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La revue du témoignage urbain

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Femme aujourd'hui

Leurs gestes de beauté

« À Marseille depuis quinze ans, j’ai fait les Beaux Arts. J’ai un peu travaillé dans les associations et dernièrement j’ai passé un CAP horticulteur : je suis jardinière. Lors de la recherche d’emploi j’ai eu des refus du fait que je sois une femme, notamment à cause de la force physique. En plus je suis un petit gabarit, donc je me vante pas de faire des murs de pierres, je serais pas capable. Donc, voilà, je baisse la garde. » Nathalie Lebozec, trentenaire indépendante... mais financièrement.


L'origine du monde II
 L’origine du monde II

Koinai : "Jardinière", métier masculin ou féminin ?
Dans les espaces verts c’est sûr qu’il y a beaucoup plus d’hommes. Par contre c’est un métier qui se féminise, ça c’est certain. De toute façon les espaces verts ça englobe plusieurs métiers. Donc y’en a des plus ou moins compliqués, physiquement durs. L’activité des jardiniers comporte une partie physique et une partie plus minutieuse. Mais après, c’est vrai qu’ils ont tellement l’habitude, les hommes, d’être ceux qui ont ces métiers, qu’ils regardent les femmes de travers. C’est un problème. Enfin moi j’ai pas été confrontée puisque les fois où j’ai travaillé, j’ai travaillé seule. Mais j’ai eu des échos de femmes dans les pépinières de la ville de Marseille qui avant étaient dans les espaces verts. Les hommes avaient plutôt tendance à regarder si la femme : "Tiens tiens, qu’est-ce qu’elle veut ? Elle y arrive à le faire ça !", plutôt que de lui donner un coup de main, d’être complémentaire là où c’est dur et à moins être dans un travail d’équipe. C’est un métier qui peut être tout à fait complémentaire entre les hommes et les femmes donc y’a pas de raison que les femmes soient pas intégrées aux équipes et que ça se passe mal. Moi j’ai entendu que ça se passait mal.

K : Comment jugez-vous l’égalité femme-homme ?
Je pense qu’il n’y en a pas. Les femmes ont eu raison et ont bien mené la lutte, y’a vingt-trente ans. La France est un pays réactionnaire sur la vision de la femme avec des forces vives en même temps l’opinion publique a du potentiel, enfin y’a des perspectives d’avenir qui en émanent mais tout ça se confronte bizarrement. On parle de "parité", de "discrimination positive", bon c’est des gros mots tout ça, c’est le langage des médias, je fais très attention quand je les manipule. Je suis contre les lois pour l’égalité, je pense que l’égalité est naturelle, pas juridique quoi ! Et du coup on n’y est pas arrivé et ça se rattrape pas par les lois. Par contre les hommes ont bien progressé quand même et ils ont encore le potentiel de le faire. Puis y’en a qui ont envie aussi, ils en ont eu autant besoin que les femmes. Mais les femmes se plaignent beaucoup de l’égoïsme des hommes quand même. Y’a un égoïsme, on est quand même des mères en puissance et on a du mal à mettre ça au vestiaire. C’est dommage parce qu’on les habitue mal. Je serais pour un partage des tâches pur et simple quoi, enfin c’est pas compliqué pour moi ça. J’ai pas eu de problème de cet ordre-là. Mais c’est pas gagné.

K : À quel niveau ce manque d’égalité se traduit-il ?
Plus ou moins, quand même, je pense qu’un mec attend d’une femme qu’elle lui apporte de la tranquillité, sans vraiment se dire si la sienne est satisfaite, si elle est pas en train de donner de sa tranquillité pour en apporter à l’homme qui en demande encore et encore. J’ai l’impression qu’il y a des forces en présence et que la femme a toujours quelque chose à prouver par rapport au confort de l’homme, au confort quotidien : le ventre, la propreté, l’hygiène et tout ça ; c’est vraiment les tâches ménagères ! Au niveau des enfants aussi, la garde des enfants : il est père de famille, il est tranquille hein ; c’est bien d’être père de famille, surtout quand c’est la femme qui fait tout quoi ! Enfin après y’a des mecs qui font des choses et donc les femmes sont contentes quand même, elles se disent : "Non, j’ai de la chance !" Mais si on devait vraiment faire la cuenta, le compte de ce que chacun met comme carburant pour faire tourner le moteur, je suis sûre que le mec, il compte sur la femme quand même. C’est comme ça que je pense, mais je veux bien que quelqu’un me contredise, ça me ferait plaisir.

