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Survivre avec une épicerie de quartier - Vis ma ville - Qu'elle était verte ma colline - La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

Qu'elle était verte ma colline

Survivre avec une épicerie de quartier

M. Khatem, un des rares commerçants à tenir boutique dans le quartier, a son épicerie à Consolat. Il n’est pas de ceux qui, pour décrire leur environnement, parlent éternellement pour ne rien dire. Loin du politiquement correct de rigueur sur fond d’extatiques rivages méditerranéens dont nous serions à jamais bercés, nous l’accompagnons dans la noirceur des méfaits qu’une minorité inflige quotidiennement à une population depuis trop longtemps en souffrance. Plongée dans le monde réel, oui, désespéré, peut-être pas, mais dans un futur enfin débarrassé de ses vaines illusions...


Koinai - Pouvez-vous vous présenter ?

Houcine Khatem - Je m’appelle Khatem Houcine, je suis commerçant de quartier, j’ai une épicerie, depuis trois ans. Et j’habite juste au dessus du magasin, depuis un an.

K. - Quelles sont les différentes populations qui composent le quartier ?

H K. - Il ya des Comoriens, des Turcs, des Kurdes, des Algériens, des Français aussi. Bon les Français il y en a pas beaucoup, je vais vous dire. Il y a des pieds-noirs qui sont là depuis longtemps. Il y a un mélange.

K. - Est-ce que ce sont plutôt des gens de passage ou des gens qui y habitent depuis longtemps ?

H K. - Les deux. il y en a qui sont nés ici, qui sont partis ailleurs, mais ils reviennent toujours dans le quartier. C’est à dire que c’est ça en fait le plus difficile pour les quartiers. Ils disent "c’est mon quartier, c’est mon quartier". Ils reviennent toujours dans le quartier.

K. - Ce quartier a-t-il une identité forte ? Les gens sont-ils fiers d’être d’ici ?

H K. - il y en a qui sont nés ici et qui disent « On est fiers d’être de Consolat », d’autres non, ils cherchent ailleurs mais bon, ils sont obligés de rester, ils ont pas le choix.

K. - Diriez-vous que c’est un quartier vivant ?

H K. - Il est pas vivant le quartier, il est mort, ça c’est sûr et certain. On le voit dans le commerce, déjà.

K. - Est-il agréable à vivre ?

H K. - Il est agréable, c’est à dire sur l’installation du lieu, il est à côté de la plage, pas loin de l’Estaque, pas loin de Saint Louis.

K. - Est-ce que vous pensez qu’il y a une spécificité ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui le démarque des autres quartiers voisins ?

H K. - Il est bien plus difficile que les autres quartiers. C’est un quartier qui a mauvaise fréquentation, plus que les autres quartiers.

K. - A propos de l’évolution du quartier, qu’est-ce que vous pouvez dire ? Pensez-vous que le quartier a changé ?

H K. - Il a changé un peu, ils sont en train de faire déjà de la peinture sur le quartier, ils vont faire la clôture. il ya plein de trucs qu’ils vont faire dans l’avenir.

K. - Dans l’emploi ou le transport par exemple, y a-t-il des choses qui ont changé ?

H K. - En fait, le transport c’est comme tout le monde, la RTM, toujours le bus, quand il y a la grève c’est la galère, il faut avoir une voiture, et puis voilà.

K. - Quel lien le quartier entretient-il avec le reste de la ville ?

H K. - Ah, c’est une zone franche. Le lien... avec pas grand chose. La ville est un peu loin, quand même. Donc on n’a pas beaucoup de lien. Le quartier est un peu isolé, oui. C’est vraiment loin déjà de la ville, puis il est peu fréquenté. La ville c’est à cinq, dix kilomètres, quand même, c’est pas mal. Pour l’activité c’est mort ici, par rapport à la ville, c’est normal. Si il y avait plus de bus, plus d’arrêts de bus, il y aurait des échanges.

K. - En ce qui concerne la vie sociale et culturelle, que pouvez-vous en dire ?

H K. - il y a quelques associations là, qui font bouger un peu le quartier. il ya le club de foot d’en haut qui réunit tous les enfants des quartiers, tout ça. Ils font des matches, ils font des trucs... ils font de la publicité, c’est des gens qui motivent un peu le quartier. Ils organisent des galas, des fêtes, donc ça va quoi.

