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S'il te plaît, définis-moi un mouton… - Vis ma ville - Au hasard des rues - La revue du témoignage urbain

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Au hasard des rues

S’il te plaît, définis-moi un mouton…

Les petits Roberts fêtent les mots : pari gagné, le dico à la première !

Invitée à La Faites des Mots, Laurence Laporte, directrice éditoriale, rédactrice, et co-auteur de dictionnaires pour enfants aux éditions Le Robert s’est prêtée au débat « Des mots des petits aux mots des grands » : « C’est la faute à Voltaire nous a contactés au service du livre et ils nous ont tout de suite donné l’envie de venir. » D’une définition à l’autre, formule et promenade par mots et merveilles.


Pari gagné !
 Pari gagné !

Koinai : Un dictionnaire peut-il susciter le plaisir des mots ?
Oui, bien sûr. Alors là, s’il y a un livre qui peut susciter le plaisir des mots, c’est bien celui-là ! Et effectivement, quand j’étais petite, j’aimais beaucoup me promener dans le dictionnaire : partir d’un mot que je connaissais qui me renvoyait à un autre, qui me renvoyait à un autre et faire ainsi une promenade, puis finalement - c’est ce que disait au débat Guillaume Guéraud - on apprend des mots comme ça par hasard et c’est… Enfin, moi j’aime beaucoup ça.

K : Avez-vous une recette miracle pour donner aux enfants l’envie de lire ?
Ah ! ça si j’en avais une, je vous la donnerais ! Le plaisir de lire, c’est vrai que je l’ai depuis toute petite, y compris de lire les affiches : ça donne envie de savoir, une affiche ; au départ c’est juste un dessin, mais on sait pas de quoi ça parle. C’est un désir de connaissance qui ne s’arrête jamais. On part de l’affiche, de la boîte de chocolat : quand on est petit, en prenant son petit déjeuner on lit tout ce qui est écrit dessus, et de là on arrive aux livres pour enfants, aux journaux et puis aux romans, puis à tous les livres possibles. Moi, mon souvenir, c’est d’avoir lu des affiches et après ce qui était écrit sur ma boîte de Banania à l’époque, tous les matins, je relisais. Et je continue, je lis toujours ce qu’il y a sur les boîtes.

K : Dans le cas du Robert Junior et du Robert Benjamin, abordez-vous le travail de rédaction différemment ?
Ben, oui parce qu’on ne s’adresse pas au même public, on n’emploie pas les mêmes mots dans les définitions elles-mêmes. On ne peut pas définir un mot simple par un mot compliqué, par exemple définir "casserole" par "récipient", ils ne savent pas ce que c’est qu’un récipient, ou… Alors, c’est un mauvais exemple parce qu’ils savent ce que c’est qu’une casserole. Y’a tout un équilibre à faire entre eux. Si le mot est facile et connu, ça va être pour eux l’occasion d’apprendre le mot "récipient", puis d’autres mots qu’ils ne connaissent pas. Par exemple "récipient", ce sera très difficile à définir, il faudra employer des mots qu’ils comprennent tout de suite alors que pour les adultes, on peut se permettre beaucoup plus d’abstractions. On se met à la place de l’enfant, c’est-à-dire quand on rédige une définition pour un enfant, on pose la question, l’enfant vous dira : "Dis maman, c’est quoi l’âme ? Dis, c’est quoi une casserole ?", et on répond à cette question. Mais finalement, même des adultes, c’est la question qu’ils posent à leur dictionnaire : "C’est quoi, tel mot ?" et on leur répond.