K : Quelle évolution notez-vous du côté de la femme ?
J’ai une crainte un peu sur l’image qui est en train de s’amorcer maintenant avec les nouvelles générations, les quinze/vingt-cinq ans. Parce que bon, aujourd’hui cette société elle est quand même assez tordue, quoi. En fait les femmes repartent carrément dans un truc de séduction physique, et du coup, intellectuellement elles s’appauvrissent un peu. J’ai l’impression qu’elles sont beaucoup plus intéressées par l’image qu’elles reflètent physiquement que par ce qu’elles peuvent apporter comme idées féminines. Elles sont en train de réfléchir comment elles vont faire ressortir mieux leur cul et leurs seins, mais pas trop comment elles vont faire ressortir leurs émotions et leur intelligence, leur intellect, leurs idées, voilà. De toute façon moi je suis un peu aigrie.

K : Aimeriez-vous avoir des enfants ?
Oui, j’aimerais avoir des enfants. Pas trop tard. C’est pas forcément nécessaire à l’épanouissement, parce qu’il faut arriver à s’épanouir en dehors de ses enfants et sans enfants si on n’en a pas. Par contre, c’est un peu de l’ordre des choses archaïques ; arrivé un moment, on est trop seul tout seul. Enfin y’a un truc comme ça, le vide résonne trop si on fait pas d’enfants, le vide envoie trop d’échos. Ça me fait peur, un certain vertige de se retrouver l’être humain tout sec, qui va partir comme ça. Enfin moi je suis pas du tout dans le sang, la lignée, les familles, "Je transmets", laisser quelque chose de moi sur la terre. C’est même pas porter un enfant dans mon ventre, c’est cheminer avec un enfant dans ma vie. Bon, après c’est merveilleux, la grossesse et tout ça, mais c’est vraiment pas pour transmettre une partie de moi, génétique. C’est vraiment pour être accompagnée et accompagner un enfant dans le chemin de la vie. Donc si je rencontre un enfant et qu’il soit pas le mien, je serais aussi contente que si j’en avais un. Voilà. J’espère pouvoir partager la vie d’un enfant.

K : Quelle est votre vision du couple ?
Je connais des couples qui vivent pas ensemble, même des couples de plus cinquante ans, des gens d’une génération au-dessus de moi qui pourtant ont la liberté de vivre comme ça. Mais pour moi c’est pas vraiment la liberté, je pense que le couple a besoin d’essuyer les galères du quotidien ensemble. C’est un besoin de partage, je crois, mais je sais pas comment on peut partager 100% l’autre, ses problèmes, ses joies et tout si on n’est pas à côté de lui à chaque moment, enfin... tous les jours. Peut-être que quand on a déjà eu une vie de famille et qu’on rencontre quelqu’un, on a envie de rester chez soi parce qu’on a déjà ses enfants, tout ça, donc après c’est autre chose. Mais moi je suis pas là-dedans parce que j’ai pas fait d’enfant, donc je conçois un couple avec des enfants dans une même maison. J’ai une relation depuis trois ans, mais on vit pas ensemble. J’aimerais, mais c’est pas sûr, que ça se fasse. Sinon, j’ai vécu déjà avec quelqu’un. On s’est séparé, mais c’est pas pour autant que ça m’a fait changer, parce qu’on s’est bien séparé. Puis c’est une belle histoire, y’a pas eu vraiment de crime passionnel, et puis y’a eu beaucoup de respect, donc ça m’a pas du tout fait changer d’avis sur le fait d’habiter avec un homme. Non, ça m’a pas ébranlée, ce genre de certitude. Mais sûrement que ça m’a donné de l’expérience dans le fait de gérer l’espace pour l’autre, justement comment se passe le partage. La définition du partage, ça a dû me faire avancer là-dessus.

K : Comment vous positionnez-vous par rapport à votre mère ?
En fait, justement, comme j’ai trente-trois ans et que j’ai pas d’enfant, je me suis dit que nos rapports finalement ils changeraient vraiment... Je pense que pour vraiment se sentir séparé de sa mère... C’est l’enfant de la troisième génération qui fait vivre cet arrachement avec la mère, et quand on n’en a pas, on reste encore trop l’enfant de sa mère. J’ai pas mal de témoignages d’amies qui ont eu des enfants et qui ont constaté que ça avait complètement changé l’histoire, que c’était une nouvelle histoire qui commençait entre elles et leur mère, donc maintenant j’ai conscience de pas avoir commencé cette histoire avec elle. C’est une réalité. J’ai de bons rapports avec elle, donc finalement j’ai pas de raison de le faire, cet arrachement. Elle est un peu irréprochable, enfin c’est quelqu’un de bien. Après, la vie elle est dure, donc on a eu une histoire dure, mais c’est pas de sa faute. C’est quelqu’un de bien donc je préférerais plutôt lui ressembler. Après c’est quelqu’un qui manque d’ambition, qui a manqué d’ambition toute sa vie et j’aimerais en avoir plus qu’elle. C’est un peu le seul truc que je lui reproche. Elle aurait pu avoir d’autres prétentions et finalement elle a pas eu assez confiance en elle pour se pousser un peu. Par contre c’est quelqu’un de très indépendant qui a pu se séparer des hommes. C’est quelqu’un qui a toujours travaillé et qui m’a toujours prôné l’indépendance aussi à mon niveau.

