Pour apprendre l’allemand
Migrante polonaise
« Pourquoi j’ai quitté Pologne ? Pour apprendre les langues pour pouvoir faire mon métier. En fait, chez moi j’ai obtenu diplôme, BTS Tourisme ; j’étais guide de tourisme. Comme je parlais polonaise ça suffisait pas pour faire un bon métier, pour pouvoir accueillir les étrangers. Je parle russe et je voulais apprendre l’allemand, c’est pour ça je suis partie à l’étranger. J’avais vingt ans, vingt et un ans. J’ai financé seule mon voyage. Je suis partie vers la Suisse et j’ai trouvé une famille d’accueil, j’étais fille au pair, j’aidais à famille au travail. » Sylvia, trente ans, originaire de la région de Varsovie.
Koinai : Qu’est-ce qui vous amène en France ?
J’ai voyagé beaucoup depuis que je suis partie de la Pologne ; comme j’habitais à Zurich avec cette famille qui était quand même aisée, j’avais beaucoup de chance, on partait souvent à l’étranger pour des conférences - parce que la dame elle était vice-présidente d’ostéoporose - je connaissais l’Europe : Angleterre, Italie, Portugal et cetera. On avait très bonnes relations, et entre eux c’était la France. Mais en fait la France m’attirait plus parce que, pourquoi ? Son mari était français, elle était polonaise, donc les langues qu’ils ont parlées à la maison, c’était langue français et moi je suis partie pour apprendre l’allemand, voilà… C’était mon problème, j’écoutais au fur à mesure de plus en plus français et j’ai tombé amoureuse de cette langue, vraiment c’était ça. Après donc c’est pour ça je voulais partir en France et apprendre français. C’est la première chose que je suis venue là, c’était le but, ma but. J’imagine pas pouvoir vivre à étranger en France, en particulier en ne parlant pas langue du pays
K : Comment vous mettez-vous au français ?
Ils avaient la maison à côté de St-Tropez, à St-Aigulf, donc toutes les vacances : Pâques, Noël… on a passé au moins trois mois et demi en France. Au départ c’était difficile, parce que je parlais pas, je parlais très très mal vraiment, très très mal. Mais les gens étaient très, très gentils, très accueillantes, et c’était aussi beaucoup le personnel de la maison, parce qu’elle avait des chauffeurs, de toutes les choses comme ça. Le cuisinier était français, il avait une fille de mon âge, elle faisait les études, voilà, après on sortait ensemble. En fait, au départ j’apprenais seule. Je prenais un livre, et le cuisinier m’aidait beaucoup… Des fois, c’était difficile parce que c’était des images, je répétais sans arrêt la même mot, tout ça… Je ne savais pas comment ça se dit. Après, à Bandol, je me suis occupée d’un monsieur et là, j’apprenais beaucoup parce que c’était une personne cultivée, qui m’a expliqué beaucoup de choses. J’avais encore la chance de pouvoir voyager, connaître la France voilà, c’est comme ça que c’est parti.
K : Quelles sont vos premières démarches sur le territoire français ?
Quand j’ai fini de travailler en Suisse, je suis venue à Nice avec visa de tourisme, touriste. Au départ c’était pour trois mois, je voulais savoir est-ce que je peux faire les études. J’ai été très bien accueillie, vraiment. C’est les amis qui m’ont trouvé un petit logement très bien, très très bien. Mais ce n’était pas tellement facile, en fait, parce que je parlais assez mal, très mal, même et j’ai voulu faire les études sur l’Université de lettres. Et là-bas, je suis allée au secrétariat tout ça, la dame, elle m’a très mal accueillie, elle m’a dit que je n’ai pas de visa, tout ça… Et voilà, j’étais un peu triste. J’ai téléphoné après à consul, consul m’a dit ben… je n’ai même pas besoin de visa. Comme je veux faire les études, le visa j’obtiens après, c’est inscription et après ça. Mais moi je savais pas, je pouvais pas m’exprimer comme il faut, voilà… C’était mon problème. Il a fallu que j’attende, donc que je travaille aussi parce que l’argent, quand même, il part vite… Je voulais pas dépenser toute l’argent que je gagne avant. Après je faisais les petits boulots. J’ai trouvé quelqu’un qui a besoin une personne à Bandol. Donc je suis obligée de partir quand même loin de… là où je connaissais plus de gens, plus d’amis, tout ça…
K : Votre statut a-t-il évolué depuis ?
