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Femme aujourd'hui

Les pierres précieuses

Trois mariages et sept enfants

« Alors moi, je me suis vraiment sentie femme… C’est même pas à la naissance de mon premier enfant, j’avais dix-huit ans ; je me suis mariée à seize ans. Quand ma fille est née j’avais vingt ans. Je sais pas, je crois que c’est vers les vingt-six ans. Je sais, ça peut paraître bizarre. Mais tout d’un coup, j’ai trouvé que mes enfants étaient grands, et que j’étais devenue une dame, surtout quand le plus jeune est rentré à l’école primaire quand il a eu six ans. » Chantal Eymon, 58 ans, propriétaire du bar Paris Palace à Marseille.


Les pierres précieuses
 Les pierres précieuses

Koinai : Faire des enfants tôt, c’était pour acquérir un statut d’adulte ?
Non, c’était pour avoir des enfants. Je suis fille unique, mes parents étaient enfants uniques. J’ai toujours été gâtée, j’avais aucun problème, au contraire, et disons comme j’étais un peu grande de taille et en avance pour mon âge, mes copines étaient mariées, eh bien moi aussi. J’ai surtout voulu avoir des enfants, et j’en ai eu six ; j’en ai adopté un, un sénégalais, ça fait sept. Voilà, j’ai toujours adoré les gosses - d’ailleurs je me suis occupée d’orphelinats - et j’ai trouvé ma place auprès de mes enfants, j’ai trouvé ma personnalité, disons ma raison de vivre. À vingt-six ans j’avais déjà trois enfants.

K : Ces maternités jeunes, vous les avez vécues comment ?
Ça m’a épanouie. Et j’ai été très fusionnelle avec mes bébés. Je trouvais ça merveilleux. C’était pas une corvée, pas du tout, jamais, à aucun moment. D’ailleurs, j’ai eu deux jumelles, j’avais trente-neuf ans. La maternité, la grossesse, ça m’a jamais inquiétée. Ça m’a jamais fait peur.

K : Et la découverte du corps de l’homme ?
Ça, ça a été quelque chose ! Que, c’est-à-dire que si j’avais pu faire un enfant sans homme ça aurait été bien. Non, mais c’est vrai, voilà ! Mais trop jeune, non, ça dépend de l’état d’esprit.

K : Vous l’aviez rencontré où ?
Eh bien moi, je l’avais rencontré avec un groupe d’amis, on était un grand groupe d’amis. Et lui, c’est un pied-noir, enfin c’est un très beau garçon : brun, charmant, tout pour lui, tout ce qu’il fallait ; je suis tout de suite tombée amoureuse de lui. Moi, il me plaisait. Il était plus âgé, il avait sept ans de plus que moi. C’est pas vieux quand même ! Donc on est resté fiancés trois ans. Ensuite il a terminé son service militaire. Il avait une place au sein de l’entreprise familiale - son père avait une entreprise de peinture - et tout de go, il est venu demander ma main. Moi aussi je voulais me marier. J’avais quinze ans. Je réalisais pas, mais comme lui aussi était très délicat… C’était un flirt, il me respectait beaucoup, je réalisais que j’allais me marier, avoir des enfants.

K : Et votre mère, elle s’était mariée jeune ?
Non non, ma maman m’a eue à vingt-cinq ans.

K : Et votre mère vous laisse vous marier ?
Eh bien, puisque je l’aimais, et que c’était un garçon bien et qu’il avait tout ce qu’il lui fallait… Avant les parents, ils avaient toujours peur, ils refusaient. Ça faisait quand même deux ans qu’on était fiancés, qu’il avait fait son service militaire… Voilà ! Il était artisan peintre.

K : Vous aviez un rapport complice avec votre mère ?
Tout à fait, tout à fait. Elle m’a toujours suivie. J’avais aussi ma grand-mère et mes tantes Marie qui m’avaient élevée, parce que ma mère travaillait. J’ai eu une enfance très choyée, mon père qu’était adorable. Mon père est mort, ma sœur et moi on était toutes petites ; ma mère s’est remariée - j’avais six ans - avec un monsieur qu’était du Lot : adorable, un paysan adorable ; c’était comme mon père. Je discutais, je pouvais tout leur dire. C’est-à-dire le plus difficile a été après dans mes rapports de couple, sinon je serais là, je vivrais sur un nuage.