K : Êtes-vous indépendante ?
Moi je me sens pas très indépendante affectivement. Après, je me sens indépendante dans le sens où j’aimerais pas dépendre de quelqu’un. Financièrement, voilà. Je veux dire même si j’ai parfois des problèmes financiers, je sais qu’on peut s’en sortir seul, donc je sais qu’on n’a pas besoin d’un mec pour ça, et que même si on a été habitué à un certain confort, on peut repasser par quelque chose de plus miséreux juste par amour de l’indépendance. Enfin je sais que je ferai pas la connerie de me dire : "Non, j’ai pas les moyens de quitter cette personne", je suis foncièrement indépendante de ce côté-là. Je serai jamais soumise par des besoins matériels à rester avec quelqu’un. Après, affectivement, je suis assez dépendante dans le sens où je demande beaucoup à l’autre, je suis assez exigeante. J’ai un peu peur de l’abandon, donc ça se court-circuite et bon, ça se passe pas super bien. C’est pour ça que je dis que je suis pas indépendante affectivement.

K : Vous sentez-vous femme ?
Je pense que j’ai un caractère assez masculin, et toute façon on me l’a dit, mes petits copains me l’ont dit aussi. Je suis autoritaire, pas spécialement douce, je suis pas très gracieuse comme on imagine les femmes. Après je me sens une femme dans le sens où je me sens "féministe", enfin c’est pas le mot mais je me sens être reliée à la communauté de mes sœurs les femmes, vraiment... des femmes du monde entier. Le genre humain est fait de deux genres et je sais très bien auquel j’appartiens. Mais j’ai des caractères qu’on dit "masculins" : je suis assez grande gueule, j’ai vite les coucougnettes qui me tournent, je suis pas très douce de caractère, je suis colérique... enfin les femmes sont colériques, on dit. Ma mère m’a eue très jeune, elle a pas été élevée par une femme, donc on a des lacunes au niveau de ce qui se transmet entre elles. Au niveau de la beauté, des gestes de beauté, de la cuisine par exemple, et ça ça me manque. Vraiment. Je pense que c’est dû au fait que ma mère était jeune et au fait aussi d’être en France. Donc je suis un peu contradictoire dans le sens où tout à l’heure, je disais que les femmes ont fait une grosse révolution y’a trente ans, et qu’aujourd’hui on revenait à l’objet femme dans le sens où y’a un esthétique à suivre et tout ça. Mais c’est dans un côté plus fin que la tenue vestimentaire où on fait bien ressortir les formes et tout ça. C’est pas de ça que je parle. Les gestes de beauté des femmes, c’est se retrouver ensemble. Par exemple les femmes d’Afrique ont une journée pour se faire belles ensemble au hammam ; les femmes des Caraïbes c’est pareil, elles en parlent entre elles, c’est quelque chose qui existe réellement dans leur culture, leur culture des femmes que les hommes n’ont pas du tout accès. Et moi je connais pas ça chez nous. Heureusement j’ai voyagé, j’ai été à l’intérieur de la communauté des femmes, elles m’ont accueillie au sein de leur communauté, j’ai fait ces gestes avec elles et ça m’a beaucoup aidée pour me sentir une femme. Et d’ailleurs je repartais bien chargée de féminité que je reperds au fur et à mesure ici.

K : Soignez-vous votre apparence ?
Pas assez à mon avis. Sans pour autant dire de passer une heure tous les jours dans la salle de bain - c’est pas du tout ça le truc - c’est peut-être passer une heure par semaine mais efficacement. Ce qu’elles apprennent, les femmes, justement, des gestes précis qui sont vraiment efficaces. Mais rester une heure tous les jours devant sa glace, ça c’est être esclave, c’est pas pareil. Je suis assez poilue, donc j’essaye quand même de retirer les poils, mais je pense que si j’étais pas spécialement poilue comme ça, je laisserais un peu. Là je peux pas. Mais je fais pas assez attention à moi. D’ailleurs quand je fais attention à moi ça me fait du bien mentalement, et en général je suis dans une bonne spirale où je suis bien, je me fais du bien et je me fais du bien, je suis bien, voilà. Et je trouve que c’est des gestes d’hygiène mentale en même temps, qu’on fait. Sinon je mets beaucoup de bijoux. Des parures, j’adore les parures. Ouais, paraître. Mais je préfère être.

