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Roule Ma Frite - Mutations urbaines - Le tri arrive - La revue du témoignage urbain

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Le tri arrive

Roule Ma Frite

Une asso aux préoccupations écologiques, bien avant d’être économiques : "Roule ma Frite" récupère les huiles usagées et les transforme en carburant. Son blog le dit pourtant : c’est surtout lorsque le prix du pétrole augmente que les masses s’intéressent à cette solution alternative... Alors se soucient-elles vraiment de leur environnement ? Nous, ce qu’on voudrait savoir, c’est comment ça marche. KTee, responsable de l’association, contribue à notre éducation...


Voir en ligne : Le Blog de l’association Roule Ma Frite

Koinai : Bonjour KTee. Aujourd’hui, à l’ère des préoccupations écologiques, au niveau mondial, nous tenons à vous remercier pour cet entretien... Pour commencer, quel est l’objet de votre association, "Roule ma frite" ?
"Roule ma frite" est une structure qui a été créée en 2003. Notre objet est la promotion des carburants alternatifs, et notamment de l’huile recyclée. Nous ce qu’on fait, c’est qu’on récupère les huiles usagées chez les restaurateurs, et on les transforme en carburant et en combustible.

K : D’accord. Quel genre d’huile ?
Alors en priorité, on recycle l’huile de tournesol, parce que c’est la plus facile à traiter, et on récupère aussi de l’huile de colza, des huiles spéciales friture... C’est à peu près tout.

K : Qu’est-ce qui a motivé la création de "Roule ma frite" ?
Alors là je pense que je vais parler plutôt au nom des fondateurs de "Roule ma frite" : ce qui les a motivés, c’est la rencontre sur un salon d’un jeune triturateur de graines, qui faisait de l’huile pure, et qui dans son exposé expliquait qu’on pouvait également recycler des huiles usagées. Ça a fait “tilt” dans la tête d’un des membres fondateurs, qui s’est lancé à son tour pour faire de l’huile recyclée.

K : Votre projet a-t-il été accepté facilement par les pouvoirs publics ?
Alors, en fait, au début on le faisait un peu entre amis, on recyclait dans le jardin de l’un ou de l’autre. C’est un groupement d’écologistes, le parti vert de Marseille, qui est venu nous voir et nous a demandé de créer une structure pour pouvoir nous subventionner. Ensuite on a eu des subventions du Conseil Général, du département et de la fondation Macif.

K : Et la ville ne participe pas ? Et l’État ?
On ne leur a jamais demandé.

K : Pourquoi pas ?
Moi, je n’ai jamais demandé de subventions à l’état, bien que je pourrais le faire : je n’en ai pas senti le besoin, vu que pour le moment, les subventions qu’on reçoit du département, ainsi que du Conseil Général et Régional sont suffisantes... Peut-être que je préférerais faire une demande de subventions à l’Europe, car en termes de législation et pour exposer mes activités, je préfère m’adresser plutôt aux instances européennes...

K : Et les grands producteurs de carburant, comment accueillent-ils votre projet ?
(Rires) ...Je ne leur ai pas posé la question ! Pour être tout à fait honnête, je pense pas qu’on soit très effrayants au niveau structure. Vous savez, on fournit, allez... 5 000 litres d’huile par mois ; comparés aux millions de litres d’essence et de gasoil qui sont vendus par jour, on est une goutte d’eau dans l’océan... Après, faut voir si ça peut les inspirer. On préférerait qu’ils tentent la même voie, plutôt qu’un conflit, ou des pressions...

K : Comment vous êtes-vous retrouvée dans ce milieu, et quelle fut votre formation ?
J’ ai appris par une amie qu’elle roulait à l’huile et qu’elle allait travailler à "Roule ma frite". Comme j’étais sans emploi, j’ai postulé... C’était il y a un an et j’ai découvert le concept... comme beaucoup de gens en fait, qui apprennent sur le tard que ça faisait des années qu’on pouvait rouler à l’huile. Et j’ai été très vite emballée par l’objet de l’association et ses activités. Pour me former, je me suis présentée à un entretien, où on m’a exposé ce qu’on attendait de moi, et j’ai dit d’accord... Au fil du temps, j’ai appris plein de trucs, et j’en apprends encore tous les jours sur l’écologie, sur les nouvelles techniques, les systèmes, les alternatives... Ce qui fait que, au bout d’un an, je me dis que c’est même dommage de se restreindre au carburant, car il y a tellement de choses à faire dans le domaine du recyclage... Quand on fait partie d’un réseau d’associations alternatives, comme "Roule ma frite", on y découvre une multitude de projets écologiques, pas forcément dans l’huile. Finalement, l’huile ce n’est que 1% des alternatives : il y a plein, plein de choses à faire...