K : Et pour en revenir à la mère, quelles valeurs vous a-t-elle transmises ?
Ma mère, elle m’a transmis beaucoup de valeurs. Elle me transmet l’amour pour les enfants, le respect de la famille, tolérer les gens, l’indulgence, vis-à-vis des autres, vis-à-vis de tout le monde, d’ailleurs. Et voilà ! Et l’altruisme, et de savoir vivre en société c’est-à-dire le respect de l’autre, le respect de ma belle-mère, des parents de mon mari, respect d’autrui, des gens âgés. Même si ça fait des réflexions, on ne répond pas. Si on respecte les autres, on te respectera. Et je suis divorcée trois fois, mais j’ai toujours eu des bons rapports avec mes belles-mères… La première, non, pas trop, parce qu’elle ne s’entendait pas trop avec son fils, parce qu’elle était trop possessive et trop vindicative ; donc ça venait pas de moi, la mésentente. Ma deuxième belle-mère, on s’est très bien entendues : comme une amie, comme une belle-mère…

K : C’était quel genre de maman, votre mère ?
Eh ! Moi, ma maman, elle était très affectueuse, elle était très belle, très, très, très belle femme. Et quand je dis très belle : très belle. Moi je lui ressemble pas, je ressemble à mon père. Maman avait des origines un peu tziganes, polonaises. Pure française. Une très belle femme, avec beaucoup de cœur, de gentillesse, de respect. Elle me transmet l’amour pour les enfants. Je l’ai toujours pour mes enfants. On riait beaucoup, on s’entendait très bien, on riait avec les enfants. Maintenant c’est pareil, ce que j’essaye de faire avec mes enfants, mes belles-filles, avec tout le monde.

K : Quelle relation s’établit avec le premier mari ?
Il était très autoritaire. Moi, j’étais une maîtresse de maison assez déplorable. Alors moi, j’étais très jeune, je pleurais, y avait un pli à la chemise, c’était un drame, il fallait que ce soit prêt à telle heure, y fallait que ci, y fallait que ça ; y m’étouffait, quoi ! En plus de ça, on avait d’autres problèmes de couple qu’on arrivait pas à régler, donc on s’est séparés. Finalement, il me prenait un peu pour sa fille : il était autoritaire, moi, je ne supportais pas l’autorité. Parce que j’ai été élevée par des charmantes dames très zen, très cool, ma mère aussi très cool. Elles ne faisaient pas n’importe quoi, loin de là. Mais, bon, y avait pas cette rigueur, cette autorité…

K : Vous ne travaillez pas à ce moment là ?
Non. Je ne travaillais pas comme mes enfants étaient bébés, parce qu’ils ont deux ans de différence, les aînés. J’étais femme au foyer.

K : Vous avez suivi des études ?
Non, j’ai arrêté après mon brevet. J’ai mon brevet parce que j’étais un peu en avance, j’ai fait un an d’études de puéricultrice et j’ai arrêté pour me marier. J’avais mon certificat d’études, mon brevet.

K : Que se passe-t-il au moment du divorce
Bien sûr, je suis retournée vivre près de chez ma grand-mère et de mes tantes. Elles étaient militaires civiles, elles travaillaient dans l’habillement militaire à la place du Quatre-Septembre. Et cette usine était devenue le pantalon "Number One", mais y avait quelques contremaîtresses qui étaient restées. Donc je suis rentrée dans cette usine. Donc je trouve un boulot : je faisais les ourlets tout tordus mais ça faisait rien. J’étais la chouchoute, c’était jamais comme il fallait… Bon, mes enfants, à ce moment-là, je les mets à la crèche et petite école Saint-Georges. Quand mes enfants n’étaient pas à l’école, ma grand-mère les gardait.

