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" Ma seule difficulté, laisser mes deux garçons derrière moi" - Sur la route - La revue du témoignage urbain

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Sur la route

" Ma seule difficulté, laisser mes deux garçons derrière moi"

Ici je suis indépendante ! Ce que je n’avais pas à l’époque je l’ai retrouvé là. Parce que là-bas avant de prendre n’importe quelle décision, il fallait consulter non pas une personne mais cinq ou six personnes. Il y avait les parents, il y avait le mari, il y avait les beaux parents, il y avait l’oncle, il y avait le grand père aussi. Alors que maintenant, quand j’ai quelque chose en tête, je le fais sans consulter qui que ce soit.


Koinai : Bonjour. Parlez-moi de votre vie à Alger.

Fifi : Ma vie à Alger, elle s’est arrêtée en 2001... J’ai eu une très bonne enfance. J’ai vécu dans une très belle maison, une grande et belle maison qui a été construite en 1900 ... non, c’était en 1899 !

J’ai vécu avec mes grands parents, mes oncles, mes tantes. J’ai fait des études, j’ai eu mon bac. J’étais inscrite à l’université jusqu’à mes 21 ans et à ce moment-là mon grand père a décidé de me marier avec le fils d’un de ses... disons à l’époque, c’était un de ses... je sais pas si je peux dire associés... Ils occupaient des tables ensemble au marché donc c’était en quelque sorte un de ses associés.

Mon enfer a commencé à partir de cette année, c’était en décembre 91. J’ai dû quitter l’université pour me marier, m’installer dans le sud de l’Algérie. Là, j’ai occupé plusieurs postes. J’étais présidente d’une association, j’occupais aussi le poste de secrétaire de direction à la Caisse Sécurité Nationale Algérienne, ça s’appelait la CNAS. Au niveau du travail ça se passait bien, mais malheureusement l’enfer, c’était chez moi avec mon ex mari. Avec lui, je subissais... toutes les misères du monde ! C’était un homme qui pouvait être gentil mais qui devenait d’un seul coup violent, qui me battait... J’ai dû patienter. Je suis restée. Je ne pouvais parler à personne. Je n’avais jamais parlé de mes souffrances, ni des violences, des violences que je subissais. Parce que pour moi j’étais ... dans ma tête c’était de ma faute. Tout ce qui ce passait était de ma faute. J’ai dû garder ça pour moi jusqu’en 98, c’était 98, voila ! C’était juste après la perte d’une collègue à moi qui est décédée d’un infarctus, un arrêt cardiaque... Là j’ai commencé à réaliser que la vie n’était rien et qu’il fallait que je réagisse si je voulais vraiment sauver ma peau, parce que me retrouver avec plusieurs fractures... Il allait jusqu’à m’enfermer des jours et des jours à la maison... une fois, je suis restée enfermée 10 jours chez moi sans sortir. Il était jaloux. Jaloux maladif !

Alors voilà, en 1998, là j’ai demandé le divorce. Je suis redescendue sur Alger... Du sud de l’Algérie, je suis redescendue sur Alger c’est à dire j’ai été chez mes parents. Mais là aussi... en Algérie la femme divorcée, c’est une femme qui était très très mal vue !

Il ne faut pas oublier que quelque part la femme, elle est un petit peu soumise... Donc divorcer on est directement comme une mauvaise femme ! Un jour je travaillais comme opératrice de saisie à la CNAS, Alger avait fait une mutation. Là il y a eu la visite d’un copain d’un de mes collègues. Là, avec ce monsieur, il y a eu un coup de foudre. Et malheureusement on a vite pris la décision de se marier. On s’est marié je pense, 6 mois après.

K- : Vous aviez divorcé ?

F- : J’ai divorcé du premier, oui heureusement, vous voyez !
Le divorce, ça a été un peu dur... ça a été très dur... Il venait devant chez moi, il me faisait des scandales... des menaces. Je ne pouvais pas aller travailler parce qu’il venait juste à coté du boulot. Finalement j’ai réussi... Je ne sais pas comment je peux vous expliquer ça, parce que nous, les femmes, nous devons avoir de fortes preuves pour pouvoir divorcer. Des preuves solides. Comme moi, je n’avais pas de preuves contre lui, le divorce n’a pas été accordé. J’ai dû faire appel et payer 800€. J’ai dû payer 800€ pour obtenir le divorce.

