets un délai d’une semaine pour leur permettre de mieux comprendre, d’assimiler ce qu’on a fait ensemble et d’opérer les changements. Si nécessaire, pour aller chez le coiffeur ou pour faire du shopping, s’acheter un vêtement. Ils ont besoin de faire décanter ; ce que je leur apprends est nouveau. Un changement ne peut s’opérer en un jour, il doit être réfléchi. Ce n’est même pas un changement ; c’est aller chercher en vous votre moi. De temps en temps, pour provoquer une réaction, il faut choquer les gens. Il ne faut pas avoir peur de leur dire : "Vous avez de grosses hanches" ou alors : "Vous êtes coiffée comme dans les années 80, votre coiffure n’a plus rien à voir avec les coiffures d’aujourd’hui", "Votre look est dépassé et ne correspond plus à ce que veulent les gens", "Vous êtes ringard." C’est vrai que lorsqu’on crée ce choc, ça marche mieux que si on les ménage.

Je dois m’adapter au matériel à ma disposition. Mon prédécesseur sur ce poste se balade avec des portants de vêtements, il fait essayer des vêtements. Moi, je travaille différemment. Pour l’instant, je travaille avec un book énorme que j’ai fabriqué à partir de mes cours. Je me sers de moyens très primaires : tableaux, croquis, dessins, marqueur, stylisme, puisqu’on doit corriger des silhouettes. C’est plus facile pour moi. Quand on est juste en face à face, on travaille sur des calques. Je m’en sers très souvent ; j’ai des silhouettes stylisées ou déformées préimprimées. Avec les calques, je dessine des vêtements qui vont ou non et je les appose par-dessus... Pour ma satisfaction personnelle et pour le rendu, je suis obligée d’avoir quelque chose qui me plaît. Je suis tournée vers le modernisme, donc j’aimerais dans l’avenir faire une belle présentation informatique, mais pour l’instant je n’ai pas le temps, mais je le ferai... Je ne m’adresse pas pour l’instant au milieu de la mode mais comme je suis un peu avant-gardiste sur les vêtements, c’est vrai que ça me plairait.

Dans le travail que je fais, il y a toute une partie d’hygiène. D’ailleurs c’est la première des choses ; on ne va pas dire aux gens : "Habillez-vous bien" si on sait qu’ils ne se lavent pas. Se coiffer, se préparer le matin... c’est aussi le respect des autres. Pourquoi nous, les filles, on se maquille, pourquoi on s’épile les poils ? Il y a un respect de soi, mais aussi un respect des humains. Il vaut mieux être propre et sentir bon plutôt qu’être poilu et sentir la transpiration. Il existe une aide matérielle mais moi, je ne leur apporte que du conseil, je leur donne des adresses, des marques connues, des trucs pour s’habiller pas cher, pour être propre.

Les hommes ne veulent pas venir vers moi ; ils sont beaucoup moins opportunistes, plus timides, plus timorés. Ça c’est sûr, hein ! Je les impressionne peut-être. Dans ce cas, je dois revoir mon image. Je pense qu’il y a beaucoup plus de femmes sur le marché de l’emploi dans ces centres d’accompagnement. Elles ont souvent perdu leur emploi parce qu’elles ont eu des enfants, se sont arrêtées de bosser et, entre-temps, sont restées longtemps en inactivité. Les choses et les technologies ont évolué. Elles veulent se remettre sur le marché de l’emploi, mais n’ont plus les compétences en informatique. Si j’osais... elles sont presque obsolètes ; elles sont un peu dépassées. Il y a aussi la question de l’âge. Je rencontre des gens qui ont franchi la quarantaine ; ils sont bloqués par leur âge. Pourtant ce n’est pas vieux.

Les jeunes hommes sont plus négligents et quand on me les envoie, ils ne suivent pas, ne viennent qu’une fois. On ne les oblige pas à se présenter, mais c’est fortement conseillé quand même. Effectivement, ces jeunes-là renoncent complètement à l’aspect vestimentaire. Ils ne sont pas du tout en adéquation avec la société. Apparemment ils ont l’impression de renoncer ainsi à leur liberté, et le survêtement est une façon de dire non à la société. Ce sont des rebelles, ils font partie d’une certaine catégorie sociale mais pas encore professionnelle. Ils s’identifient à des groupes un peu négatifs par rapport à la société. On peut être décontracté sans être en survêtement ; cela est uniquement fait pour le sport. Quand vous leur avez fait comprendre ça, la fois suivante ils arrivent en jean ; c’est toujours décontracté, mais ça passe mieux quand même.

Il y a beaucoup de bouche à oreille. Les organismes qui nous emploient commencent à reconnaître notre travail, la preuve, c’est qu’ils me demandent. D’un accompagnateur à l’autre, ils se disent "Tiens, chez nous il y a une accompagnatrice en image". Il y a de plus en plus de contacts. Je souhaite justement pouvoir les élargir. Et j’espère travailler un jour avec le PLIE, avec la Ville de Marseille. Il y a de quoi faire ! En région parisienne, il y a énormément de personnes qui travaillent dans ce domaine. Sur Marseille, j’en connais au moins quatre ou cinq qui ont pignon sur rue. Plus tous ceux ou toutes celles qui ont suivi cette formation mais ne sont pas installés. Moi, je suis salariée d’une association familiale que nous avons créée. Il est bon de le préciser, notre association a été subventionnée par la Région qui a approuvé le projet et m’a attribué un beau budget qui me permet de travailler pendant au moins deux ans. J’ai commencé en octobre ou novembre. En revanche, je suis désolée, le Conseil Général n’a pas suivi, pourtant les RMIstes sont suivis et financés par eux.