K : Que savez-vous des différentes techniques existantes sur le recyclage des huiles ?
Disons que nous, on a la chance d’avoir parmi nos adhérents des techniciens, des ingénieurs qui bossent ailleurs, mais restent en relation avec nous et vont nous informer sur de nouvelles solutions de filtration, beaucoup plus adaptées à nos besoins... Après, personnellement je fais des recherches sur internet et je découvre, par exemple qu’aux États-Unis, il y a une ville où le maire a décidé de faire rouler tout le monde à l’huile de friture. Ça me fait plaisir d’apprendre des choses au jour le jour, mais j’y découvre aussi que des gens se sont fait arrêter parce qu’ils roulaient à l’huile... Voilà, j’essaie de me tenir informée, le plus souvent par le biais d’internet et des forums qui réunissent des gens qui roulent à l’huile. Et puis je fais suivre en cascade les informations et les échange avec les adhérents, et tous ceux qui se sentent concernés par l’écologie. Pour rester dans le partage... et la transparence.

K : Quelles sont les diverses huiles transformables en carburant ?
Tournesol, colza et huiles spéciales friture, mais cette dernière c’est une marque qu’on retrouve plus souvent chez les restaurateurs. Ensuite, il y a beaucoup d’huiles qui peuvent servir de carburant, mais ça va être plutôt dans les huiles pures, et nous on n’est pas très huile pure. Ce n’est pas vraiment un combat qui nous intéresse.

K : Pour quelle raison ?
La raison... c’est ce qu’on voit aujourd’hui, de plus en plus l’Europe a tendance à faire machine arrière sur les huiles pures, parce qu’on remarque que c’est pas du tout cohérent... On fait de la production à outrance de tournesol et de colza, alors que dans d’autres pays on meurt de faim, donc... On commence à se dire que c’est plus vraiment logique de faire pousser autant de plantes pour en faire du carburant plutôt que de la nourriture. Alors que pour nous, l’huile recyclée c’est un déchet, c’est pas produit, c’est récupéré ; donc c’est beaucoup plus cohérent comme démarche.

K : Comment la récoltez-vous chez les restaurateurs et les collectivités locales ?
On a un système de bidons empilables de 10 litres classiques, et on fait une rotation ; quand on récupère nos bidons de 10 litres pleins, on leur laisse nos bidons vides et on passe une à deux fois par semaine les récupérer.

K : Qu’est-ce que cela représente en termes de transport et de coût ?
En termes de transport, la tournée de récupération se fait avec notre camion, qui roule à 100% à l’huile recyclée : donc notre transport pour aller chercher l’huile n’est pas polluant. Notre démarche est de polluer le moins possible, et pour aller s’approvisionner en huile, et lors de nos déplacements avec notre camion. On remplit les conditions, puisqu’on ne dégage aucun CO2 dans l’atmosphère.

K : Et quelles sont les étapes de recyclage ?
Après la récupération, il y a une étape de décantation ; cela permet à l’huile de se débarrasser de tous ses résidus, ses sédiments, de l’eau éventuelle qui pourrait s’infiltrer dedans... Après une période de décantation de 15 jours, elle est filtrée, elle passe en filtration dynamique, c’est-à-dire qu’on filtre avec une pompe et elle passe au travers de 4 filtres, donc 60 microns, 20 microns et 2 fois 1 micron, pour obtenir une huile filtrée à 1 micron, sans sel, sans sédiment, sans sucre et sans eau.

K : Combien d’huile usagée faut-il pour obtenir 10 litres de carburant ?
10 litres. 10 litres... En fait il faut savoir que nous, dans l’huile, on recycle 100% des déchets, parce que bien souvent, dans nos bidons d’huile, on a des résidus. C’est une couche épaisse qu’il y a au fond du bidon, qui est composée de glycérine. On appelle ça la "patate", c’est très épais... Et ça, on en fait du combustible. Donc 10 litres d’huile font, de toute façon, 10 litres de matière énergétique ! Que ce soit du carburant ou du combustible, 100% du déchet est recyclé.

