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Femme aujourd'hui

La vie managée de Jacqueline

Jacqueline, cinquante-neuf ans, devenue veuve, reprend seule la direction d’une entreprise en bâtiment. Après avoir "managé" l’éducation et la réussite sociale de ses trois filles, elle brise sa solitude par des relations maternelles et amicales.


Koinai : Qu’est-ce qu’être une femme, pour vous ?
Être une femme ? C’est à peu près remplir trois rôles et c’est ce qui est très difficile à faire : maman, femme, femme d’affaires. Les trois ensemble, c’est très difficile à conjuguer. Donc il y en a toujours un qui est, disons, derrière. Pour moi, je pense en avoir rempli bien deux, et le troisième, beaucoup moins.

K : Quel rôle par exemple ?
Je dirais que j’étais une mère et j’étais une femme d’affaires...

K : Votre avis sur la femme dans la société ?
Je trouve que sa place n’est pas très reconnue et que les salaires notamment... enfin, il y a encore un machisme très grand qui règne et je ne trouve pas que la femme soit bien reconnue à l’égal de l’homme. Surtout que j’avais un métier dans le bâtiment, donc quand j’arrivais de rendez-vous de chantier et qu’on voyait que j’étais une femme, il y avait beaucoup d’à priori. J’ai combattu ça, j’y suis arrivée, mais je n’ai pas pu, disons... finir ma mission. Quand mon mari est décédé, étant une femme, je ne pouvais pas avoir toutes les responsabilités.

K : En fait, vous avez ressenti un sentiment d’exclusion...
Mon sentiment, en fait, c’est que la société est en train de changer. Je trouve que les jeunes hommes ont des sentiments mieux que notre génération à nous, et je tire un coup de chapeau aux jeunes maris, aux jeunes papas, parce qu’ils font des choses que notre génération ne savait pas faire ou ne pouvait pas faire.

K : Puis-je avoir votre avis sur les femmes en général ?
Disons que certaines femmes sont très dépendantes de leur mari, qu’elles n’ont pas de salaire, qu’elles ne veulent pas s’assumer et d’autres, par contre, sont trop féministes et écrasent leur mari. Je connais les deux cas de situation et je crois qu’il faut trouver un juste milieu. On ne remplacera pas l’homme par la femme. Chacun doit trouver sa place pour faire un équilibre.

K : Quelques mots sur votre vie affective et sur votre maternité ?
Disons qu’au départ, je n’avais pas une vie affective formidable. J’avais une mère qui était justement une femme d’affaires, qui n’avait pas le temps de donner d’affection ni de tendresse. J’ai été élevée en pensionnat "bon chic bon genre". Après, je me suis mariée, et la vie affective a été à peu près bonne pendant... on va dire une quinzaine d’années. Après, c’est le relais de l’entreprise qui a pris le dessus dans le couple, et dans tout le reste. Je crois que j’avais un mari qui n’était pas du même niveau social, et ça a créé une grosse différence. Ensuite, mes filles sont devenues très intellectuelles et là, ça a fait la cassure complète. Il ne s’est pas retrouvé dans le modèle de la famille telle qu’il l’entendait. Il aurait voulu une femme au coin du feu, rentrer, mettre ses chaussons, trouver le repas fait, alors que j’étais loin d’être une femme d’intérieur. J’étais plutôt dirigée vers l’extérieur. Après, petit à petit, je me suis beaucoup attachée à mes filles. Je les emmenais en vacances toute seule, parce que j’avais un mari qui travaillait extrêmement dur. Il travaillait beaucoup, ça je le reconnais, mais il n’avait pas le temps pour sa famille, ni pour ses hobbies. C’était simplement le travail et le travail.
En ce qui concerne ma maternité, disons qu’elle a été spectaculaire, parce que j’ai eu deux filles en dix mois, et la deuxième a mal trouvé sa place, en disant toujours : "Je ne suis pas une enfant voulue, désirée..." Je n’ai jamais été capable de lui dire : "Si, ma fille, je t’ai voulue, puisqu’à cette époque-là, j’avais de l’argent, j’aurais pu aller avorter, j’aurais pu faire des tas de choses". Mais étant fille unique, j’ai tellement souffert que quand elle est arrivée, ça a été formidable et je les ai élevées comme des jumelles. Après j’ai mis dix ans à réagir et j’ai eu ma troisième fille. Là, ça a créé une jalousie parce que la cadette m’a dit : "Mais qu’est-ce que je fais entre la première, qui est très brillante à l’école, et la petite, à qui tu fais des câlins ?" Elle a eu du mal à trouver sa place. Encore aujourd’hui, elle le vit mal malgré son doctorat en sciences. Je l’ai surtout mal vécu il y a cinq ou six ans, ça a ré émergé lorsqu’elle s’est mariée et qu’elle a eu des enfants. C’est maintenant que j’en prends conscience parce qu’avant, je les ai élevées comme des jumelles, je n’ai pas fait de différence, donc je ne voyais pas où pouvait être le problème.

