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Les drôles de choses de l'atelier - Au travail ! - L'enfance de l'art - La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

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L'enfance de l'art

Les drôles de choses de l’atelier

"Y a des gens qui se mettront devant mes peintures, qui diront « c’est à chier, qu’est-ce que c’est ? C’est vilain comme tout, je préfère Rembrandt ! », ils ont raison... Mais y en a d’autres qui vont oublier Rembrandt et qui vont voir Paul Huet, et qui vont dire « c’est pas trop mal », et ça va leur faire quelque chose..."


Voir en ligne : Site internet de Paul Huet

...J’ai été très surpris par exemple, dans la dernière expo, j’aurais jamais cru... Parce que moi je suis un petit peu au niveau de l’artisanat, pour moi c’est avant tout des bouts de ficelle, des bouts de tissu, de la colle, et des problèmes à résoudre : "comment je vais faire ? J’y arrive pas..." Et puis vous exposez, et vous apprenez qu’un peintre a pleuré devant un de vos tableaux ; ça vous fait drôle... Vous vous dites que quelque part, vous avez atteint un objectif, mais sans le voir. (...) Regardez comme certaines œuvres d’art ont une existence incroyable depuis des siècles. Chaque fois qu’il y a des gens qui regardent tel opéra ou quoi, ils sortent avec le cœur qui s’est élargi, et des fois, même, ils ont un attachement incroyable à cette œuvre, ils l’écoutent à tout bout de champ chez eux... Ça n’arrête pas de leur donner quelque chose. C’est pas nécessairement ce que l’artiste a perçu, lui, parce qu’il est de l’autre côté ; il est du côté de la production, en quelque sorte.
Bien sûr que lui-même, ça vient d’un fond d’émotion et tout ; mais il a pas cette chance, spéciale, de l’amateur, qui lui, n’a pas du tout assisté à l’accouchement. Il voit que le beau bébé tout neuf, dans sa paille. Et c’est intéressant, à ce moment-là, de voir par les yeux de ces personnes.

Koinai. - Présentez-vous un peu, dites-nous qui vous êtes, ce que vous faites.
Paul Huet. - Hé bien je suis Paul Huet, j’habite à Digne, après avoir habité longtemps à Marseille. Je me suis un peu échappé... A l’époque, il n’y avait pas grand-chose à en espérer. Après j’ai un peu regretté, parce que Marseille s’est éveillée après que je sois parti !

K. - Par rapport à la peinture ?
PH. - La peinture, mais aussi les arts en général, et le type de vie, quoi : j’ai vécu dans un Marseille où les jeunes se comptaient, et maintenant c’est plein de jeunesse... Ça avait un côté un peu endormi, quoi. A choisir, j’ai préféré aller habiter à la montagne. Je me suis un peu isolé, mais j’ai profité de la nature, alors que j’habitais Castellane.

K. - Vous êtes artiste plasticien...
PH. - Oui, je dessine, je peins depuis le berceau, et après avoir énormément profité de ça dans un sens de consolation, de refuge, de plaisir, disponible tout le temps - j’avais toujours un petit stylo ou quoi à la main - dans les années 80, j’ai été séduit par l’idée de devenir un artiste. De vraiment faire ça pour que ce soit exposé etc... Et j’ai d’abord été très déçu parce que je croyais pas que c’était aussi compliqué, qu’y avait autant de mauvais esprit. Et puis aussi, j’ai fait trois enfants, coup sur coup, et là tout le monde m’a dit : "Tu y arriveras pas à continuer à peindre", et moi je le croyais pas, mais c’est vrai...

K. - C’est à cette période, les 13 ans de doute dont vous parlez sur votre site ?
PH. - Oui. Oui. Voilà. Et donc, après toutes ces années, soudain, y a quelque chose qui s’est déclenché. Y a eu un petit message intérieur : le temps pressait, fallait que je fasse ce que j’avais eu envie de faire et qui était incontournable. C’est-à-dire ce qu’on appelle, d’une manière un peu grandiloquente, "une œuvre"... laisser un témoignage, communiquer quelque chose. Et puis peut-être aussi, être satisfait de soi avant de dire "bye bye"... Je commence à avoir un certain âge, et c’est un âge où on se dit que ça peut survenir d’un moment à l’autre ; alors que depuis qu’on est bébé, ça peut survenir d’un moment à l’autre ! Mais y a un âge où ça devient un peu plus vrai, parce qu’on voit sur soi des traces qu’on est en train de rendre les choses une par une, et là j’ai senti cette urgence de me mettre au travail. Et c’est une grande satisfaction, parce qu’y a un tas de petits malaises, qui étaient liés à ça et qui ont disparu. Je me sens quand même beaucoup mieux dans ma peau. Et puis je suis content de voir qu’y a des gens à qui ça fait plaisir, voilà.