K : Pas de déprime, d’angoisse, de problème d’argent ?…
J’avais mes parents qui m’aidaient beaucoup, beaucoup. Ma mère faisait tout pour moi. Même si j’avais pas travaillé, elle aurait resté quand même. Mais je voulais travailler. Je prenais ma voiture…

K : Vous aviez le permis ?
À dix-huit ans. Dès que j’ai accouché, j’ai passé mon permis, et ma mère me poussait : "Il faut que tu aies un permis, donc, si tu es avec tes gosses…"

K : Elle l’avait ?
Oui, oui, bien sûr.

K : Vous étiez très entourée ?
Très entourée. Toujours. Toujours.

K : Et donc, vous quittez cet homme ? Et vos parents aussi vous aident, vous soutiennent… ?
Ben oui, euh… ils m’ont suivie. Ils ont essayé pour que ça s’arrange, ça s’est pas arrangé. Je suis restée seule pendant quatre ans avec mes enfants. Je travaillais, bien sûr, tout se passait bien. Et après j’ai rencontré mon deuxième mari. Alors après, je rencontre cet homme qui était d’une très bonne famille, des gens charmants… Bon, ben, lui, il avait d’autres problèmes.

K : À quel âge vous le rencontrez le deuxième ?
Alors, euh… J’avais vingt-et-un ans. Mon fils avait un an, euh… Un avait un an, l’autre avait deux ans.

K : Deuxième mariage, deux enfants…
Voilà deuxième mariage, deux enfants.

K : Et avec le deuxième, vous prenez votre affaire, le Paris palace…
Non, non, c’est à moi. On était là depuis trente ans, c’est moi qui l’ai pris. Parce que d’abord, mon mari avait un oncle qui avait une grande brasserie. Je vous parle des années… il y a plus de trente ans ! Donc, je travaillais avec lui, il m’avait montré un peu comment on fait tout ça, et après, j’ai travaillé aussi. Je faisais du secrétariat pour le propriétaire d’ici, monsieur Piéry. Mais un jour il m’a dit : "Le couple qui est là, ils ont trop de problèmes, si tu veux, comme je vois que tu es dégourdie, que tu es sympa, prends-le en gérance". Alors j’ai accepté, je l’ai pris. C’est ma mère qui m’a donné l’argent, pour le prendre en gérance. Je n’avais pas acheté. Et à ce moment, mon mari était docker. On était ici, je travaillais avec sa famille. La vie est rapidement devenue un enfer… J’ai rien contre sa famille… Donc après une période très dure, violente…

K : Violences conjugales ?
Ah, oui, oui ! Oh, là là ! Donc peut-être que moi aussi j’y suis pour quelque chose. Peut-être il faut se taire un peu dans la vie, faut mettre de l’eau dans son vin. Toujours est-il que ça va de plus en plus mal, on se dispute tous les jours.

K : Vous vous défendez ou pas ?
Ah ! ben oui ! Mais avant, c’était pas comme maintenant. C’est-à-dire, avant y avait pas trente-six solutions, c’est retourner chez les parents. Moi, mon père était routier, donc il faisait la route, donc quand il était pas là, y avait mes beaux-parents. Peuchère, mon beau-père il était complètement euh… Son fils était tellement violent… Donc, quand je partais, j’allais chez ma mère ; lui il venait faire un scandale chez ma mère… Au bout de sept ans, qu’est-ce que je fais : j’ai des amis qui me proposent un job en Afrique Noire, en Côte d’Ivoire ; je prends mes enfants et je pars. Voilà ! Je prends les quatre et je pars. J’ai toujours vécu ça : l’aventure ! J’ai jamais été matérialiste, conformiste ou attachée, mais partir le sac au dos avec des gosses, non ! Avec un travail. J’ai commencé à travailler dans les hôtels internationaux, dans les Novotel, dans les palaces internationaux, à faire les remplacements, parce que je n’avais pas tout à fait les diplômes voulus pour avoir le poste d’attachée de direction, et comme j’avais le savoir, que ça passait bien avec les autres personnes, y avait les gens du pays… Je vis où je suis bien. Donc, j’ai vécu vingt-cinq ans en Afrique Noire, et j’ai bien vécu… J’ai fait beaucoup de pays, j’ai fait la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Cameroun, le Togo, le Bénin, le Ghana, le Gabon, Sénégal, Tchad, Somalie.