K : Et la séduction dans le couple ?
Elle a été presque nulle. Après les quinze premières années de mariage, ça a été un handicap très, très grand, et je l’ai très très mal vécu. Née d’une mère peu affective, mon mari ne m’en a pas donné beaucoup plus. Ça faisait beaucoup, et j’ai tout reporté sur mes filles qui ont aujourd’hui des situations parfaites, mais j’ai un peu abandonné mon mari je reconnais... Il n’avait pas du tout les mêmes façons de penser, et je suis d’accord avec : " Marie-toi dans ta rue, marie-toi dans ta ville", plutôt que dans des milieux différents où on ne partage pas les mêmes hobbies, on n’a rien en commun. C’était l’entreprise qui nous faisait vivre parce qu’on était aussi commerçants l’un que l’autre, et ça a été le ciment du couple les dix dernières années.

K : Que pensez-vous du regard d’un homme ?
Ça dépend desquels, mais je dirais que c’est positif dans certains cas, et très péjoratif dans d’autres, suivant l’homme qui vous regarde et la façon dont il vous regarde. Comment vous dire... C’est très difficile de se faire des amis hommes, parce il y a des arrières pensées. Le sexe vient d’abord et ensuite l’amitié, c’est pas très positif. Je préférerais l’inverse.

K : Quelques mots sur la féminité ?
Je trouve qu’elle évolue beaucoup, que c’est très bien de voir toutes ces femmes qui prennent soin d’elles, qui haïssent le vieillissement. C’est vraiment une évolution par rapport, notamment à ma belle-mère, ou à certaines de mes belles-sœurs plus âgées. Il y a vraiment une formidable amélioration et même l’homme commence à s’y mettre, à s’entretenir aussi. Les gens qui avaient une cinquantaine d’années il y a cinquante ans ne se reconnaîtraient pas dans la société d’aujourd’hui.

K : Votre opinion sur la femme dans la politique ?
Ça, c’est formidable, mais je ne sais pas où elle trouve le temps ! Porter trois casquettes, c’est déjà difficile, alors une quatrième ! Mais c’est formidable de pouvoir dire son mot, jouer un rôle, amener sa petite pierre dans la société.

K : Quelque chose à ajouter à cet entretien ?
Je dirais que probablement ce sont les jeunes couples qui ont les clés en main pour une société future, meilleure et plus égalitaire. Je vois mes gendres, dont l’un change le bébé, donne le biberon la nuit, fait le ménage, fait les courses... Je dis chapeau ! Si ça peut durer... Mais il ne faut pas non plus que la femme se les roule de l’autre coté en disant l’homme fait tout. J’ai peur d’un renversement. Je le vois, j’ai une fille qui ne fait presque plus rien, c’est son mari qui fait tout, et l’autre fait relativement quatre-vingt pour cent des besognes ménagères de la maison, sans parler du courrier. La condition féminine s’est considérablement améliorée, mais il ne faudrait pas que la situation s’inverse : peur de l’homme du pouvoir de la femme ! Certaines ont un degré d’études supérieur. Il ne faudrait pas que ce soit madame qui passe en premier et que monsieur suive. Ce serait dommageable pour tout le monde. Aujourd’hui, étant veuve, j’ai du mal à assumer d’être seule, de voir mes filles partir très loin. Aussi, j’ai ce que j’appelle des cannes : la cigarette, par exemple, et j’essaie de sortir avec des amis. Mais ce que je fuis le plus, c’est la solitude. J’ai élevé trois filles, j’ai eu un mari, on a bien réussi. Je sais manager les autres mais pas moi. Toute seule, je me laisserais aller, par contre, si j’avais quelqu’un à la maison, je reprendrais mon rôle de direction, de management, j’adore ça. Pour preuve que je n’aime pas la solitude, j’ai hébergé le fils d’une amie le temps de ses études. Il vit chez moi trois semaines par mois. Je suis rayonnante parce qu’il y a à faire à la maison, préparer des repas, il faut faire plein de choses, je suis contente, je suis dans mon rôle. Lorsqu’il est absent, je perds tous mes repères, je ne mange plus ou je mange à n’importe qu’elle heure et je me lève tard. Heureusement que j’ai des amis qui me bougent et qui me remettent dans le droit chemin...

K : Une femme peut-elle vivre sans mari ?
Quand elle est contrainte, ce n’est pas un choix, mais le fait est, c’est difficile d’en rencontrer un autre... Est-ce qu’il y a une place dans sa tête pour un homme ? N’a-t-elle pas d’autres soucis à gérer ? A-t-elle le temps de s’occuper d’un homme ? Savoir si elle va tomber sur quelqu’un de bien... Tout ça fait un peu peur pour recommencer sa vie. Elle en meurt d’envie, mais il y a une peur panique. C’est quand même plus difficile pour une femme de retrouver un mari, qu’un homme de retrouver une femme. Je ne me vois pas dans la rue arrêter quelqu’un en lui disant : "Vous me plaisez bien, peut-on faire un bout de chemin ensemble ?" En ce qui me concerne, l’intention de refaire ma vie, pour l’instant, ne me traverse pas l’esprit, mais quelque part, j’aimerais bien, mais les dispositions pour trouver quelqu’un me freinent énormément.

K : Pour la parution dans notre journal en ligne, désirez-vous donner vos coordonnées ?
Je suis tout à fait d’accord : c’est jacqueline130013aol.com

Propos recueillis le 13/01/05 par Joseph Ouazana

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