K. - En ce qui concerne les services publics, la Poste, les restaurants, etc. trouvez-vous que le quartier soit bien dsservi ?

H K. - il y en a pas assez, et les commerces sont tous fermés, à cause des jeunes qui cassent tout. Donc, ce serait trop bien, si par exemple, il y avait des commerces qui ouvrent, ça motiverait un peu le quartier. Les gens vont toujours à Grand Littoral pour faire leurs courses, parce qu’ils ont peur de venir acheter dans le magasin. C’est ça le problème en fait dans les quartiers Nord. il ya des vieilles, elles peuvent sortir de la maison, venir ici et se faire agresser. Alors ils prennent le bus, ils vont à Grand Littoral, ils sont plus sécurisés que dans le quartier.

K. - D’après vous, quels sont les espaces publics importants dans le quartier ?

H K. - Avant, il y avait des espaces publics, maintenant ils sont un peu dégradés, y avait un espace vert là, pour les gens, pour qu’ils se réunissent le soir, tout ça, pour parler un peu, pour faire des pique-niques. il y a maintenant Consolat Les Sources qui réunit tout le monde, mais par contre Consolat d’en bas, là c’est mort. Avant oui, les gens sortaient. Maintenant, il y a pas de lieux publics, où on peut être sécurisé. Il manque la sécurité. Ah, je vous le dis !

K. - Pensez-vous que la sécurité soit le vrai problème ?

H K. - Oui, c’est le problème en fait de la dégradation, de tout ça. Et pour changer ça, il faut pas laisser trop les jeunes réunis entre eux. Parce que quand ils sont en groupe, ils font les caïds, et quand ils sont seuls, c’est tout le contraire... Il faut pas les laisser faire ce qu’ils veulent, ils faut les répartir un peu partout. Plus loin de leur quartier, comme ça, ça va calmer un peu les choses.

K. - Ce sont des jeunes du quartier ou d’autres quartiers ?

H K. - C’est des jeunes du quartier, il y en a qui viennent d’ailleurs, il y en a qui sont d’en-haut là, ils descendent en bas, ils laissent leurs parents tranquilles, ils viennent déranger les autres. Nous mettre le feu partout. Et voilà, c’est la vérité, on peut pas le cacher, ça.

K. - A propos de la Colline, en quelques mots, qu’est-ce que vous en diriez ?

H K. - Il faut mettre un grand parking, pour mettre des voitures, parce qu’elles sont pas sécurisées, chaque jour on trouve des voitures brûlées, des voitures volées. Si on met un parking gardé ou quoi, après on est tranquille. Il faut construire d’autres appartements, aussi. Il faut l’utiliser, quoi. Faut pas la laisser comme ça. Pour le moment elle sert à rien. Elle sert à raccourcir la route pour aller à Saint-Louis, ou bien pour faire des courses plus proche, et elle sert au passage de trains.

K. - Est-ce que vous-même vous y êtes déjà allé ?

H K. - Oui, je suis passé une ou deux fois déjà, quand j’ai pris le bus 70. Donc, on est obligé de passer par là, donc on raccourcit.

K. - Aviez-vous l’impression que c’était très fréquenté ?

H K. - En fait, ça fait peur de passer seul là-bas, surtout la nuit, ça fait très peur. Ça a été colonisé par les dealers, par les mineurs qui fument du shit. C’est un endroit un peu isolé. Surtout dans ce quartier. Donc, pour aller en famille là-bas, moi je vous conseille pas. C’est dangereux.

K. - Pensez-vous que si on mettait un gardien, cela résoudrait le problème ?

H K. - Un gardien, ça sert à rien, faut mettre les forces de l’ordre. Les gardiens peuvent rien faire, faut quelqu’un de puissant. Faut faire un poste de police à côté, ça peut-être, ça peut rapporter quelque chose. Il faudrait de gros moyens pour se débarrasser de ce problème... C’est normal, c’est ça les quartiers. C’est partout pareil. On va à la Viste, on va de l’autre coté, c’est pareil. C’est ça les quartiers Nord. Il faut une intervention de force, vraiment.

K. - Globalement, comment voyez-vous le quartier demain ? Qu’est-ce qui changera d’après vous ? Qu’est-ce qui pourrait changer ?