Mais il a quand même continuer à me harceler, à m’embêter, jusqu’au jour où j’ai rencontré mon second mari. Mais là aussi ça a été une déception parce que juste après notre mariage, j’ai découvert qu’il était déjà marié. Il était marié et il avait un garçon de cette première union. En fait il s’était présenté à moi comme étant divorcé mais ce n’était pas le cas il avait une femme et il avait un garçon. Et moi je me suis rendue compte que j’étais enceinte de lui. J’attendais ma petite fille. C’était terrible de me rendre compte de tous ces mensonges à ce moment là. Alors j’ai pris la décision de prendre mes bagages, de tout quitter, de tout effacer, d’oublier tous mes chagrins, de partir en France.

Voilà, enceinte avec juste un cabas, je suis partie. J’ai laissé mes deux garçons en Algérie. Mes garçons issus de ma première union. Je ne pouvais pas les faire sortir à l’époque parce que je n’avais pas l’autorisation du papa. Je suis partie, voilà.

K- : Et qu’est ce que vous avez emmené dans vos bagages ?

F- : Mes bagages, c’était un pyjama, une tenue de rechange, deux draps de bains et ma trousse de toilette !

K- : Et comment vous avez fait pour venir justement ?

F- : Je suis venue parce que je suis de nationalité française. Je suis de mère française et de père algérien. Je n’avais jamais été intéressée par la France, jusqu’à ce que... Je venais en vacances en France. Je venais avant mon mariage, je venais très souvent en vacances et je repartais chez moi.

K- : Donc vous n’avez pas eu de difficultés pour venir ?

F- : Non, non. La seule difficulté que j’ai rencontrée à l’époque, c’est de laisser mes deux garçons derrière moi. Il y en avait un qui était chez mes parents, et l’autre qui était chez les ex beaux-parents.

K- : Qu’espériez vous en venant vous installer en France

F- : Mon seul espoir à l’époque, c’est de m’installer, de commencer une nouvelle vie et d’aller récupérer mes deux garçons.
Mon espoir, c’était de me reconstruire surtout parce que j’avais perdu toute confiance en moi, j’avais perdu... tout. Tout. Et surtout j’avais tout abandonné du jour au lendemain. C’est une décision que j’ai prise sur un coup de tête. J’appelle un collègue je lui dis : "J’en ai marre, je sais plus quoi faire ! J’ai plus confiance en cet homme, je veux plus rester avec lui, qu’est ce je dois faire ?" Il me dit : "Moi si j’étais à ta place, tu as tes papiers, pourquoi tu pars pas ? Pourquoi tu restes ici ?" J’ai réfléchi, et là je me suis dis c’est la meilleure solution de débarquer ici à Marseille, de n’avoir personne, de ne connaître personne. Ouvrir une nouvelle page.

J’avais quelques économies. J’ai ramené mes économies bien sûr avec moi, j’ai pris un billet d’avion. Mes parents, ils n’étaient pas d’accord, mon père il était là à me dire "Non, ce n’est pas normal que tu partes toute seule. Tu crois que c’est facile ? C’est pas facile, tu vas galérer !" J’ai préféré prendre ce risque plutôt que de rester là bas et de subir tous les jours les mêmes souffrances voilà !

Je suis venue, j’ai commencé dans un hôtel où je me suis installée pendant trois mois. Je suis restée trois mois à la rue Paradis. Par la suite j’ai décroché un petit T1 aux Chartreux, c’était boulevard d’Arras. Dès que je l’ai décroché mon T1, je suis redescendue en Algérie, j’ai récupéré mon fils aîné... c’était au mois de décembre 2002.

K- : Vous avez vu vos parents, votre famille ?

F- : Ma famille, ils sont venus entre-temps après mon accouchement, ils sont venus ici en France pour voir la petite. Moi je suis redescendue en Algérie chercher mes fils mais le gros problème, c’était mon deuxième fils. J’ai eu beaucoup de soucis, j’ai eu beaucoup de problèmes parce qu’il était chez l’ex belle famille donc j’ai eu du mal à le récupérer. Il a fallu que je... je ne sais pas comment vous dire... créer des mensonges. Je leur ai dit que j’allais le récupérer pour passer un weekend avec lui et en fait j’ai pris l’avion avec lui et on est venu ici en France. Et c’est là où j’ai senti que j’étais une autre personne. J’avais une nouvelle vie. J’avais mes trois enfants à mes cotés, j’étais là.

K- : Une nouvelle vie.

F- : En Algérie pour moi c’est tout. J’ai laissé derrière moi mes souvenirs, j’ai laissé derrière moi notre maison. J’ai laissé derrière moi mon emploi, pas mal de choses, et aussi mes souffrances que je ne veux pas retrouver. C’est pour ça que ça fait quand même dix ans que je ne suis plus repartie là bas.