K : Vous étiez beaucoup plus seule, beaucoup plus autonome…
Beaucoup plus autonome, plus à l’aise avec… une grande chaleur humaine, une grande tolérance… Ma mère, elle venait deux fois par an, elle venait toujours me voir.

K : Quand votre troisième mari entre-t-il dans le décor ?
Il apparaît quand malheureusement, j’ai perdu ma maman. Elle était venue, tout se passait bien. Je rentre au mois de juillet en vacances, je la trouve apparemment bien, mais elle avait déjà un cancer généralisé, et elle avait rien dit. Et là je l’ai perdue, durant les trois semaines… Ça a été une catastrophe, une catastrophe ! J’étais complètement déphasée, perdue… Elle avait soixante-deux ans. Et moi j’avais trente-quatre ans, trente-cinq… trente-trois ans. Je suis restée quelque temps pour tout régler. J’avais un fils qu’elle gardait, qui faisait des études pour être cuisinier, qui faisait des écoles françaises pour un métier. Donc je peux pas le ramener avec moi. Donc je suis restée un peu. Et entre temps, j’ai connu chez des amis un garçon d’origine un peu yéménite, algérien, très bien aussi, que j’ai beaucoup aimé, qui m’a beaucoup aimée. On a pris un commerce ensemble sur le port, ça s’est bien passé ; et après, nous sommes repartis en Afrique ensemble, et là-bas, on s’est séparés pour d’autres raisons… Lui, il est chauffeur d’ambulances.

K : Avez-vous connu une période de dépendance financière par rapport à l’homme ?
Et non, jamais, parce que les deux premiers, ma mère m’aidait beaucoup, elle m’aidait pour de l’argent, elle m’aidait… Bon, alors après, quand j’étais enceinte, j’ai toujours travaillé jusqu’au jour de mon accouchement, et j’ai repris tout de suite.

K : Vous croyez à la solidarité féminine ?
Oui, j’y crois. J’ai beaucoup de femmes africaines qui m’ont aidée.

K : Ça se traduit par quoi, la solidarité ?
La solidarité, ça se traduit par l’aide. Ça se traduit par de l’affection, de l’encouragement, pour que vous soyez dans de bonnes conditions, pour vous encourager, que vous ayez confiance en vous, qu’on vous montre de petites attentions. C’est plein de choses qu’on peut pas rencontrer ici. Ici, chacun a ses problèmes. C’est pas la même chose, c’est pas le même rapport. C’est pas aussi simple, c’est pas aussi simple.

K : Les trois fois c’est vous qui avez demandé le divorce ?
Heu, c’est-à-dire, oui. Voilà ! C’est mieux, hein ! J’ai eu de belles histoires, mais pas avec les hommes. Peut-être que j’ai pas de chance aussi. Je crois pas que les plus belles histoires de ma vie soient avec des hommes, ou avec mes maris. Avec des gens en général.

K : Vous leur avez laissé une place auprès des enfants à vos maris ?
Ah, oui, tout à fait. Moi personnellement, j’avais de bons rapports, mais après, je les ai plus jamais revus. C’est pas moi qui voulait pas… c’etait pas l’époque. Ils m’apportaient ce que les hommes apportaient à notre époque : ils les aimaient, ils les portaient, on allait promener, et après il y avait des choses qui étaient le rôle de la femme, bien dessinées. J’ai pas d’état d’âme de savoir comment mes enfants vont être vis-à-vis du père.