K : Jouez-vous de votre féminité ?
Tout dépend de qui on a en face. Par contre les mecs qui me feraient trop penser que je suis une femme, ils m’emmerdent, quoi. Du coup, j’ai envie d’être encore plus masculine avec eux. Après j’ai envie de leur dire des gros mots.

K : Quel rôle jouent vos amies ?
C’est des miroirs. On est des miroirs les uns les autres, pas systématiquement, parce que sinon on est dans la représentation et on regarde où on se situe et tout... C’est pas pour se situer, c’est parce qu’en fait il se passe les émotions et tout ça entre nous, c’est des miroirs sur mon propre désir. Quand même les femmes, on parle beaucoup, je pense ça c’est un truc qui est peut-être plus des femmes. Mais heureusement qu’on parle parce que - je voudrais bien placer un petit proverbe africain - "La bouche fermée pue." Bon, après, le problème c’est de trop parler. Mais il faut parler vraiment avec des gens qui peuvent nous comprendre, ça sert à rien de parler si on n’est pas compris. Donc vraiment savoir que la personne nous connaît, nous comprend, nous aime. Voilà, ouais, la parole, parler. C’est important, que mes amies m’aiment, elles m’aident vachement pour ça. Et par moment, autant si on parle trop on peut s’embrouiller l’esprit, autant par moment le fait de sortir les paroles, ça aide. Et puis après, bon, y’a l’envers de la médaille, alors c’est sûr, on va dire : "C’est les langues fourchues, les gens qui savent pas tenir les secrets, les paroles déformées", mais je pense que ça nous aide quand même, de parler. Quand tu as ça, c’est une façon de pas péter les plombs, hein. Moi je crois à la parole. Mais après qu’est-ce qu’elles m’apportent mes amies, bon c’est pas que dans les moments de détresse non plus, c’est partager aussi les moments de joie. Je pense qu’il faut apprécier sa solitude mais faut vivre au milieu des gens qui nous apprécient.

K : Trouvez-vous qu’il existe une solidarité féminine ?
Je trouve qu’il existe une solidarité féminine, et qu’il existe également un calvaire que les femmes peuvent se faire entre elles. Il existe aussi beaucoup de jalousie, des choses vraiment moches. Mais après la solidarité féminine existe aussi parce que des fois on est face à une injustice, et en tant que femme oui, on la comprend réellement cette injustice, on sait que c’est possible, ça existe, on le ressent. Systématiquement on va se mettre du côté des femmes dans ces cas-là, enfin moi ça me fait ça. Quand mes copines se confient à moi, je mens pas, quoi, je veux dire, si justement je peux faire jouer ma solidarité féminine en aidant ma copine, ben ouais. "Là t’as raison, laisse-toi pas faire et tout." C’est l’épauler, quoi, c’est la solidarité féminine dans le sens où à un moment c’est des clans, et puis c’est entre femmes qu’on va se comprendre et qu’on va s’aider, se pousser à arrêter ça, ou à se révolter contre ça. C’est encore la parole qui va aider l’autre par solidarité.

K : À quoi aspirez-vous ?
J’ai envie de produire des légumes, des fleurs ; c’est un peu individuel, mon délire, hein ! Voilà, pour l’instant je pense à ça. Et c’est tout, quoi. Je suis focalisée là-dessus. Au niveau relationnel, j’essaye de pas trop avoir d’espoir de ce côté-là pour l’instant, je suis dans une mauvaise passe. Donc c’est un peu le sophisme, non Socrate, je sais pas, enfin il dit "Celui qui n’espère rien n’est jamais déçu" quoi, voilà ! C’est un peu triste hein, mais bon. Voilà, je sais pas, après j’aspire que les prochaines élections se passent autrement que les dernières, j’ai quelques petits espoirs quand même, voilà. Que cette société arrête de se dégrader comme ça, qu’on puisse avoir encore des espoirs, des projets dans cette société.

Propos recueillis le 23/05/06 par Odile Fourmillier ; rédaction : Odile Fourmillier et Patricia Rouillard ; image : Christian Coursaget.

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