K : Comment décide-t-on qu’un mot n’est pas un mot d’enfant ?
Dans la mesure où il a peu de chance de le rencontrer, ou que s’il le rencontre dans une lecture à lui. Souvent, dans les livres pour enfants ou dans les livres de classe, y’a des lexiques qui expliquent un mot spécialement compliqué. Sinon, on est rigoureux, on ne met pas de mot familier parce que les mots familiers et grossiers, ils les connaissent et finalement, on s’est dit que c’était pas la peine de remplir le dictionnaire avec ça, dans la mesure où pour eux, à partir du moment où c’est dans le dictionnaire, ils peuvent l’employer et après ils risquent de plus tellement faire la différence entre ce qu’on peut utiliser à l’école en s’adressant à son professeur et ce qu’on peut dire avec ses copains dans le langage courant.

K : Vous travaillez avec des enseignants ?
Disons qu’on les consulte. Quand on élabore un dictionnaire, on rencontre des enseignants dans des quartiers différents, dans des écoles différentes pour avoir leur avis et tester auprès d’eux leur programme.

K : Que notez-vous de marquant dans l’évolution des mots ?
Eh ben justement, c’est que beaucoup de mots évoluent et prennent des sens dérivés, voire totalement différents de ce qu’ils voulaient dire au départ et ça, c’est dû aux jeunes qui les emploient, qui les déforment et ça finit par arriver. Par exemple, l’expression "Ça le fait", c’est apparu il y a une dizaine d’années et c’est une évolution du verbe "faire" assez étonnante parce qu’on pensait que le verbe "faire", on en avait fait le tour, justement : eh bien non, y’a encore des expressions qui arrivent.

K : Comment concevez-vous les définitions ?
Alors, ça dépend : les mots de médecine, on fait appel à des médecins, les mots de physique, on fait appel à des physiciens qui nous aident parce qu’évidemment, on ne peut pas inventer. Les mots du langage courant, ben c’est un peu une question de bon sens. La définition doit être le synonyme exact du mot, c’est-à-dire qu’on doit pouvoir remplacer le mot dans la phrase par la définition qu’on en fait. Donc ça, c’est un métier, hein. On apprend à les faire mais évidemment, pour les mots de botanique, les mots de toutes les techniques possibles, on est aidés par des gens de l’extérieur.

K : Y a-t-il des définitions particulièrement difficiles à élaborer ?
Oui, alors ça, c’est surtout les mots abstraits et surtout les définitions pour les enfants, parce qu’il faut faire simple avec des mots compréhensibles. La définition la plus difficile que j’ai eue à faire de ma vie, c’est dans Le Robert Benjamin qui est donc pour les 6-8 ans, c’est la définition de "âme", et c’est très compliqué. Sinon, des mots très compliqués, en fait, ce sont les plus simples à faire : le nom d’un médicament ou d’une molécule, on a juste à dire ce que c’est, mais les verbes comme "prendre", "faire", "être", "avoir", c’est une horreur : y’a tellement d’expressions différentes que ça c’est le plus difficile et ce qui est un peu frustrant, c’est que ce ne sont pas les mots tellement que les gens vont consulter ; c’est rare, d’aller voir le verbe "faire" et c’est celui qui nous aura donné le plus de mal.

K : À l’origine, d’où viennent les toutes premières définitions ?
… Au départ, ça vient de la tête du rédacteur…

K : Le dictionnaire de l’Académie française n’est pas une référence ?
Non, alors ça, c’est plutôt l’Académie française qui se sert de nous que nous de l’Académie française. Non, avant nous y’a eu les Littré, y’a eu pleins de dictionnaires mais qui sont totalement démodés et donc les définitions, on les fait soi-même.

K : Pourquoi un mot disparaît-il ou entre-t-il dans le dictionnaire ?
Alors, les mots ne disparaissent quasiment jamais, ça c’est une idée que les gens se font parce qu’ils pensent que si on ajoute trois mots, on en supprime trois. C’est très rare qu’on supprime des mots ou on se débrouille pour les raccourcir, enlever un exemple pour laisser la place au nouveaux entrants. Mais, dans la mesure où on estime que si on entre un mot, c’est qu’il a sa raison d’être et qu’il aura sa raison d’être aussi bien aujourd’hui que dans un an, dans dix ans, voire dans cinquante ans - ça, ce sera à vérifier - mais, a priori c’est ça. Et les mots qui entrent dans le dictionnaire, ce sont les mots nouveaux qu’on entend, qui sont très utilisés. Y’a des nouveaux sens, aussi. Y’a des mots de médecine, de toutes les techniques possibles et imaginables. La médecine est un bon exemple parce qu’avec l’allongement de la vie, y’a des maladies qui sont plus courantes, comme Alzheimer, donc ces mots rentrent dans le dictionnaire parce que ça devient la réalité quotidienne de tout le monde.