K : Dans les grandes lignes, vous leur avez reproché quoi à vos hommes ?
De la jalousie. Pour rien en plus. Le manque de tolérance, d’indulgence, l’égoïsme, la façon de vouloir tout ramener à soi, de vivre pour soi, voilà…

K : Pensez-vous que la femme est l’égale de l’homme ?
C’est-à-dire, il vaudrait mieux pas, parce que si on est l’égale de l’homme, on n’a plus notre place de femme. Faut le comprendre : on peut pas faire tout ce qu’un homme fait. Moi, je crois que le drame il est à partir du moment où on empiète sur le terrain de l’autre. Je dis pas, l’égale dans le travail, ou qu’un homme doive vous mépriser, mais moi je vois pas une femme faire terrassier. Moi, je dis : "Bon, l’homme rentre à la maison, il vous donne un coup de main, et tout ça, je suis d’accord. Mais l’égale, ça veut dire quoi, être égale ?" On est déjà tous égaux quand on naît. Après y’a des choses qui appartiennent de faire aux hommes parce que c’est leur rôle. Ils doivent le faire. Y’a des choses qui appartiennent aussi au rôle de la femme. Je dis pas qu’un homme ne doit pas t’aider ou te faire le ménage, s’occuper des enfants… Bon après, y’a des trucs où faut pas avoir peur de dire : "J’arrive pas, tu peux le faire, ou fais-moi ça, fais-moi ça."

K : Que pensez-vous de l’évolution de la femme ?
Moi je vois, quand j’étais jeune avec mes copains, mes amis, on était un peu comme des pierres précieuses, on avait une place un peu privilégiée, maintenant c’est un peu tout le monde pareil. Moi je trouve que par rapport à notre époque, à l’époque de ma mère, les choses n’ont pas bien évolué pour les femmes. Parce que y’avait quand même ce respect, cette admiration, cette attitude devant la femme un peu précieuse ; la femme c’est pas n’importe quoi. Maintenant les hommes, ils considèrent les femmes comme des mecs, ils leur parlent comme à des mecs, ils les envoient balader. Y’a beaucoup moins d’admiration. Ils sont tous comme ça, même mes fils, je vois. Mais on en discute des femmes, on leur explique.

K : C’est quoi pour vous la spécificité de cette féminité ?
Moi, je trouve, la femme doit être un peu choyée. D’abord on vieillit beaucoup plus vite, on s’abîme beaucoup plus vite, on se fatigue beaucoup plus vite. On porte des enfants, c’est tout à fait normal. On appelle son mari, parce que les sacs à monter sont trop lourds, quand il faut remuer une armoire, parce qu’il faut porter un truc, parce que y’a des tas de choses qui ne sont pas faites pour être faites par les femmes. Et ça veut pas dire… Parce qu’avant j’ai jamais vu mon père - comment dire ?… - mépriser ma mère. Au contraire, j’ai vu beaucoup de respect, et ma mère aussi respectait. Elle était très femme. Tandis que maintenant, ils font tout un amalgame, un mélange. Plus personne sait qui il est, et l’homme te donne la torgnole comme il la donne à un mec, puisque t’es un mec. Après ça change toutes les données, quoi !

K : Que diriez-vous aux jeunes femmes aujourd’hui ?
Eh bien moi, vous savez, les jeunes femmes, mes filles, moi, je leur dirais de garder leur féminité. Et de bien préserver leur place de femme. Il faut rester femme, dans ses besoins, dans ses atouts ; il faut rester polies, avoir une conduite de femme, de jeune femme. Faut pas dire qu’on est pareil, c’est faux. On n’est pas des mecs, nous sommes des femmes. Y’en a qui te parlent mal, qui te frappent, c’est pas pareil, mais, disons que dans la vie courante il faut que les choses soient à leur place si on veut bien vivre ensemble. À partir du moment où on veut jouer les mecs, eh bien, le mari, il te prend pour un mec.

K : Vous étiez où en mai 68 ?
J’étais à Marseille.

K : Ça bougeait ?
Ah oui, beaucoup. J’étais enceinte, mais je suivais. Y’avait plein de choses qui me plaisaient, les choses qui me plaisaient c’était de vivre en harmonie, de tous s’aimer, pas de guerre, tout ça. Pas de discrimination, l’entente, voilà, c’est tout quoi.

