Pour Claude, 56 ans, qui vit seule dans le quartier du Panier, un quartier "pauvre", la liberté, c’est de pouvoir mener sa vie sans se la faire imposer. Pour elle, les femmes d’aujourd’hui n’ont qu’une semi-liberté, que la société et l’éducation n’aident pas à faire aboutir.
K : Pour vous, c’est quoi " être une femme" ?
C’est d’être à part entière, avec les mêmes droits que les hommes, les mêmes façons de penser, la même intelligence. Malheureusement, la femme n’est qu’une chose, c’est souvent ce que les hommes pensent. Et je le déplore. C’est difficile de combattre, même si on a les mêmes droits sur un plan juridique ou civil. L’homme ne nous les donne pas dans la réalité. La femme est dans une situation précaire : c’est elle qui a les enfants, c’est donc elle qui doit se charger de les éduquer, de les nourrir, c’est une charge énorme. L’idéal serait une femme qu’on respecte, qui puisse agir comme l’égale de l’homme. Que sa valeur, son intelligence, son savoir soient reconnus, qu’elle ne soit pas seulement considérée comme un animal de sexe, que sa liberté lui permette de faire des choix.
K : Comment définiriez-vous la femme d’aujourd’hui ?
C’est une femme à qui l’on fait croire qu’elle a beaucoup de libertés, d’indépendance. En fait, elle n’en a pas tant que ça. Les femmes travaillent énormément, mais elles peuvent quand même connaître la misère. Elles rencontrent beaucoup de problèmes : elles doivent concilier la vie de famille, les enfants, le travail. Certaines s’en sortent et obtiennent effectivement des postes clé, en politique ou ailleurs. Mais l’homme fait barrage devant ces avantages. Il n’est toujours pas admis qu’une femme sorte du rang.
K : Les femmes ont-elles acquis trop de droits ?
Non. De toute façon, ce n’est pas une histoire de droits ! C’est un fait. Nous sommes égales aux hommes et ils doivent respecter ça. C’était autrement, du temps de nos grands-mères. Depuis, une bataille a permis aux femmes d’accéder à une vie normale. Elles ne ne sont plus considérées comme des sous-êtres. Mais des inégalités existent toujours au niveau des salaires ou de la pensée : par exemple, la femme est toujours vue d’un mauvais œil, elle est fragile, elle peut être enceinte et avoir des enfants. On s’en méfie.
K : Pour vous, c’est important d’avoir des enfants ?
Oui, c’est clair. La plupart des femmes en désirent, ce qui est tout à fait normal. Mais ce n’est pas forcément un aboutissement. Moi, je n’en ai pas eu, ce qui ne m’empêche pas d’avoir une vie bien remplie. Pour celles qui n’en ont pas envie, je pense qu’il faut respecter leur choix. Il y a des femmes qui, pour être épanouies, ont besoin d’être mère et d’autres pas. Pourquoi coller ça à une femme ?
K : Pourquoi les hommes traitent-ils les femmes d’emmerdeuses ?
A cause de leur faiblesse : psychologiquement, ils sont moins forts, donc dès qu’une question les dérange, on les emmerde. Vous connaissez le mot : "Toutes des emmerdeuses, sauf ma mère !" La mère, elle, est respectée car il y a un lien affectif énorme.
K : Quelles sont vos ambitions en tant que femme ?
J’ai vécu ! On s’est battu pour l’avortement, et tout un tas de choses. C’était un combat dans tous les sens. Mais, à mon âge, je n’ai plus guère d’ambitions, j’ai juste envie de continuer et de laisser aux plus jeunes l’idée de ne jamais se laisser faire, de toujours avancer. C’est le message que je leur ferai passer, plus tard, si mon âge et mon état de santé me le permettent.
K : Comment concevez-vous le couple ?
Comme deux personnes qui se complètent physiquement et psychologiquement, pour créer quelque chose de parfait, en tenant compte des différences existantes. La femme soutient l’homme et l’homme, la femme. Les gens ne savent plus communiquer, partager et c’est certainement ça qui crée tant de solitude. Ils arrivent du travail, sont fatigués de leur journée. Il faut faire vite, c’est la course contre la montre et puis finalement comme ils sont agressifs, fatigués, ils se mettent devant un film et ils oublient de discuter du principal, de l’essentiel : ce qu’ils vivent ou aimeraient vivre, de leur projet. Même s’il est petit, il y a toujours un projet.
K : Pensez-vous que le divorce, la famille monoparentale, soit une expression de la liberté féminine ?
Non. Pour moi, c’est surtout une conséquence de la société de consommation qui va mal, qui est malade de toute la précarité. Il n’ y a qu’à regarder les panneaux de publicité, les femmes à poil dans des attitudes porno, pour vendre un camembert ou une voiture. C’est un peu désolant. Il ne faut pas s’étonner ensuite qu’il n’y ait plus aucun respect pour la femme. Il ne faut pas se tromper entre liberté et exhibitionnisme. La liberté, ce n’est pas ça. Là, il y a encore un combat à mener pour ne plus ressembler à des objets, pour avoir une autre place. Il faudrait boycotter certaines choses à la télévision, la publicité, où on met une femme nue. Eteignez votre télévision, ça sera peut-être une bonne idée. Refusez d’acheter un produit qui met la femme en position animale !