K : Y a-t-il des matières dont un pourcentage n’est pas recyclable ?
Non, c’est pas le cas des huiles usagées, qui sont recyclables à 100%.

K : D’accord. Et quels sont les équipements nécessaires ?
Alors, d’abord, un moyen de transport pour récolter les huiles, évidemment. Ensuite il faut des cuves qui vont servir au transfert des huiles, des cuves qui vont servir à la décantation, d’autres qui vont servir à la distribution... Le tout raccordé par des tuyaux alimentaires, des pompes et des filtres.

K : Donc cela ne nécessite pas forcément un grand équipement ?
On peut avoir un équipement artisanal, tout comme on peut avoir un équipement super professionnel. Ça dépend ce que vous faites, et ce qu’est votre objectif aussi. Nous, on a un équipement, on va dire, semi-professionnel. Par contre on a fait une station pour la communauté d’agglomération de La Rochelle, dans le cadre d’un marché public, et là ils ont une station qui est beaucoup plus avancée que la nôtre... Mais voilà, comme c’est une communauté d’agglomération, ils ont des cahiers des charges beaucoup plus sévères que nous. Dans une communauté d’agglomération c’est une station professionnelle avec des règles, un cadre à respecter, telle celle de La Rochelle ; ce n’est plus une station artisanale, avec un statut associatif comme nous, mais on peut y recycler des huiles usagées aussi. Cela dépend, une fois de plus, de vos objectifs.

K : À quels tests procédez-vous, avant la mise en vente du carburant ?
Alors, on fait régulièrement un test de nos huiles... Elles sont analysées pour voir ce qu’elles contiennent en sucres, en sédiments, en acroléine... Ça, c’est un test qu’on fait une fois tous les trimestres et une fois par an, au Cirad à Montpellier qui analyse les rejets en sortie de pot d’échappement. Jusqu’à présent, nos rejets sont vraiment moindres par rapport à des rejets de gasoil. Après, faut pas se leurrer, l’huile carburant pollue, mais elle pollue 6 fois moins que le gasoil, et surtout il n’y a aucun danger de CO2. Même s’il reste des traces de pollution, en tout cas minimes par rapport au gasoil...

K : La mécanique des véhicules nécessite-t-elle des adaptations particulières ?
Alors, pour la petite histoire, quand Rudolphe Diesel a inventé le premier moteur diesel, le gasoil n’existait pas... Donc au début il a fait rouler à l’huile de lin. Le gasoil est arrivé beaucoup plus tard... Ça, il y a peu de gens qui le savent. On voulait peut-être pas que ça sache, mais pendant très longtemps les moteurs diesel fonctionnaient à l’huile de lin ! Maintenant, les vieux moteurs diesel qui se rapprochent le plus possible de la technologie diesel ont tendance à très bien fonctionner avec l’huile, tandis que les nouveaux modèles TDI fonctionnent un peu moins bien, en termes de pourcentage. On ne peut pas en mettre autant que dans un moteur diesel ancien, mais des modifications permettent de rouler à 100% d’huile, tant que c’est un moteur diesel, évidemment...
Intervention d’une tierce personne. - Heu, je voulais rajouter... Au sujet de Rudolf Diesel : c’est en 1900, à l’Exposition Universelle de Paris, qu’il présenta ce nouveau moteur qui marchait à l’huile de lin...
Il faut savoir que, bizarrement, lorsque le gasoil a été découvert, Mr Diesel a mystérieusement disparu... C’était plutôt quelqu’un d’écolo avant l’heure [1], et lors d’une croisière où il devait traverser la Manche... On ne l’a jamais retrouvé, voilà. Pas de commentaire... On peut imaginer qu’il y avait, déjà à l’époque, des intérêts économiques !

K : Le Vélib aussi, c’est une vieille idée qui, d’après Courrier International, est le projet d’un Italien qu’on a remis au goût du jour...
Même les bio-carburants : c’est très à la mode, mais ça date ; rouler à l’huile, c’est une alternative qui existe depuis des années... Mais on s’y intéresse que maintenant.
Nouvelle interlocutrice. - Et pendant la guerre, les camions roulaient même au vin...!
KTee : Enfin, pendant la guerre, les moteurs de tanks et de véhicules militaires étaient poly-combustibles et pouvaient fonctionner à tout ! A tout, ce qui prouve qu’à l’époque, il y avait déjà une technologie qui permettait de faire fonctionner une machine avec autre chose que du carburant, ce que je trouve quand même intéressant !

