Migrant chilien
« Eh, j’ai quitté l’année 1974 et la cause c’était un exil politique… Mais, j’ai quitté en tant que touriste, j’ai dit que j’ai parti au Brésil et m’ont dit : "Pourquoi vous prenez un passeport ?", et je dis : "Parce que je reviens en bateau" ; parce que normalement pour aller au Brésil, je n’avais pas besoin de un passeport, je pouvais aller avec ma carte d’identité, mais si je revenais par bateau, "jé" avais besoin de mon passeport, voilà, ah oui ! J’avais 14 ans. » Eduardo Delard, 47 ans, franco-chilien.
Koinai : Avez-vous vécu dans d’autres pays que la France ?
Oui, j’ai vécu dans plusieurs pays : j’ai vécu en Argentine, j’ai vécu en Algérie, j’ai vécu en Belgique et en Uruguay.
K : Quel pays avez-vous le plus aimé ?
Je crois que c’est… oui, c’est l’Algérie, oui, parce que j’ai vécu très longtemps en Algérie, dix ans, et j’ai arrivé adolescent déjà, j’ai passé mon enfance - ndlr : jeune adolescence - et une partie de mon adolescence et puis je suis parti adulte quand même, après un an de faculté, voilà. Ça fait dix ans, ça marque, ça m’a marqué, cet fait et j’ai beaucoup d’amis.
K : En arrivant, quel a été votre plus grand choc ?
Choc, est-ce que j’ai eu de choc ? Laisse-moi réfléchir… qu’est-ce que m’avait choqué… Ah ! C’a plutôt choqué ma mère, he he he ! que je suis resté dormir chez une copine ; "jé" étais jeune, "jé" avais quatorze et ç’a beaucoup choqué ma mère que je reste chez elle et que "jé" étais si jeune. Oui, « Qu’est-ce qu’il fasse un jeune dormir dehors ? » Que ça, et travailler si jeune, que on avait de petits boulots d’été alors on avait une indépendance économique déjà assez jeune, mais bon ç’a a duré pas longtemps, ç’a duré juste l’été. C’était ça qui l’a plus choquée et ça m’a pas choqué, ça m’a surtout ouvert l’esprit assez jeune.
K : Comment avez-vous appris le français ?
…
K : L’apprentissage de la langue était-il un souci ?
Hem… non, je… hem… Si, c’était un problème, bien sûr que c’est un problème pour communiquer, cette envie de communiquer, de parler, d’écouter des histoires, ça… hem… T’as besoin de ça, de communiquer, alors oui c’était un problème au "débout", oui, mais bon, surmontable puisqu’on… tous les jours on apprenait un petit mot, on voyait notre progrès.
K : Vous appreniez le français à l’école ?
À l’école, oui, ou dans la rue, se communiquer, juste demander où se trouve l’endroit, telle rue, hem… Après… dans le quotidien, oui, dans le quotidien. Après tu es à l’école, t’as les difficultés à l’écrire, t’as les difficultés à le lire, à trouver ses mots, à s’exprimer correctement et jusqu’à maintenant j’ai mon problème, j’ai un accent, on me demande souvent d’où je viens. J’ai un accent et je vais le garder ; ça fait trente ans que je parle français, j’ai un accent encore, j’ai un accent et je pense que ça va rester. C’est peut-être une façon de garder mon identité.
K : Depuis quand habitez-vous Marseille ?
Je habite depuis… hem… six ans à Marseille.
K : Pourquoi avez-vous choisi la cité phocéenne ?
Eh… mais je connaissais déjà, puisque je prenais le bateau à Alger pour venir en France et je arrivais à Marseille, alors ça fait que je connais Marseille depuis 1975. Alors j’ai beaucoup d’amis à Marseille, alors, et j’ai ma petit sœur qui venait à faire des études à Aix, alors ç’a ma rapproché, voilà.
K : Qu’est-ce qui vous plaît à Marseille ?
Bah, le climat, le climat méditerranéen, la… bè surtout mes amis, ah ?… Après c’est la mer, c’est un port - j’aime bien les ports, le climat, l’ambiance. Il y a une bonne ambiance à Marseille, il y a une vie de quartier, ça me ressemble un peu, ça ressemble un peu à l’Amérique Latine, quelque part, cette vie de quartier, les gens qui sont pas personnels… mm, en tout cas où j’habite, hè.
K : Quelles sont les contraintes liées à la migration ?
Mais, c’est le mal du pays, c’est le mal du pays, c’est… c’est le manque de la famille. Quoi encore ? Le climat, on peut dire, oui.
K : Qu’est-ce qui est le plus difficile ou le plus facile, là-bas, au Chili ?
Le plus facile, ch’sais pas si c’est plus facile, je pense que c’est plus difficile ! He he he ! Oui, il y a plus de choses difficiles dans les pays du tierce monde, en général.
K : Il n’y a rien de facile au Chili ?