K. - Dans l’entre-deux, pendant ces fameuses 13 années, vous faisiez quoi alors pour vivre ?
PH. - Alors j’ai la chance d’avoir une femme qui travaille avec sérieux, qui m’a soutenu ; j’ai fait pas mal de petites choses, mais qui ont été un petit appoint ; j’ai travaillé notamment dans le domaine de la musique, j’ai fait des paroles, j’ai eu la chance d’avoir quelques droits d’auteur. J’ai fait un peu de mise en scène, music-hall etc... Parce que j’avais fait un peu de théâtre, mais bon, rien qui ait vraiment réussi, qui ait vraiment pris de l’ampleur. Et voilà. Sinon, une chose importante dans ma vie, c’est que j’ai une recherche spirituelle, qui m’occupe pas mal.

K. - Vous pouvez nous en dire plus ?
PH. - Hmmm... Pendant toutes ces années, je cherchais un peu la solution, que tout le monde recherche, c’est-à-dire se sentir en paix, et quitte... Un souci de... d’être meilleur. J’ai été membre d’une communauté un peu en dehors de l’establishment religieux. Vous savez que très souvent, lorsqu’on parle de christianisme, on pense tout de suite Inquisition, morale rigoriste, etc ; moi je crois que c’est beaucoup plus un message de vie, de tolérance, d’amour, de pardon... et aussi un message révolutionnaire. La première église, c’était une communauté où on mettait toutes les ressources en commun et où chacun recevait selon ses besoins. Ça veut dire que par exemple, l’équivalent d’une profession libérale d’aujourd’hui, repartait avec... ses besoins : s’il avait un seul enfant il repartait avec moins que l’ouvrier, qui avait déposé moins que lui, mais qui avait besoin de plus que lui. Et je crois que c’est le grand critère de la vraie foi. C’est quelque chose de très concret, je crois que la vraie foi c’est pas dans les étoiles, c’est dans les relations avec les êtres humains entre eux, la façon dont on gère son argent et son temps... ses ressources. Et je me rattache donc à ce christianisme primitif, qui impliquait de prendre en compte la justice sociale.
Mais, je sais pas si vous voyez, mes tableaux ne parlent pas de Jésus, on pourrait pas spécialement y trouver l’identité...

K. - Quelle influence a eu votre enfance en Algérie sur votre œuvre ?
PH. - Mon enfance en Algérie... Ben l’Algérie c’était un pays en guerre, y avait beaucoup d’angoisse, mais y avait un grand bonheur en même temps. En fait, c’est mon père qui m’a mis le pied à l’étrier, parce que mon père dessinait, et il m’a appris à faire des bonshommes avec un petit point et quatre ou cinq petits segments, vraiment la version basique du bonhomme... J’ai couvert des pages, comme ça, de petits bonshommes, je me régalais... Puis j’aimais voir mon père faire ces petits dessins, et tout. Et donc ça, c’est mon enfance en Algérie, ça aurait pu avoir lieu en Bretagne, ou peu importe... La terre, c’est autre chose... Non mais l’influence de l’Algérie... Je la sens très forte, mais... peut-être parce qu’elle est très forte en tout.

K. - Vous y êtes resté jusqu’à quel âge ?
PH. - Jusqu’à l’âge de onze ans.
Je sais pas, je crois que si ça a à voir avec... c’est par... un étrange détour. C’est que je crois que si on a été heureux, on peut que grandir dans cette dimension du bonheur. Je crois que j’ai été heureux, voilà, en Algérie.
J’y avais pas pensé comme ça. C’est ça qu’il y a d’intéressant, quand des gens vous posent une question, c’est qu’effectivement, on peut découvrir sa pensée, parce qu’on n’a pas l’habitude d’être interviewé par des gens qu’on connaît pas... Avec les gens qu’on connaît, on rejoue un peu les mêmes personnages, assez souvent.