K : Quelle est votre formation ?
J’ai fait des études d’histoire et géographie et ma formation de lexicographie, je l’ai faite au Robert où je suis rentrée il y a trente-cinq ans, donc à vingt ans, et j’ai appris à faire des dictionnaires avec Josette et Alain Rey.

K : Comment vous êtes-vous orientée vers cette profession ?
C’est un petit peu le hasard. Je ne suis pas née en me disant : "Je serai lexicographe." Je dois reconnaître tout à fait humblement qu’en licence, je cherchais un petit boulot, je suis rentrée au Robert pour une tâche assez ingrate qui était des classements, et en fait, de voir les gens qui faisaient ça, ça m’a plu et j’ai appris à le faire, et maintenant c’est ça que je sais faire.

K : Les mots, c’est une passion ?
Oui, c’est vrai que déjà toute petite - quand je vous dis que ce n’était pas une vocation - j’ai retrouvé des lettres que j’écrivais à mes parents en vacances et je faisais très attention, j’étais très critique en écoutant les gens, en lisant, sur le mot qui n’était pas bien employé. Je pense que c’est un truc qu’on a en soi, enfin pour moi c’est une chose qui me tient depuis que je sais parler, en fait. Alors même, il parait que je parlais très peu et que du jour où j’ai parlé, j’ai parlé correctement.

K : Quel est votre rôle dans la réalisation d’un dictionnaire ?
Alors, j’ai différents rôles selon les dictionnaires : je suis directrice éditoriale du Robert Encyclopédique des noms propres, donc je le dirige totalement, je choisis les auteurs et c’est moi qui ai le dernier regard sur les articles, qui les termine et qui les fignole. Pour Le Petit Robert, là je suis une rédactrice parmi les autres, donc je rédige les mots qui me sont attribués. Et pour Le Robert Benjamin et Le Robert Junior, je suis co-auteur, donc là je choisis les mots, je fais les définitions, les exemples en collaboration avec les autres rédacteurs. Le Junior, on était trois et le Benjamin, on était deux.

K : Quels aspects de votre profession préférez-vous ?
En fait je les aime bien tous, parce que ce que j’aime beaucoup, justement, c’est que je fais différentes choses. Mon fonds de commerce entre guillemets, c’est le Robert Encyclopédique des noms propres parce qu’il est mis à jour tous les ans, donc c’est tous les jours que je me tiens au courant de l’actualité et tout. En gros, c’est ce que je préfère. Mais j’aime énormément aussi faire des dictionnaires pour enfants, des définitions, chercher l’exemple qui sera très illustratif du mot, en pensant que je m’adresse à des enfants qui ont tel âge. En fait, j’ai beaucoup de chance, j’aime bien tout ce que je fais dans mon métier. Ce que j’aime le moins c’est le côté budget, devis, le côté mercantile mais qui est très important évidemment. Je ne veux pas dire que je suis un pur esprit et une intellectuelle, mais c’est sûr que c’est cet aspect-là que je préfère et pas le côté marketing.

K : Quelles sont les contraintes de votre travail ?
Ben, les contraintes effectivement, c’est l’aspect institutionnel. Pour les dictionnaires pour enfants, c’est ce que je disais tout à l’heure dans le débat, on peut considérer le Robert Junior presque comme un manuel scolaire, on ne peut pas mettre n’importe quel mot, il faut faire très attention à ce qu’on dit. Pour les dictionnaires pour adultes, c’est sûr qu’il faut toujours être sérieux et que de temps en temps, on a envie d’écrire n’importe quoi, mais c’est pas possible, donc on est toujours obligé d’être rigoureux, informatif, de toujours dire ce qui est vrai, de toujours vérifier tout ce qu’on écrit, y’a pas tellement de fantaisie.

