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La peinture de Boggero, mémoire de la construction navale - Au travail ! - L'enfance de l'art - La revue du témoignage urbain

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La peinture de Boggero, mémoire de la construction navale

A l’occasion de son exposition à la Galerie Andiamo, nous avons interviewé le peintre Alain Boggero. Si son travail nous rappelle l’expressionnisme allemand, ses couleurs sont bien celles de la Méditerranée, qu’il a choisies pour exprimer son refus de la disparition d’un monde, le sien, celui de la construction navale. Boggero peint les hommes qui ont autant façonné l’histoire des chantiers navals que la coque de leurs navires. Ceux-là même que la dé-industrialisation voulait rayer de la carte ressuscitent sur ses toiles. Ceux qui ne devraient plus être que des fantômes, sous son pinceau, revivent. Peintre du refus, Boggero poursuit l’oeuvre de la navale, la transmet et ainsi l’immortalise.


Voir en ligne : Exposition Alain Boggero : Les six mille des chantiers

Koïnaï - Voulez-vous commencer par vous présenter ?

Alain Boggero - Je m’appelle Alain Boggero. Je suis né à La Seyne-sur-Mer, à côté de Toulon. Ça fait douze ans que je suis à Marseille. Mon atelier se trouve au 118 rue Dragon. Je suis juste en bas de l’ancien funiculaire pour aller à la Bonne Mère. Ils l’ont détruit, c’est dramatique ça. Ça aurait été formidable si on avait gardé ce truc. J’ai eu soixante ans le 6 août dernier. Je suis né cinq ans après la bombe d’Hiroshima, c’était le 6 août 1945. Ça m’a marqué, parce que chaque fois on parlait de ça pour mon anniversaire, c’était pas très gai.

K. - Cette date, l’avez-vous représentée dans vos œuvres ?

A.B. - Non, je me suis jamais représenté moi-même, j’ai jamais fait d’autoportrait, j’ai jamais peint des gens de mon entourage. En fait, moi je peins des gens d’une manière pas conceptuelle ou abstraite, mais pour moi, c’est universel les personnages. Je suis pas pour le portrait, je suis pas portraitiste, je crée des personnages parce que la multitude m’intéresse. Je voulais, dans un premier temps, comme on était six mille dans mon entreprise, peindre six mille ouvriers et les exposer tous un jour ensemble, pour montrer ce que c’était, pour montrer ce que représentait la suppression de six mille emplois, donner des visages aux gens à qui on va supprimer l’emploi. Six mille, c’est énorme.

K. - Votre carrière de peintre est-elle partie de là ?

A.B. - Voilà, je me suis mis à peindre pour ça.

K. - Vous ne peigniez pas avant ?

Oui, j’ai toujours peint, mais à un moment donné, je m’étais carrément arrêté parce que je considérais l’art comme quelque chose de petit-bourgeois, pour mettre au-dessus des bahuts, alors que maintenant y’a des gens qui mettent mes tableaux au-dessus de leurs bahuts. Mais a priori, pour moi, la peinture il fallait que ce soit autre chose. J’ai découvert les expressionnistes qui, après la guerre de 14-18, se sont mis à peindre avec leurs tripes. Alors, y a eu, un peu avant, Van Gogh ou les muralistes mexicains, mais c’est surtout les Allemands qui ont donné un sens à la peinture, le sens du combat. C’est-à-dire que pour eux, la peinture c’était pas de l’ornement, c’était pas quelque chose de beau.

La beauté, c’est vrai que c’est fort. Mais y’a une autre vision de l’art, c’est l’art qui dénonce, l’art dérangeant. La cruauté, la misère, eux c’était la guerre, et ça, ça peut pas être beau. L’art doit pas obligatoirement tendre vers la beauté. Moi, quand je parle de mes ouvriers, encore qu’ils sont pas tellement agressifs, ils ont jamais été agressifs, ils ont toujours le visage rond, plein, mais on sent quand même... une nostalgie, une tristesse, souvent, dans les regards, parce que la condition d’ouvriers, c’est pas quelque chose de revalorisant et d’épanouissant.

K. - Vous les avez peints, les six mille ?

A.B. - Oui, et j’ai même dépassé les six mille, effectivement j’ai plus de quatre mille tableaux et plus de huit mille personnages. Ça va du ticket de métro à des tableaux qui font deux mètres sur deux, peints sur des toiles, des draps, que je récupère dans la rue parce que, à 95 %, je récupère tout ce que je trouve dans la rue, des draps, des cartons, des contre-plaqués, etc. Ça fait quand même plus de quatre mille pièces, c’est énorme, y’a des gens qui sont venus, qui m’en ont récupéré plus de deux mille pièces et qui les ont entreposées dans un hangar. Heureusement, parce que j’avais du mal à tout garder dans mon atelier.