K. - Comment vous définiriez votre art, vos œuvres ?
PH. - Alors j’ai trouvé un mot qui me plaît beaucoup chez Mac Orlan. J’ai découvert Mac Orlan cette année, et Mac Orlan, c’est tout un projet qui l’unissait à d’autres gens ; c’était de garder le maximum d’un monde qu’il savait être sur le point de disparaître. Par exemple, ce monde, c’était le monde des grands ports comme Marseille, des endroits où y avait une vie intense, de marins qui arrêtaient pas de défiler, qui avaient besoin de fêtes, d’amour, d’ivresse, le temps qu’ils mettaient le pied à terre, alors qu’ils avaient vécu comme des spartiates, à la dure. Et puis aussi donc de voyous, de prostituées, de musique, etc... Et puis le décor urbain, les coutumes... Ils savaient que tout ça était sur le point de disparaître, et ils l’ont mis dans leur œuvre ; et chez Mac Orlan c’est vraiment évident. Il a été un grand acteur de ça. Alors il a forgé un terme qui s’appelle : "le fantastique social". Moi j’ai toujours été très sensible à ce monde qui passe, et à ce qui reste de ce monde qui est passé. C’est-à-dire, à travers la notion de dérive, dans les milieux urbains, d’aller par les lieux et de ressentir un peu les beaux restes du temps passé ; et ce faisant, il y a des vivants, et une personne au hasard d’une rue, et quelques mots à droite à gauche, etc... On est dans le social, et dans le mystère.
Ce que j’essaie d’exprimer c’est ce mystère, c’est pour ça que dans mes peintures on va trouver, souvent, des choses qui ont à voir avec la rue, avec les gens de la rue, etc. Mais pas essentiellement, parce que, par exemple, j’aime bien aussi inventer des fleurs, les inventer ; c’est de loin, qu’il y a une référence à la botanique. Mais ce que je vous dis, ça sera peut-être pas vrai demain ! Parce que peut-être que demain je vais rentrer dans une exploration que je n’avais pas vraiment anticipée. C’est le propre de ce qui se passe dans l’atelier ; dans l’atelier, il se passe de drôles de choses. Vous voulez faire une chose, et puis vous en faites une autre, et vous découvrez un truc...

K. - Quelles techniques utilisez-vous ? Il y a de la peinture, des collages, des matières...?
PH. - Je colle des tissus, et puis je mets de la couleur ici ou là ; y a des tableaux où y a que du tissu. Mais, dans le fond, c’est jamais que de la peinture. Parce que la peinture, c’est mettre de la couleur sur du tissu. Et moi je prends du tissu qui a déjà de la couleur. Donc j’ai pas à le peindre, je fais que le disposer, quoi...

K. - En dehors du fantastique social, d’où tirez-vous votre inspiration ?
PH. - C’est des images du passé, du cinéma... Et puis y a aussi cette dimension de jouer avec les autres peintres, de donner un peu sa version de la même chose...

K. - Par exemple ?
PH. - Par exemple j’ai fait une fille dans un fauteuil, un petit peu alanguie... Je l’ai appelée "La Petite Sieste". Ça a à voir avec, aussi, des tableaux qui représentent un peu la même chose, chez Balthus, chez... Klossowski, je crois que c’est Klossowski. Mais bon, disons qu’il y a d’autres peintres qui ont fait, comme ça, des jeunes filles dans un fauteuil, gagnées par un sommeil d’après-midi. On a plus ou moins en commun avec d’autres gens, comme ça, des images qui sont porteuses d’émotion pour soi-même. Une jeune fille dans l’après-midi, qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? Dans un fauteuil, en train de s’endormir... Je crois que c’est un peu un fantasme d’homme, de pouvoir regarder à souhait quelqu’un, sans être gêné par son regard. Parce que cette personne elle est en train de s’endormir, donc on peut la violer du regard. Parce que si on le fait avec une personne qui a les yeux grands ouverts, soit y a une vraie invite, et, plus ou moins, suivie de résultat, soit de la gêne : "Mais qu’est-ce qu’il a celui-là ?"... Je crois qu’il y a quelque chose, dans ce regard sur la jeune fille alanguie, de l’homme vieillissant qui peut pas se permettre d’imaginer autre chose que... de voler comme ça quelque chose, quoi. Et être en droit de le faire en plénitude, puisqu’elle s’en rend pas compte. Qu’elle dort.
J’ai été séduit par ces représentations chez les autres, et à un moment donné j’ai eu envie d’en faire ma version, quoi.