K : Et la loi Simone Weil… ?
Moi je dis qu’il faut vraiment que ce soit une… Comment dire ?… Une obligation. Bien qu’à ce moment là y’avait pas la pilule, donc il faut quand même bien faire attention. L’avortement, c’est quand même quelque chose. Mais si ça doit être à haut risque, un viol, complètement indépendant de la volonté, mais il faut pas que les filles se disent : "Si je suis enceinte, j’avorterai". Ça c’est dégueulasse.

K : Vous l’avez prise, la pilule ?
Oui, je l’ai prise, dans les années soixante-six. Dès qu’elle a commencé. Mais on était malade comme des chiens, on avait mal au coeur, on avait mal au ventre.

K : C’était efficace.
Ça marchait. Fallait pas l’oublier.

K : Vous l’avez oubliée ?
Oui, souvent. Mais moi, comme j’étais pas trop portée… Je me débrouillais après.

K : Et votre mère savait que vous preniez la pilule ?
Oui, tout à fait ; bien sûr, j’avais déjà deux gosses d’avant. Il faut savoir si on en veut pas. Si on veut la liberté. Mais maintenant pour les jeunes, c’est terrible cette maladie qu’il y a. C’est horrible.

K : Vous parlé de drogue, de sexe avec vos enfants ?
Oui, oui, je leur en ai parlé, oh là là ! Oui, tout à fait. Avec ma mère, on avait abordé ce sujet. Nous, la drogue y’en avait pas, on n’en parlait pas. Avec mes filles on en a parlé aussi.

K : Vous avez fait beaucoup de distinction dans l’éducation entre vos fils et vos filles ?
Bon, par exemple, ma fille aînée, qui a été élevée pratiquement tout son temps en Afrique Noire avait beaucoup de liberté. Elle sortait beaucoup. C’est pas comme ici, y’a pas de danger là-bas où y’a pas toutes ces histoires de viols, de pédérastie, de dégueulasserie qui se passent et tout. Là-bas, ça vient même pas à l’esprit des trucs comme ça. Donc y’a beaucoup plus de liberté. Y’a plein de choses là-bas, en toute liberté, avec la nounou qui les accompagnait. Arrivés ici, c’est la terreur. Moi je suis terrorisée par tout ça.

K : Quel est ou serait votre modèle féminin ?
Mon modèle féminin ? Ça aurait été, sans être religieuse, Mère Teresa. J’ai pas le sens de la religion, moi, je parle pas parce qu’elle était religieuse, mais elle avait une façon bien à elle d’aimer les gens, pas commune, avec des idées très larges.

K : Là, vous vous sentez à quelle heure de votre vie féminine : femme, maman… ?
Moi, je suis surtout maman, et grand-mère. Bon, par exemple, moi à mon âge je ne me verrais pas avec des jeans serrés ou des mini-jupes ou des baskets, non. Mais, je me sens pas mûre. Oui, bien sûr, j’ai évolué, au point de vue de ma place dans la société, mon rôle de mère, mais disons que dans ma tête, je me sens pas femme mûre. J’aime la vie, j’aime m’amuser, j’aime bringuer, je suis pas du tout puritaine, je suis pas du tout le genre de femme… Et j’ai bien vécu. J’aime rire, j’aime être bien avec mes enfants, je suis quelqu’un de gai, et dans ma tête, je me sens pas changer ni vieillir. Moi, j’aime les jeunes, j’aime l’ambiance, c’est pas compliqué ! Je suis pas forcément fatiguée parce que quelqu’un ne pense pas tout à fait comme moi, ne dit pas comme moi. Et moi, j’ai encore mes filles qui ont dix-neuf ans qui sont à la maison - les jumelles, les dernières. Et j’élève ma petite-fille aussi. Elle a trois ans. J’ai tout le temps du monde chez moi. Moi, j’aime la vie dans la société, être entourée, et je me sens pas vieille à dire maintenant : "Ça je le ferais plus, ça je le voudrais plus."

Propos recueillis par Patricia Rouillard le 6/09/06.

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