K : Pour poursuivre cet entretien : le carburant recyclé est-il plus polluant que les carburants classiques ?
Alors ça, c’est un sujet qui est très très vaste... Parce que maintenant, on est confrontés à plusieurs types de carburant ; il y a le carburant classique, qui est issu de déchets fossiles, et donc très polluant : pour vous donner un exemple, quand vous prenez 1 litre de gasoil à la pompe, il aura fallu un autre litre pour l’extraire, le raffiner et vous l’amener... Le rendement énergétique des carburants fossiles est abominable, en fait 1 litre donne 1 litre de rendement... donc vous doublez la consommation.
L’huile pure, jusqu’à présent on disait que c’était bien, mais on est en train de revenir dessus, parce que finalement, entre les pesticides et les engrais qu’on balance dans les terres appauvries par la surexploitation, sans parler de la déforestation partout sur la planète, on se rend compte que le bilan énergétique est catastrophique. Et actuellement, c’est pas pour prêcher pour ma paroisse, mais le carburant qui a le meilleur rendement énergétique et est le moins polluant à fabriquer, c’est celui à l’huile usagée.

K : Votre carburant est-il compatible avec toutes les marques de voiture ?
Oui, il est compatible avec tous les moteurs diesel, dans une certaine proportion. Cela dépend de la marque de la pompe à injection. Si c’est la bonne, vous pouvez rouler jusqu’à 50% sans modification, sinon c’est 30%... Mais tous les moteurs diesel acceptent de l’huile usagée.

K : Quel est le prix de votre carburant ?
Chez nous c’est 65 centimes le litre, et si vous ramenez de l’huile usagée de chez le restaurateur, c’est 40 centimes.

K : 65 centimes le litre ! C’est un prix très très raisonnable, en comparaison du prix actuel des carburants fossiles ! On laisse vraiment le consommateur dans l’ignorance de ses intérêts...
Je pense qu’il y a effectivement un problème d’information. Je sais que l’Europe, dernièrement, a pénalisé la France sur son manque de communication auprès de... de son peuple, par rapport aux alternatives de carburant propre... Le nombre de personnes à qui vous dites "on peut mettre de l’huile dans vos moteurs" et qui restent complètement babas, parce qu’elles ne connaissaient pas l’huile pure et encore moins l’huile recyclée... Je pense que si les gens étaient mieux informés, ils seraient plus actifs dans leurs démarches.

K : Vous avez un intermédiaire, pour la vente de votre carburant, ou c’est vendu sur place ?
C’est vendu sur place, les adhérents viennent les mercredis et vendredis après-midi faire le plein, à l’association.

K : Comment communiquez-vous, pour vous faire connaître ?
Hé bien pour l’instant, on n’a pas forcément besoin de communiquer sur notre activité, car nos adhérents le font très bien... Et le bouche à oreille fonctionne très bien, on a un site internet qui est visité des centaines de fois par jour. Donc c’est vrai que pour l’instant on n’a pas fait vraiment une campagne de communication, c’est plutôt les médias qui ont tendance à venir vers nous. Depuis que j’y travaille, je n’ai jamais convoqué ni les radios, ni les journalistes : ce sont eux-mêmes qui viennent vers moi !

K : Cela veut dire que beaucoup se sentent concernés par l’écologie... Avez-vous observé des changements de comportement, de la part des consommateurs ?
Alors, de la part des consommateurs, ce que j’ai observé, c’est que, quand j’ai commencé à travailler à "Roule ma frite", on avait une proportion de gens très intéressés par l’écologie, qui cherchaient une alternative écologique à leur façon de rouler. Avec la conjoncture, le prix du baril qui a tendance à augmenter, on commence à avoir des adhérents qui viennent, autant pour une démarche écologique, que, par la force des choses, pour des raisons économiques... Parce que c’est vrai qu’à 65 centimes le litre, c’est beaucoup plus économique pour eux de rouler à l’huile ! Donc on essaie de les sensibiliser quand même au problème écologique, de leur faire bien comprendre qu’on n’est pas une station essence, qu’on n’est pas là pour se nicher dans une partie de l’économie... Nous, ce qu’on propose, c’est une alternative écologique.