Je suis mariée - mon mari, je l’ai connu à Bandol, pendant une soirée. J’ai carte de séjour de dix ans, voilà, je suis en règle. Maintenant mes dossiers sont en marche pour la naturalisation. J’attends des réponses. Il faut aussi dire que tout le monde y se trompe que en étant mariée avec quelqu’un… On n’a aucun droit, presque, ça change rien, on est toujours une personne étrangère. Ça change pas grand chose, on est toujours personne, on est "épouse d’un français" mais on n’est pas française. Ça vient après avec le temps, mais il faut carte de séjour, il faut aller à la Préfecture toute l’année, il faut faire plein de documents, il faut attendre, surtout à Marseille c’était vraiment… J’ai une copine qui est de Paris, elle m’a dit que c’est un peu plus facile. Là-bas ils te donnent l’heure, tu viens par exemple à une heure, il n’y a pas de problèmes. Que là, il faut venir à quatre ou cinq heures du matin, faire la queue, il y a plein de gens qui te poussent, qui te déchirent les habits, ça c’est un peu… Je trouve que c’est un peu dégueulasse, mais bon…
K : Avez-vous une couverture sociale ?
Au départ non, moi j’ai pris une… Si, ça existe à Matmut, mais je ne savais pas que ça existe cette assurance, en fait. On peut prendre comme n’importe quelle personne, en fait. Mais moi comme je suis venue à Bandol, après je cherchais faire les études, tout ça, à Aix, je trouvais bonne adresse d’une école pour les étrangers, donc là-bas ils ont donné une adresse d’une assurance qui était payante. En fait, c’était vraiment… c’était un vol. Parce qu’on pouvait rien, même pour aller chez dentiste on n’était pas remboursé de rien, de rien, de rien, c’était vraiment quelque chose… C’était un arnaque. J’ai payé… Je ne veux pas mentir - c’était juste pour trois ou six mois - c’était trois ou quatre cents euros ! C’était très très cher, et on a reçu un deuxième papier un mois plus tard, si on est malade, si on a mal aux dents, on n’est pas remboursé. En fait, ça nous restait que dans le cadre de ce que mes parents peut avoir, je ne sais pas, dix mille où vingt mille euros, c’est tout (ndlr : Il s’agissait en fait d’une assurance vie). Heureusement que j’ai connu après des gens… Parce que c’est vrai, au départ on n’a pas trop notion de l’argent, ça change : en Suisse c’est autre chose, en Pologne c’était au départ beaucoup plus bas (maintenant ça a changé), et en plus, même pour français c’est difficile parce que quand le franc s’est changé en euro, c’était pas…
K : Étiez-vous satisfaite de votre situation professionnelle en Pologne ?
Heu…Est-ce que j’étais satisfaite ? Non, je n’étais pas satisfaite. C’est-à-dire, c’était difficile pour vivre, en fait. À l’époque comme moi, quand je suis partie c’était avant 2004… J’ai une sœur qui a fini le droit, la faculté, elle a fait aussi le journalisme, c’était pas facile non plus. Maintenant elle fait son travail à elle, à côté elle gère deux, trois sociétés pour pouvoir vraiment bien vivre.
K : Votre diplôme est-il reconnu en France ?
Hè bè, voilà, c’est… Je suppose que le Bac oui, parce que je connais un peu des gens qui ont essayé de faire l’équivalence, mais pour BTS Tourisme, pour l’instant je ne sais pas, j’attends. Je viens d’envoyer aussi le dossier à rectorat d’Université d’Aix-en-Provence, pour avoir l’équivalent.
K : Quel projet professionnel nourrissez-vous ?
J’aimerais bien en fait ouvrir quelque chose à moi. Mon projet sont pas encore très précises, pour ça il faut encore que je maîtrise bien le français, que je… Surtout l’écriture qui n’est pas facile du tout, et après on verra. Pour l’instant j’aimerais bien obtenir BTS secrétariat, gestion, comptabilité peut-être un peu et après, j’aimerais bien ouvrir quelque chose, une société ou dans la logistique transport qui a le contact avec la Pologne ! Voilà, pourquoi pas.
K : Vous arrive-t-il d’éprouver le blues du migrant ?