Je suis très avant-gardiste et très créatrice... Je ne suis pas du tout conventionnelle, dans le choix de mes tenues. Je confectionne des tee-shirts assortis à mes pantalons. D’ailleurs j’en fabrique aussi pour mes amis, puisque tout le monde m’en demande. Je préfère les couleurs froides et très vives : les rouges, les violets, les roses, fuchsias, les bleus, les gris, tout ce qui a de l’intensité. Tout ce qui se voit. J’ai horreur du classique ; c’est d’une tristesse folle ! Ça ne correspond pas avec mon caractère dynamique et un peu joueur... Le week-end, si je dois sortir, je m’habille à peu près pareil. Sinon je me cache, car c’est mon seul moment de détente ; je peux arborer des choses dans lesquelles je suis à l’aise, mais qui ne seront pas forcément vues : le jogging, de grands pulls... Quelquefois les tenues que je porte en semaine ne sont pas confortables à mon goût, par exemple tout ce qui est avant-gardiste, mais ça me plaît, donc j’accepte. Il y a des contraintes, mais lorsque je regarde mon image, elle me convient. Même si le pantalon est taille basse ou que la veste est trop courte et que je n’ai pas les reins couverts, je me dis : "Tant pis !" Je compense avec autre chose. J’aime les choses qui tiennent bien, les beaux tissus. Brillants ou pas, ça m’est égal. Style : les cotons, les toiles. En revanche je n’aime pas les textiles mous sur le corps, ceux qui n’ont pas de tenue, comme par exemple les jerseys. Mais je ne donne pas les mêmes conseils aux bénéficiaires qui viennent me voir ; je les conseillerai en fonction des vêtements qui leur vont. Par exemple, si par rapport à son physique, il faut des drapés à une personne, on sera obligé d’adopter des boutons, des choses très "mode", des matières très souples.

Il faut considérer que l’habit, aujourd’hui en 2006, fait le moine, malgré le dicton qui dit le contraire. Je suis là pour ça et la preuve c’est que j’existe, sinon les gens n’en auraient rien à foutre de ce que je fais aujourd’hui. À ceux qui recherchent un emploi, je dirais : "Prenez un miroir, regardez-vous en pied. Regardez-vous ! Posez-vous plein de questions : "Est-ce que je me plais ?", "Mon apparence va-t-elle plaire aux gens ?", "Le miroir me renvoie-t-il l’image que j’ai envie de faire paraître aux gens ?", "Suis-je en adéquation entre ce que je suis et ce que je laisse paraître ?" S’il y a un décalage, il faut traiter, il y a des réglages à faire. L’important, c’est de se soigner, c’est d’être soigné. Sur une échelle de 1 à 10, ils vont gagner trois ou quatre points avec l’apparence. La première vision, le premier regard va se porter sur eux, la façon dont ils sont habillés, coiffés, propres, les mains... Il y a aussi le regard, la poignée de main, le comportement. Si vous êtes bien dans vos vêtements, si vous ne vous dites pas : "Je suis engoncé, je ne suis pas bien, ça ne me va pas", si le matin vous vous êtes regardé dans le miroir, qu’il vous a renvoyé une image positive, vous serez positif toute la journée, dans toutes les démarches que vous allez faire, où que ce soit, devant qui que ce soit ; vos mots seront écoutés. Ça c’est une chose qu’il faut bien comprendre. Par contre, si dans votre look, il y a quelque chose qui ne vous convient pas, contraire à ce que vous voulez, votre interlocuteur va le sentir au travers de votre discours qui sera moins crédible, moins positif et il va finir par se poser ailleurs que sur vos mots ; il se posera sur votre apparence qui ne vous convient pas. Tout ce que vous direz ne sera même pas écouté. C’est ce qui fausse et fait mal à un entretien. Si vous n’avez pas la bonne personnalité, la bonne apparence, vous avez tout faux, vous pouvez dire tout ce que vous voulez, ça ne marche pas, vous êtes à côté. Et c’est dommage, parce qu’on n’a qu’une chance de faire bonne impression.

Propos recueillis le 21/03/06 par Christophe Péridier ; rédaction : Patricia Rouillard.

P.-S.

agence de relooking

2 Messages

  • "Vous êtes ringard" 28 juin 2006 11:09, par Djida Thomas

    miroir, miroir d’abord ! serait-ce le pass€port ? faut voir.

  • Vous êtes ringard 8 septembre 2009 14:32, par Natacha B.

    J’ai suivi cinq séances avec la relookeuse Patricia, dans un centre d’accompagnement de bénéficiaires du Rmi.
    Je ne l’ai pas fait dans le but de reprendre confiance en moi car je ne pense pas que ma tenue vestimentaire change beaucoup les choses lors de mes entretiens. J’ai suivi ces séances par curiosité et parce que j’aime bien la mode, sans avoir moi-même un look très recherché.
    Je trouve que Patricia est une femme formidable, qui donne les clés pour se sentir bien et être heureux sans dépenser trop d’argent.

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