K : Quel est le nombre et le rôle des salariés dans l’association ?
Actuellement, nous sommes deux salariés. Moi, qui suis directrice de l’association, et qui m’occupe de toute la partie administrative, de la gestion de projet, du développement, de la bonne marche de l’association... Et là, on a Éric, qui est responsable technique et qui, lui, s’occupe de la partie mécanique de l’asso, qui modifie les véhicules pour les faire rouler à 100% d’huile usagée, et qui m’aide aussi dans le développement de l’association, mais plus sur le plan technique.

K : À quels corps de métier faites-vous appel pour constituer votre équipe de travail ?
Heu... A des gens motivés, avant tout, parce que c’est vrai qu’on ne peut pas dire qu’il y ait vraiment une nomenclature dans notre métier, on est plutôt des pionniers. Donc, pour l’instant, quand on a besoin de recruter quelqu’un, c’est une personne motivée qui a une certaine connaissance de la mécanique, et peut-être des connaissances en agro-carburant. Mais ce qu’on recherche d’abord, ce sont des gens qui ont une vraie motivation environnementale...

K : Justement, comment sont-ils formés ?
Moi, personnellement, j’ai été formée par Christophe... l’ancien directeur, que je remplace... qui m’a montré les bases de "Roule ma frite", et qui m’a ensuite montré comment on filtre de l’huile pour en faire une huile propre à la carburation, puis comment on modifie un moteur pour le faire rouler à l’huile. En fait ça a beaucoup été fait à l’oral et avec de la pratique, je dirais que ça ressemble beaucoup à une formation classique... C’est toujours pareil, quand vous êtes motivés et que ça vous intéresse, vous acquérez rapidement certains mécanismes, et puis ensuite vous cherchez à les améliorer... En tout cas, en ce qui me concerne, c’est venu assez rapidement, je n’ai pas senti de difficulté à assimiler les choses.

K : Combien de membres compte votre association ?
Actuellement on a plus de 300 membres, mais on est ouverts 2 jours par semaine. En fait on a 2 permanences, le mercredi et le vendredi. Et on a peut-être 3 ou 4 adhésions par semaine, donc aujourd’hui on est 300, dans deux semaines on sera sans doute 310 et à la fin du mois 320... On est en constante évolution.

K : À quelles difficultés êtes-vous confrontés ?
Pour l’instant, pour être honnête, aucune. Ensuite, on sait très bien qu’on pourrait nous attendre au tournant, sur notre activité, on en est vraiment conscients... Je pense qu’on est un peu dans une période charnière, où on aimerait que ça bouge au niveau du gouvernement, et si possible être entendus par les élus et qu’ils nous encouragent dans nos actions... Le principal problème actuellement, c’est la douane qui considère comme interdit ce carburant ; pour l’instant on n’a pas été confrontés à la douane, en tant qu’association, mais des particuliers l’ont été. Il faut savoir que tous les procès intentés aux particuliers ont été perdus par la douane, mais elle continue d’interdire ce carburant propre...

K : Mais pour quelle raison ?... Y a-t-il une loi qui interdit de rouler à l’huile recyclée ?
C’est là où il y a une ambiguïté ; il y a une loi qui déclare l’huile recyclée comme interdite, effectivement. Ensuite, au-dessus de ça, l’ambiguïté c’est que la Commission Européenne a fixé, en 1996, une liste minimum de carburants alternatifs, et elle demandait à tous les pays membres d’allonger cette liste, d’année en année... Donc nous on se base sur cette loi-là pour cautionner nos activités, en allongeant la liste à notre façon. On se base aussi sur une base constitutionnelle, qui a été imposée par Jacques Chirac en 2004, qui dit que chaque citoyen est tenu de lutter pour la défense de l’environnement.
En tant que citoyenne, avant même d’être une employée, j’applique ce décret, tout simplement.

K : Quelles sont les contraintes de votre activité ?
Manipuler de l’huile, ce n’est pas ce qu’il y a de plus excitant au quotidien...! Non, mais sans langue de bois de ma part, je m’éclate vraiment à "Roule ma frite", parce que je rencontre énormément de personnes ; ce sont des gens avec un profil écolo, bricolo, débrouillard et qui ont toujours quelque chose à vous raconter... On est un peu tous motivés par les mêmes choses, donc ! Les contraintes sont plutôt d’ordre administratif. Mais le travail en lui-même : moi, je m’amuse bien !