K. - Vous parlez d’un "homme vieillissant"... Vous dites aussi, sur votre site, qu’au début, peindre et dessiner, c’était un peu pour "tenir le monde à distance". Mais en fonction de l’évolution spirituelle dont vous parliez tout à l’heure, ça a du changer...?
PH. - Oui, tout à fait, parce que j’ai plus envie de le tenir à distance. C’est vrai. C’est plus du tout mon mouvement. Et d’ailleurs quand j’étais dans cette espèce de notion de distance, je voulais aller vers une espèce de truc intellectuel, un peu élitique, difficile, hautain... Et je me suis rendu compte que c’était pas mon monde. J’étais un petit peu traître à quelque chose d’essentiel qui était en moi. Et qui avait besoin d’être rappelé.
Je crois que les choses sont à double tranchant : je crois que l’art ça peut être quelque chose qui sépare les gens, qui les divise. Et ça peut être quelque chose qui les unit. Mon idéal un petit peu, d’attitude d’esprit, c’est Van Gogh, qui voulait vraiment peindre pour tout le monde. Et il a réussi ! Il a réussi, parce qu’on dit que Van Gogh maintenant, on le trouve sur des cendriers, sur des torchons, sur des calendriers, etc... C’est les images qui sont les plus répandues à travers le monde, d’un grand artiste. Et c’est pas un hasard si notre ami Van Gogh, il a chopé cette envie de communiquer avec les gens et tout ça, après avoir été un évangéliste dans un des endroits les plus terribles de Belgique, au milieu des pauvres... C’est là qu’il a commencé à faire quelques croquis, des paysans épluchant leurs patates, des gens du coin... L’art, c’est pas "pour quelques-uns". C’est à tout le monde. Et si quelqu’un dit "j’aime pas ça", et "j’aime ça", c’est tout à fait son droit, on n’a pas à lui expliquer pourquoi il devrait aimer ça et pas aimer ça. A la limite, si y a une ambition qui mérite d’être cultivée, c’est vraiment de plaire à tout le monde.

K. - A présent, est-ce que vous en vivez, de votre art ?
PH. - Alors, ça commence à marcher... Et je souhaite que ça continue ! Mais j’ai pas d’autre ambition que de vivre correctement, de prendre sur moi les besoins de ma famille, et j’aimerais que, si y a plus d’argent, ça se concrétise par de bonnes initiatives en direction des autres. Un jour, j’écoutais l’interview d’un jeune chanteur qui s’appelle Michael Smith. On lui a dit "mais qu’est-ce que vous faites avec votre argent ?" C’était la question-clef. Et il a dit un petit peu ça, c’est que tout ce qu’y a en plus d’une vie décente, c’est une vie solidaire. Il a ouvert un grand centre en banlieue, dans un endroit difficile, un grand centre de loisirs. Y a pas une grande croix dessus, et on demande pas aux gens de rentrer là-dedans et de faire "patte blanche" religieuse... Y a des pistes de skate, y a tout ce qu’on peut imaginer pour que des jeunes s’éclatent et soient pas en train de s’ennuyer dans la rue ; et je trouve que c’est super bien, cette façon de faire. Je crois que si y a des gens qui, d’une manière ou d’une autre, peuvent capter des fonds, c’est là qu’on verra quelles sont leurs convictions : ce qu’ils font de leur argent. Est-ce que cet argent, il doit devenir une jouissance au-delà de toute raison gardée, ou est-ce que c’est l’occasion de redistribuer un peu, de faire quelque chose de bien avec...

K. - Est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose ?
PH. - Je suis très heureux d’avoir partagé ce moment avec vous, vous avez de super questions, vous avez vraiment une bonne présence d’intervieweuses, voilà, c’est formidable !

Propos recueillis par K.M. et L.L.

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