Les choses faciles là-bas ? Je sais pas qu’est-ce que on peut trouver comme choses faciles, les relations avec le gens, peut-être, sont plus faciles, hem…
K : Et en France, qu’est-ce qui vous semble facile ou difficile ?
Ici c’est… se perfectionner c’est facile, il y a des écoles pour tout ; tu veux faire le clown, t’as l’école pour les clowns ; on peut trouver des formations pour tout ou presque. Qu’est-ce que c’est difficile ? C’est… ici en France, c’est peut-être aller faire les relations avec les gens, mais bon, comme partout, ah ?… Hem… non, je trouve pas que c’est difficile ici, c’est plus facile encore.
K : Comment conciliez-vous les difficultés et les facilités rencontrées ?
Hem… on voyage, on continue à voyager et puis on essaie de pas perdre les fils, se ressourcer ailleurs, quoi. Je crois que voyager ça nous permettre d’être ouverts aux autres. Et on a besoin de cette voyage, de partir, de revenir, se ressourcer ailleurs, voilà. Prendre le mieux dans chaque pays et puis se ressourcer, voilà, et les choses difficiles tu les oublies. Alors, bon, c’est le quotidien que c’est difficile d’ici, voilà, c’est le quotidien, c’est la routine, les choses comme ça, mais bon, on essaie de faire… hem… de voyager. C’est vrai que on a tendance de voyager beaucoup et ça fait que ce qui nous manque on le récupérait en vacances ailleurs, dans nos pays.
K : Quelles coutumes avez-vous gardées de votre pays d’origine ?
Oh, c’est surtout de coutumes de nourriture, peut-être les contacts avec les gens que on est très social ; oui, de manger, je mange encore chilien et après, bon, c’est la façon de se comporter, eh ? l’humour.
K : Connaissez-vous des émigrés chiliens à Marseille ?
Oui, j’ai un en face de moi (rires) ! Oui, je connais quelques-uns, mais bon je habite pas en ghetto…
K : Avez-vous de bonnes relations avec vos compatriotes ?
Oui, oui, en général oui, ça se passe bien.
K : De quelle nationalité sont la plupart de vos amis ?
Oh, j’ai un mélange, j’ai un mélange des cultures, on habite dans un pays qui est assez cosmopolite. J’ai des amis algériens, français, italiennes, américains, israéliennes, partout, Bénin… Il y a un mélange de gens qui on connait en France, c’est un pays de migration, c’est un pays d’accueil, c’est un pays cosmopolite, donc ça fait que je connais de gens des origines diverses.
K : Aujourd’hui, vous sentez-vous plutôt français ou plutôt chilien ?
Eh… j’ai partagé quand même, hé hé ! J’ai partagé...
K : Envisagez-vous de migrer encore ?
Est-ce que je pourrais migrer ? Mais oui, ça me gênerait pas émigrer encore une fois, mais à quel pays ? ch’ais pas… au paradis ! Ha ha ha !
K : Vous aimez bouger…
Oui, on a tendance à bouger facilement et à s’intégrer assez vite dans d’autres sociétés. Alors, où ? ch’ais pas, peut-être un pays hispanophone, mais bon, c’est pas le cas.
K : Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut migrer ?
Eh, que c’est pas facile et c’est… c’est un déchirement culturel, social. Un conseil, hem… c’est : "Apprenez la langue, apprenez "cé" qu’y a de bon en France pour le transmettre après dans les pays d’origine." Hem… s’en profiter un peu de cette culture qui est assez riche, en France, c’est une culture assez riche, assez variée ; qu’il faut en profiter de cette chance que on a de être en France, parce que c’est un bon pays, c’est une chance d’être là.
K : Si vous le pouviez, que feriez-vous différemment ?
Qu’est-ce que je ferais de différent ?… C’est réfléchir deux fois, parce que bon, c’est bien, émigrer, mais il faut savoir pourquoi on émigre. Est-ce qu’on est un émigré économique ou un émigré juste pour des études ? Un émigré économique c’est un peu plus dur parce que on part de son pays. Hem… moi j’étais un émigré politique, en fait, alors moi j’ai venu pas parce que j’ai voulu venir, j’étais un peu forcé de partir. Alors le migré qui vienne pour… parce qu’il a choisi que la France que c’est un pays qui va l’aider, qu’y va s’en sortir mieux que dans son pays, c’est de réfléchir deux fois, se dire : "Est-ce que on va rester ici ? Et pourquoi on reste là ? Et qu’est-ce qu’on va faire de notre séjour ici pour retourner, est-ce que on va retourner ?" C’est toutes ces questions-là, est-ce que on va retourner à notre pays d’origine ? Hem… quel projet on a à faire ici ? Quel profil, niveau formation on peut avoir en France pour, si un jour se trouve que on retourne à notre pays d’origine, qu’est-ce qu’on fera, qu’est-ce que ça peut aider, quel métier, de quelle façon on peut aider notre pays pour un éventuel retour.
Propos recueillis par Jaime Villalon le 22/06/07 ; rédaction : Odile Fourmillier.
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