K : Où vous situez-vous, au point de vue juridique et politique, au niveau national, européen...?
Alors, au niveau national, on a des élus qui connaissent nos activités et nous soutiennent. Maintenant, l’idéal serait de passer la seconde... et de soumettre une loi, ou une étude, ou quelque chose qui prouve qu’on est vraiment dans notre bon droit, et que ce qu’on fait soit cautionné par une loi. Pour l’instant, on doit être 5 ou 6 associations "Roule ma frite" en France... Je pense qu’à terme, on fera une fédération pour avoir plus de poids. Et sans doute qu’on fera une grande étude, bien qu’on ait déjà des textes, des études à montrer ; mais peut-être faire quelque chose de plus creusé, pour avoir un document scientifique vraiment très sérieux et cautionné par de grands scientifiques, si on peut... Et ensuite le proposer à qui voudra, politique ou pas... Alors là on est vraiment ouverts pour mettre à disposition nos infos à qui se sentirait concerné et ayant les moyens de faire avancer nos actions, dans une intention écologique...

K : Payez-vous des taxes à l’état sur le carburant, ou en êtes-vous exonérés ?
Ah, c’est un vaste sujet ! En fait, les deux premières années, on n’était pas imposés ni assujettis à la TVA, parce qu’on était une association qui réalisait moins de 27 000€ de chiffre d’affaires par an. Mais avec le marché public de La Rochelle, on a explosé notre chiffre d’affaires, et on a demandé à payer notre TVA : donc on a fait nous-mêmes la démarche, et on provisionne un compte dédié à la TIPP (taxe sur les carburants, et qui en augmente lourdement le prix à la pompe) si un jour on doit éventuellement la payer... Maintenant, reste à savoir comment on peut taxer un déchet... et lui imposer une taxe carburant... Et oui, là on va payer un impôt société, bien qu’on soit une association. Nous, on refuse pas de payer les taxes, les impôts ; y a pas de problème, on est une structure qui tourne, on sera pas hypocrite là-dessus. Mais on aimerait bien être pris pour ce que qu’on est, c’est-à-dire qu’on recycle un déchet et qu’en termes de taxes, on ne devrait pas être considérés comme une station-service qui ne vend que du carburant...

K : Le recyclage de l’huile, c’est lucratif ?
Nous, on est une association à but non lucratif. Mais si quelqu’un fait ça à son compte, évidemment c’est lucratif... Après ça dépend de la structure, mais si vous êtes un particulier, vous n’aurez pas de tracasseries administratives. Et vu que le rendement énergétique est très très bas, avec des coûts de fabrique et de récupération très bas aussi, forcément c’est une activité qui peut être très lucrative... Par contre, si vous êtes une grande société qui voudrait faire comme nous, oui sans doute, elle ferait des bénéfices, mais serait forcément imposée sur ses bénéfices, comme n’importe quelle autre société. Tandis que nous, pour l’instant on n’a pas été confrontés à ça, puisqu’en tant qu’association nous ne pouvons pas faire de bénéfices.

K : Qui sont vos principaux collaborateurs ?
Principalement les restaurateurs, puisque ce sont quand même eux qui nous fournissent la matière première. Ensuite on a des fournisseurs pour tout ce qui concerne la partie technique, les fournisseurs de mécanique, les fournisseurs de cuves, de pompes, de raccords en laiton...

K : L’usager lui-même pourrait participer aussi...?
Oui. Nos adhérents, s’ils veulent s’impliquer dans la vie de l’association, sont tous les bienvenus. C’est aussi le principe de base d’une association...

K : Travaillez-vous avec des entreprises semblables à la vôtre ?
On travaille déjà avec les autres "Roule ma frite" existantes.

K : Est-ce une chaîne "Roule ma frite" ?
Non, pas du tout, ce sont des gens qui sont dans la même démarche que nous. Et comme on voudrait, à terme, devenir une fédération, ils prennent le même nom que nous... Alors certains mettent le numéro de leur département, pour changer, mais ça nous gêne pas que d’autres associations s’appellent "Roule ma frite".