K : Ne pensez-vous pas qu’on en demande trop aux hommes ?
De participer aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants, c’est quelque chose de tout à fait normal. Doit-on toujours rester dans une société de dinosaures ? L’homme aussi doit être un père et un époux. En a-t-il toujours conscience ?
K : Pour vous, une femme qui a des enfants et qui reste à la maison, n’est pas l’idéal féminin ?
Si c’est son idéal, sa forme de penser, elle est tout à fait légitime et respectable. La liberté, c’est de choisir sa vie, ce n’est pas de se la faire imposer. On veut faire chauffeur routier, responsable politique, mère au foyer... pas de problèmes ! C’est une histoire de liberté et d’égalité. Pourquoi va-t-on montrer du doigt une vieille fille et pas un vieux garçon ? Nous avons tout le poids d’une culture, d’une éducation derrière nous, dont nous n’arrivons pas vraiment à nous débarrasser.
K : Vous parlez de politique, mais il n’y a pas beaucoup de femmes en politique.
C’est normal. Les hommes n’ont pas envie de laisser la place, je suppose qu’il y a de gros combats à ce niveau là. Dans leur petite tête, ils ne veulent pas de petits soldats en jupon ! Ça leur fait peur, parce qu’ils savent que les femmes sont capables autant qu’eux, et ça, ça les emmerde. La femme, c’est les tâches ménagères et s’occuper des enfants, c’est tout, quoi. C’est à cause de l’éducation : "Toi t’es un garçon, tu vas faire ci, et toi, t’es une fille, tu vas faire ça". Les femmes aujourd’hui devraient réaliser et éduquer nos futurs hommes d’une manière différente.
K : Les hommes peuvent-ils pleurer ?
Oui, mais ce ne sont pas les pleurs qui sont importants. Savoir jusqu’où on peut aller dans une conversation. L’homme idéal, c’est sans doute celui qui peut aller très loin dans une conversation.
K : Comment se sont passés vos relations amoureuses, avec les hommes ?
J’en ai connu de toutes sortes, des hommes bien, mais ils sont rares, et des machos qui se croient supérieurs à la femme parce qu’ils possèdent quelque chose entre les jambes. Je me suis mariée et j’ai divorcé rapidement, parce que ce n’était pas terrible. Son comportement violent m’a fait penser qu’il valait mieux que je me sauve avant de prendre des coups. J’ai emporté ma brosse à dents et je suis partie sans laisser d’adresse. Après cette expérience, on ne prend plus de mari, on prend uniquement des amants. Comme on dit : ”On ne prend que le bon et on laisse les chaussettes à laver à l’autre !" Il ne faut prendre que les bonnes choses de la vie. Un homme à la maison, il faut le supporter. Quand vous l’avez en tant qu’amant, il se conduit bien, il est tranquille, il vous fait plaisir, vous respecte. Il ne vous emmerde pas ! C’est mieux qu’un mari. Pourtant, si j’avais rencontré l’homme idéal, je l’aurais attaché, je me serais remariée.
K : Pourquoi les relations sont-elles si difficiles ?
Les gens n’arrivent pas à se retrouver, à se rejoindre, c’est ça le problème dans le divorce. Les gens qui croient trouver chaussure à leur pied sont obligés de passer par Internet ou par des agences matrimoniales. Vous ne trouvez pas ça horrible ? Nous deux, nous avons fait connaissance dans la rue, c’est tout. Donc pourquoi ce n’est pas possible dans toutes les relations humaines ? Problème de communication. Chacun s’enferme, c’est une catastrophe. Regardez aujourd’hui, vous ne savez pas si votre voisin est mort ou s’il est vivant. On s’en rend compte, six mois après, quand ça sent mauvais. Comment voulez-vous que ça fonctionne ? J’espère que les gens se réveillent avec plus envie de communiquer, de partager, de se retrouver et que l’homme et la femme aient envie de faire des choses ensemble, pas uniquement sexuelles et peut-être de bâtir l’avenir ensemble. C’est le grand souhait que j’aurais.
K : Votre souhait pour la femme ?
La seule chose que je souhaite, c’est que les gens arrivent à se retrouver pour
bâtir une société nouvelle, avec des idées plus nobles de partage, d’égalité. L’égalité doit être spontanée et non un droit sur lequel on a légiféré. L’association "Ni putes ni soumises" fait énormément de travail à ce niveau-là. On ne peut pas ignorer ces jeunes hommes qui, depuis leur plus jeune âge, maltraitent les femmes. Cette situation est due à la précarité, la misère économique et culturelle. Pour changer les choses, il faut faire un travail d’éducation de fond, afin que les mères éduquent leurs enfants autrement. C’est toute une société qui doit se mettre en marche. Chacun doit prendre conscience de la réalité, pour nous éviter de revivre certaines choses.
K : Vous avez une maladie grave, ça ne vous a jamais empêché de faire des choses ?
On a envie, ou pas, d’être. On vit avec, ou on refuse. Quand on a accepté, on peut faire beaucoup de choses. Toute ma vie, j’ai essayé de faire des choix qui correspondaient à mes envies du moment et à mes possibilités.
Propos recueillis par Neelam Mushtaq, avril 2005
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