Alors voilà, j’aurais aimé, moi, pouvoir tout exposer d’un seul coup, ça se verra peut-être jamais. Mais il suffirait de remplir toutes les galeries de Marseille, mais bon c’est prétentieux. Depuis mes soixante ans, j’ai rabaissé mes prétentions, je me dis, c’est pas important, l’important c’est de l’avoir eu dans ma tête, et de continuer à peindre ces personnages et puis si ça voit pas le jour, c’est pas grave...

K. - Combien de temps vous a-t-il fallu pour les peindre ?

A.B. - Je sais pas, quinze à vingt ans. Depuis 1985, je peins des ouvriers, depuis mon licenciement, en janvier 1985. Là, j’y suis toujours, j’ai dépassé les six mille, mais je compte même plus. J’avais une fille qui à un moment donné avait commencé à répertorier tous les tableaux, toutes les pièces et puis elle s’est arrêtée parce que c’était trop long, trop fastidieux, on s’est arrêté à la moitié. Et depuis, je continue.

K. - Quel a été le déclic pour vous mettre à peindre ?

A.B. - Vous avez raison de dire ça, parce que c’est pas évident. Bizarrement, quand j’étais dans l’entreprise, je faisais du conceptuel avec d’autres artistes. On récupérait des pièces métalliques, des chalumeaux coupés en morceaux, je faisais des compositions, et je pensais pas peindre des ouvriers, c’est quand j’ai été licencié et quand trois ou quatre ans après, en 89, l’usine a carrément été rasée, alors là, ça a conforté encore plus mon idée de faire revivre tous ces types.

Je suis d’origine italienne, c’est important de dire ça. Mes grands-parents ont traversé la frontière pieds nus, paraît-il. J’ai toujours été intrigué, parce que je comprenais pas pourquoi ils avaient pas de chaussures pour venir travailler à La Seyne-sur-Mer. Et de voir que tout avait été rasé, pour moi c’est une blessure, parce que j’ai une attache passionnelle pour mon passé, pour mes origines. Savoir que mes grands-parents avaient traversé les Alpes pour travailler à La Seyne-sur-Mer, et voir tout raser, c’était pour moi insupportable et je voulais leur rendre hommage.

K. - Depuis combien de temps faisiez-vous ce métier ?

A.B. - Au départ, je voulais faire des études, mais j’avais mon père qui était manoeuvre, et ma mère qu’était femme de ménage. J’avais une telle attache envers les miens que je voulais pas me désolidariser d’eux. Alors je suis rentré à l’usine. Y avait les établis, les gens qui, après 68, sont rentrés volontairement en usine pour faire la révolution. Moi c’était pas ça, j’ai essayé de la faire une fois dedans, parce que je me suis engagé politiquement, mais mon entrée dans le chantier, c’était plutôt pour ressembler aux miens, ressembler à ma mère, ressembler à mon père. Voilà , c’était une attache émotive, sentimentale. Seulement après, je me suis engagé politiquement et je me suis syndiqué.

K. - Donc pendant combien de temps avez-vous fait ce travail ?

A.B. - Environ quinze ans. C’est vrai que c’est pas venu tout seul, ce déclic de la mémoire. Si je peins des ouvriers, c’est pas simplement parce que moi je l’étais, moi je l’ai jamais vraiment été. J’ai jamais été vraiment un ouvrier.

K. - Que faisiez-vous exactement ?

A.B. - J’étais charpentier-tôlier, et tous les gars qu’étaient autour de moi me disaient « Qu’est-ce que tu fais là, Alain ? », ils pensaient que j’étais pas à ma place... un peu comme un anachronisme. Mais en même temps, quand j’ai fait cette pièce de théâtre, les mêmes qui me disaient « Allez, on travaille pour toi là, t’as pas les mains, t’as pas les muscles », et qui ont vu la pièce et que j’ai vu sortir avec les larmes aux yeux, j’ai dit "Tiens...". Y’en a un qui m’a dit « Tu sais Alain, ben finalement heureusement que t’étais là pour raconter tout ça, il en fallait un ». Alors, j’étais fier quand ils m’ont dit ça.