K : Mais ça ne prête pas à confusion... un nom déposé, et du point de vue identitaire ?
Non, car ça rentre dans le cadre de l’essaimage, en fait. C’est surtout qu’on veut essaimer... alors autant le faire avec notre nom et avec des gens qu’on connaît, autour de "Roule ma frite". Après, on n’est pas du tout une chaîne... c’est juste qu’on a le même nom, puisqu’on a pratiquement les mêmes activités.

K : Le nom d’origine, justement, il vient de Marseille ?
Oui, il est parti de Marseille...

Nouvelle intervenante. - Pour ajouter... je dirai que ce n’est pas très dérangeant le nom, car ce n’est pas un nom d’entreprise, c’est plutôt une idée... Voilà, "Roule ma frite" représente une idéologie, c’est bien plus l’envie de préserver l’environnement, que l’orgueil de s’attribuer un nom et d’en être le fondateur. Dans l’urgence du changement climatique d’aujourd’hui, c’est vraiment un concept... "Roule ma frite" est un engagement dans un fondement de partage, sans appartenance ni droits d’auteur, qui peuvent exister dans d’autres structures, parfois formatées par une marque, comme n’importe quel produit... Ce sont des moyens, pour une fois solidaires, mis à la disposition de ceux qui veulent s’investir dans une démarche écologique et un investissement éthique. Sans être fanatique, si quelqu’un voulait se lancer dans le recyclage d’huile usagée dans un but d’intérêt financier... ce n’est pas notre vision, ni notre fond de commerce.

K : Quelles sont les perspectives de votre structure ?
Conquérir le monde !... Non, nos perspectives sont toujours un peu les mêmes ; c’est faire découvrir l’huile carburant aux particuliers, et avant tout, aux collectivités, parce que je pense que malgré tout ce sont elles qu’il faut toucher. Ce sont les collectivités qui gèrent tous les transports publics, et qui pourraient vraiment faire quelque chose à grande échelle... Je pense qu’il faut taper plus haut, et donc nos perspectives sont quand même d’arriver à convaincre les collectivités d’adopter des sites expérimentaux, pour commencer ; et sur l’huile recyclée, comme ça été fait à La Rochelle ; et de communiquer mieux aussi... En perspective, on a aussi des expérimentations pour affiner encore plus notre carburant alternatif. Peut-être aussi, à terme, faire une recyclerie départementale. Et on aimerait bien travailler avec les agriculteurs.

K : Et vous, quels sont vos projets ?
Mes projets !... À un moment donné, mon projet était de faire vœu de pauvreté... et d’aller vivre dans un pays pauvre, avec des gens pauvres, pour me sentir moins coupable de la chance que je peux avoir, parfois, d’être européenne. C’est assez paradoxal, parce qu’on devient esclave et on est responsable de tellement de choses... Donc mon projet c’était ça en fait, c’était d’aller vivre dans une campagne cambodgienne, et de vivre avec et comme les gens. Et de ne pas arriver avec mon savoir d’européenne, mais de m’ouvrir à leur culture pour apprendre d’eux. Après, depuis que je suis dans le réseau, je vois des reportages, des documentaires, qui me font vraiment mal au cœur, et je me dis que finalement les gens les plus pauvres sont peut-être ceux qui ont le plus à donner.
Voilà, depuis 30 ans que je suis en Europe, le reste de ma vie je pourrais peut-être le passer ailleurs, et aborder la vie d’une manière différente... Maintenant, pour revenir à du plus concret, je compte rester à "Roule ma Frite" encore quelques temps, mais j’ai envie de débloquer des projets personnels... pas forcément dans l’écologie, mais beaucoup dans l’économie sociale et solidaire, en tout cas.

K : Pour conclure, vous-même, utilisez-vous du carburant propre, de l’huile recyclée ?
Oui, ma voiture roule à 50% d’huile recyclée, en attendant de la faire passer à 100%, bientôt...

K : Merci, pour votre sourire et la richesse de vos informations !
Merci à vous.

Propos recueillis par M. Mahdjoub

Notes

[1Pour citer l’article de Wikipédia :
Entre 1911 et 1912, il (...) prédit que « l’utilisation d’huiles végétales comme combustible liquide pour moteurs peut sembler insignifiante aujourd’hui », mais que « ces huiles deviendront bientôt aussi importantes que le pétrole et le goudron de charbon »
Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Rudolf_Diesel

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