Oui, c’est naturel ! Je ne suis pas une personne qui… Mais c’est sûr… Les polonaises sont quand même très attachées à la famille et ça c’est le premier chose qui nous manque, en fait. Toute ma famille est en Pologne ! Il faut savoir aussi que on ne peut pas aussi faire aller et retour sans arrêt. Sinon il faut travailler énormément, on ne peut pas… Quand tu n’as pas beaucoup de travail c’est difficile. On essaye d’y aller minimum deux fois par an, mais l’obstacle c’est toujours le prix des billets d’avion, parce qu’en bus c’est infernal, surtout l’été c’est impensable. Mais maintenant, ça s’est ouvert plusieurs lignes très attractives comme Norvegian Air Lines, donc c’est plus accessible. Les billets sont moins chers, le transport il se développe, donc j’ai bon espoir pour pouvoir voir ma famille plusieurs fois par an. Mais, quand même j’avais beaucoup des amis, je pouvais téléphoner à ma famille, tout ça… Pour moi ça s’est passé assez bien. J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai trouvé une association franco-polonaise qui est très, très bien, elle se développe. On est très attaché à notre racine, à notre culture donc, voilà. On fait la fête, on fait beaucoup de choses, il y a des bals, des cinémas, des livres, des soirées poétiques, la bibliothèque… L’organisation association elle est assez… comment dire… elle est puissante, assez puissante. Il y a pas mal de Polonais qui ne parlent pas le polonais, il faut dire qu’ils sont venus à l’époque…
K : Quelles habitudes culturelles de votre pays d’origine conservez-vous ?
Par exemple pour la fête de Noël, si je suis là, j’essaye de préparer le repas comme on mange chez nous. En général on part chez nous, parce que c’est quand même… Même mon mari m’a dit que c’est vrai, pour Noël c’est bien quand il y a la neige, comme il y a la sapin habillé, c’est plus ambiance.
K : Cuisinez-vous des plats traditionnels de votre pays ?
Oui, pas l’été. L’été il fait trop chaud, on n’a pas envie du tout de cuisiner. Mais l’hiver, oui, oui. D’ailleurs on a très bon copain à mon mari, il est d’origine polonais et chaque fois il me demande : "Makowiec, Pierogi ", tout ça, voilà… Donc si je peux, si on a le temps oui, oui, oui bien sûr. Ça change, la cuisine est plus différente maintenant qu’à l’époque… Surtout à la campagne, on mange plus de gras tout ça, c’est vrai qu’il fait plus froid.
K : Quel bilan tirez-vous après ces quatre années ?
C’est un bilan positif, je pense. Mais ça me fait rigoler parce que je pensais il n’y a pas si longtemps que je suis en fait quatre ans que je vis en France, et toujours c’est vrai je me dis : "Ah ! je n’ai pas encore ça, j’ai pas de travail que j’aimerais bien faire et tout ça…" Mais je suis très contente, vraiment je suis très contente parce que déjà, je commence à fondre une famille avec quelqu’un qui est très, très bien, qui est très gentil, que je peux faire les études, voilà… Que je peux continuer, que je pense que je suis en règle, que j’ai tous mes papiers, je pense que l’on est sur la route pour avoir un enfant.
K : Vous est-il arrivé de regretter votre choix de départ ?
Ah pas du tout, pas du tout, pour moi c’est une plus grande richesse que je pouvais me permettre dans ma vie. Les voyages, pour moi c’est une richesse. Déjà par rapport à mon métier ça peut un peu m’apporter, voir d’autres pays, d’autres cultures et pouvoir choisir, voilà… Mon choix, je trouve qu’il est très très bien. Je suis très contente, je suis très contente. Surtout pour moi c’est le climat, c’est vrai, le climat… Si on ne connaît pas la Pologne, l’hiver à trois heures et demie, quatre heures il fait nuit, que là c’est à cinq heures, six heures. C’est vrai que c’est un peu triste, on est plus dépressive, on a moins d’heures pour faire quoi que ce soit, il y a beaucoup de neige, tout ça, ça nous met en difficulté, que là, la vie est beaucoup plus facile.
K : Vous sentez-vous française ?
Pas encore ! De cœur, oui de cœur, parce que quand même c’est vrai que le pays de là où l’on est né on a aussi dans le cœur, on ne peut pas… voilà. En même temps je suis moitié polonaise, moitié française.
K : Songez-vous à retourner vivre en Pologne ?
Je ne sais pas, je ne pense pas, je ne pense pas.
Propos recueillis le 05/07/06 par Mireille Perez ; rédaction : Patricia Rouillard.
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