K : Y a-t-il un style Robert ?
Oui, c’est sûr. Mais pour ce qui est de la langue, nous ne sommes pas un dictionnaire encyclopédique, c’est-à-dire que nous nous intéressons au mot et à comment on va l’employer dans une phrase, quelle est son origine, sa date d’apparition dans la langue, et non pas à la chose que décrit le mot. Par exemple le mot "chaise" dans le Robert - je schématise, hein - c’est un siège à quatre pieds avec un dossier pour une personne, sans accoudoir, voilà ; dans un dictionnaire encyclopédique, on vous définira de la même façon une chaise et puis vous aurez l’histoire de la chaise, à quelle époque elle est apparue, on vous dira qu’il y a des chaises signées par tel designer. Voilà, c’est la différence.

K : Le dictionnaire est-il plus ou moins utilisé qu’avant ?
Il est plus utilisé qu’avant dans la mesure où maintenant il est presque un manuel scolaire : il y a dans le primaire et le secondaire, l’apprentissage du dictionnaire, donc on apprend à s’en servir dès tout petit parce que c’est pas juste l’orthographe des mots, y’a beaucoup d’autres choses. Donc, les enfants déjà, ils s’en servent et en grandissant ils vont continuer à s’en servir. Mais c’est quand même un objet qu’on trouve dans toutes les familles, dans les villes, dans les campagnes, partout. Alors, un dictionnaire plus ou moins vieux, plus ou moins élaboré, mais dans toute famille vous trouverez un dictionnaire.

K : Des polémiques au sujet d’une définition comme pour le mot "colonisation" sont-elles fréquentes ?
Non, c’est heureusement assez rare, on a juste peur que ça arrive plus souvent. Les gens ne comprennent pas qu’un dictionnaire ça décrit la langue, que nous illustrons les mots avec des citations qui ne sont pas des jugements de valeur de notre part mais des citations signées par des auteurs. Et souvent les gens font un peu la confusion entre la citation et ce que nous, nous pensons. Dans le cas de "colonisation", il était question de "mise en valeur" et il suffisait d’aller voir à "mise" et à "valeur" ce que voulait dire "mise en valeur", c’était pas du tout infamant pour les colonisés, ç’a été mal interprété et ça, n’importe qui peut interpréter n’importe quoi, on peut aller très loin, comme ça.

K : Y a-t-il une catégorie de gens qui utilisent plus le Robert ?
Ça s’appelle les Robertophiles (rire) ! Donc, c’est plus des étudiants, des professeurs, des gens qui utilisent beaucoup la langue, en fait. C’est un public plus averti, peut-être.

K : Puisque nous sommes à La Faites des Mots, quel est votre mot préféré ?
Mon mot préféré ? Evanescent. Je trouve le mot joli à dire, joli à écouter et puis ça représente une femme évanescente, dans la légèreté, ça représente pas du tout la réalité des choses. C’est rare de voir des femmes évanescentes.

K : Et le mot de la fin, votre sentiment sur la manifestation ?
Oh ! le mot de la fin ! Z (rire) ! Je suis très contente d’être à Marseille, c’est un séjour très agréable et la manifestation, je la trouve très sympathique et je suis étonnée de voir le monde que ça draine. J’ai participé à plein d’activités et je trouve ça formidable. La Faites des Mots, c’est vraiment une très belle fête avec plein de monde et plein de gens différents, ils s’intéressent aux mots et c’est vrai que c’était un beau pari, et je pense qu’il est réussi !

Propos recueillis par Barbara Marin le 22/09/07 ; rédaction Odile Fourmillier ; image : Patrick Chiappe.

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