K- : Et qu’est ce que vous avez découvert en arrivant en France ?

F- : Que c’était pas facile ... ça a été très dur au début. Ça a été très très dur parce que je n’avais pas mes repères, je ne connaissais rien, je ne connaissais personne. J’avais un peu de famille mais j’étais trop fière pour demander de l’aide à qui que ce soit. Il fallait que je me débrouille toute seule et je me suis débrouillée toute seule c’est là, franchement là, j’ai compris que j’étais capable. Qu’ici c’était pas la même vie, le regard des gens il n’était pas le même. Qu’on soit divorcée, qu’on soit veuve, qu’on soit mariée, c’était pas le même regard. Une femme, ici, quelque soit sa situation elle peut vivre librement.

Là bas, je me sentais vraiment soumise. J’étais soumise. Il fallait être bonne cuisinière, bonne ménagère, et entre parenthèses être ardente au lit aussi. Il fallait être une bonne banquière, et aussi travailler, subir tout, l’homme il était là à commander. Disons que là-bas la femme propose et l’homme dispose. Voilà.

K- : Ici tout a changé, tout était différent ?

F- : J’avais compris que là, je pouvais m’habiller comme je voulais. Je pouvais sortir quand je voulais. Je faisais ce que je voulais sans crainte, sans le regard des autres, sans penser sans arrêt au regard des autres, au jugement des autres surtout.

Ici je suis indépendante ! Ce que je n’avais pas à l’époque je l’ai retrouvé là. Parce que là-bas avant de prendre n’importe quelle décision, il fallait consulter non pas une personne mais cinq ou six personnes. Il y avait les parents, il y avait le mari, il y avait les beaux parents, il y avait l’oncle, il y avait le grand père aussi. Alors que maintenant, quand j’ai quelque chose en tête, je le fais sans consulter qui que ce soit.

K- : Et vous avez rencontré des compatriotes ici ? à Marseille ?

F- :
A part ma famille, non personne. Justement, après m’être installée ici à Marseille, j’ai eu mon frère qui est monté, j’ai eu ma sœur avec ses enfants, avec ses quatre enfants, j’ai eu aussi ma mère et mon père après sa retraite. Après la retraite, mes parents, ils sont venus s’installer ici. S’ils sont venus ici, c’est à 95% pour mes enfants, parce que ils étaient très attachés.

K- : Ils sont venus, ils sont juste à coté, ils s’occupent des enfants ?

F- : Non, non moi je les ai fuis !

K- : Arrivée à Marseille vous les avez fuis, ils ne vous ont pas aidée à vous installer ?

F- : Non, personne, personne, personne, personne ! Heureusement que j’avais mes économies. A l’époque j’avais le RMI, j’arrivais à gérer, j’arrivais à économiser, j’avais pas trop de dépenses. Je fume pas, je bois pas, donc j’arrivais quand même à m’en sortir.

K- : Et ... votre travail, vous avez trouvé les mêmes relations qu’en Algérie ? C’était différent aussi ?

F- : Le travail, pas du tout, au contraire ! Je trouve qu’on a le même système, la même réglementation, les mêmes droits. Bon au début, c’est vrai que j’avais peur parce que c’était pas la même langue. Mais j’ai pas eu de soucis. J’ai une formation, j’ai fait ma formation, je me suis débrouillée par la suite pour trouver des petits contrats sauf qu’en Algérie, mon poste il était plus important.

K- : De quoi avez-vous envie aujourd’hui.

F- : Franchement dans ma vie, la meilleure décision que j’ai prise c’est de venir ici, à Marseille. J’avais subi le terrorisme, j’avais subi la violence conjugale, l’influence familiale et là franchement, franchement, c’est une très très grosse bulle d’air !

K- : Et vos enfants, qu’est ce qu’ils disent ?

F- : Au début, ils regrettaient l’Algérie, ils m’en voulaient tout le temps et maintenant non. Si je leur demande s’ils veulent partir en vacances, ils veulent pas entendre parler de l’Algérie. "On n’a rien à faire là bas !", c’est ce qu’ils disent ... Moi non plus je ne pars pas parce que je n’ai pas envie de retrouver les souvenirs douloureux. Et aussi pour les personnes que je devais voir ils sont là, mes parents bien sûr. Ce que je regrette c’est l’ancienne maison c’est tout. Ce qui me manque le plus c’est notre maison, mon jardin ...

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