H K. - En fait, en espérant bien qu’il va changer. Déjà, y a même pas un syndic pour le moment, donc faut en avoir un pour qu’on puisse changer des trucs, là. Donc j’espère bien que ça va changer dans l’avenir, en mieux pour nous, parce que si ça reste comme ça, je pense qu’il y a personne qui va rester là. Déjà ça commence à partir, à vendre les appartements, après là y a tout le monde qui met des affiches partout pour vendre leur appartement. Ce serait bien qu’ils mettent la sécurité d’abord.

K. - Gardez-vous espoir ?

H K. - Moi, je garde espoir. Je garde espoir parce que c’est une petite minorité... il reste pas beaucoup. Moi le conseil que je donne, c’est qu’il faut mettre la sécurité avant de faire des travaux, avant de faire quoi que ce soit. Si il y a pas de sécurité, ça sert à rien. A chaque fois on paye, à chaque fois ils cassent. On peut pas vivre tranquillement. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent, alors c’est vrai qu’on a peur. Si je touche quelque chose, ils brûlent le magasin, la voiture. On est condamné de rien dire.

K. - Y a-t-il des menaces ?

H K. - Ouai, il y a des menaces directes des fois. Mais ils ont peur de rien, ni de la police, ni de personne. Des fois, ils insultent la police devant eux. Quand les policiers passent, ils les insultent.

K. - La police intervient-elle de temps en temps ?

H K. - Oui, ils interviennent, mais ils peuvent rien faire, c’est des mineurs, ils ont onze, quinze ans maximum, il y a pas de lois qui les condamne. Il faut changer la loi, les condamner à partir de dix ans. Alors, la police les ramène, garde à vue quarante-huit heures et demain, c’est pareil. Ils ont peur de rien, ils ont l’habitude. C’est dommage, quand même. Et le problème, c’est que dans ce quartier, c’est toujours les mêmes, c’est pas comme la ville, tu vois des gens, il y a des passants, ça change un peu de jour en jour, mais là, tu vois toujours le même groupe, les mêmes noms, les mêmes prénoms, mêmes date de naissance, y’a rien qui change. Toute l’année, ils se lèvent à une heure et ils rentrent à minuit ou à trois heures du matin. Et quand nous on travaille, on se lève tôt, à six heures du matin pour rentrer à cinq heures. Donc de cinq heures à trois heures du matin, il faut prendre des risques, aussi. Nous on rentre pour se reposer, on trouve notre bien brûlé, la voiture ou autre...

K. - Avez-vous parfois été tenté de partir ?

H K. - Moi je suis propriétaire d’ici, donc pour partir comme ça, c’est pas évident. On est des pères de famille, on peut pas faire n’importe quoi. Partir comme ça, et demain on fait comment ? Mais c’est vraiment dommage, quand même. Un quartier comme ça... Il est beau le quartier, il est beau l’endroit, il y a une belle vue devant. On est loin de la ville, c’est calme normalement. C’est à côté de la mer. Pas loin de tout, il y a toutes les commodités...

J’ai porté plainte plusieurs fois, ils ont voulu me voler le magasin, deux fois. Pourquoi ? On sait pas. Parce qu’on baisse pas les yeux, on n’a pas peur d’eux. C’est des mineurs de rien du tout, si ils savent qu’on a peur, ils vont nous écraser. Avant, j’habitais à la Belle de Mai, donc à force j’ai été obligé d’habiter à côté. Même si j’habite au dessus, des fois il y a des emmerdements. Régulièrement. Ça m’est arrivé de déposer plainte trois fois dans le mois, et ça m’est arrivé de dormir dans le magasin pour surveiller, j’avais pas le choix. En fait, quelqu’un qui est à ma place, il se casse, mais comme moi j’avais pas le choix, c’était un début, donc j’ai résisté. J’avais que le Taxiphone, après j’ai agrandi un peu. Et eux ils ont trop de jalousie, quand ils voient quelqu’un qui commence à réussir un peu, ils croient qu’on est des milliardaires, mais comme il y a rien dans le quartier, on peut pas gagner des milliards ! Donc, ils devraient comprendre que c’est pour eux, pour leur parents, qu’on fait ça, c’est pas pour nous. Mais ils s’en foutent. Carrément ils s’en foutent de leurs parents, de tout le monde.

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