K. - Oui, c’est un beau compliment. Quand avez-vous écrit cette pièce de théâtre ?

A.B. - Oh, je sais plus. Je l’avais écrite y’avait quelques années, peut-être plus de dix ans, mais après, il est venu des gars de La Seyne-sur-Mer qui ont décidé de monter la pièce, et ça a été une réussite parce que beaucoup de personnes venaient la voir, c’était rigolo. Ca se passe dans un vestiaire, ça parle ouvrier, c’est ce qui a fait dire pas mal de critiques, que c’était pas au niveau, que c’était pas du théâtre. Les ouvriers qui parlent avec leurs défauts de langage, on accepte pas ça dans l’art. En peinture peut-être, parce que la peinture, c’est plus insidieux, mais en littérature et au théâtre, on accepte pas qu’un type qui a aucune connaissance littéraire se permette d’écrire des pièces de théâtre. Mais y’a quand même eu deux mille à deux mille cinq cents personnes qui sont venues voir la pièce.

K. - Comment cela vous est-il venu d’écrire ? Étiez-vous déjà porté sur le théâtre ?

A.B. - Ah non, non, pas du tout. Moi c’est toujours pareil, c’est pour dire... Y’avait la peinture, y’avait la BD...

K. - Mais pourquoi le théâtre ?

A.B. - Parce que c’était une façon comme une autre d’essayer de me faire entendre.

K. - Était-ce difficile d’écrire une pièce ?

A.B. - Non, mais c’était d’autant pas difficile que je me contente de retranscrire, je dis toujours que j’ai aucune imagination, que je suis pas un créateur au sens propre du terme, je me contente de répéter ce que j’ai entendu... y’avait des types qui avaient un humour... c’était énorme. J’ai gardé tout ça et je l’ai remis au propre, mais en fait y’a presque rien de moi.

K. - Quels souvenirs de l’usine avez-vous ? Plutôt bons ou mauvais ?

A.B. - Ben, y’a un truc que j’ai découvert, c’est que la solidarité pouvait permettre de renverser des montagnes. Par exemple, dans les mines, les types pouvaient pas accepter de vivre quarante ans sous terre sans voir le soleil si y’avait pas quelque chose dessous qui se passait, et nous à l’usine, c’était pareil, y’avait un amour entre les mecs qu’était énorme. On se languissait de se revoir quoi, et puis il y avait une solidarité incroyable.

Par exemple, à un moment donné, je travaillais avec six autres types, dans un endroit spécial, on faisait certaines choses, il y avait un local où se rangeait le matériel, et entre nous, on s’était dit "bon voilà, à tour de rôle, y’en a un qui dormira tout le matin", et à cinq, à tour de rôle, on se prenait une journée à dormir, et alors il fallait répondre au chef qui disait "Où il est, Untel ?", une fois il fallait dire qu’il était un peu dérangé, qu’il était aux toilettes ou qu’il était à la mutuelle. Alors c’est des petits trucs insignifiants, mais qui montraient l’amour qu’il y avait entre les mecs, et les mineurs, ça devait être pareil, autrement ils auraient jamais pu vivre.

K. - Quelle vision avez-vous du travail ?

A.B. - Le travail pour moi ? Le problème, c’est que le travail est fait pour tirer de la plus-value, donc on en demande toujours plus. Il faut moins de sécurité, il faut moins de ci, il faut moins de là. Ça fait qu’un travail qui pourrait rester correct finit par devenir un travail d’esclave, parce qu’il y a des impératifs économiques, qui font que le travail devient une prison. C’est ça, il faut faire du profit, du profit. Et ça rend le travail insupportable.

K. - Faites-vous passer cet aspect dans vos tableaux ?

A.B. - Oui, certainement, puisqu’il y en a qui me disent que c’est du réalisme socialiste. Mais sous Staline, j’aurais fini dans un goulag, parce que mes types, si vous regardez bien, ils ont toujours une certaine lassitude. C’est ce qu’on peut dire au mieux, pour pas trop gêner qui que ce soit, c’est que, oui, ils étaient las. Mais je les montre rarement... Quelquefois, je montre mon équipe en train de crier, mais c’est rare. Je montre des types fatigués. Le travail fatigue quand il est dépeint sous des conditions de rentabilité, autrement n’importe quel travail peut être intéressant, mais quand vient se greffer la rentabilité... Alors, il faut être rentable, paraît-il, pour être dans la mondialisation, autrement c’est les autres qui ont les marchés. On en arrive à un point que les hommes sont pressés comme des citrons, et en plus, on veut les faire travailler jusqu’à soixante-dix ans.

K. - Quelles autres choses essayez-vous de faire passer dans vos tableaux ?

A.B. - Moi, c’était un témoignage : dire qu’il y a des milliers de types à qui on a supprimé le travail, dans l’industrie en France depuis trente-cinq ou quarante ans. Ça a commencé par la sidérurgie, le textile dans le Nord, les mineurs... des millions de gens se sont retrouvés à la rue, et ce sont des numéros. Ce que je voulais montrer en peignant, c’est que ces numéros avaient des visages, voilà. Et j’aurais aimé qu’on le voie de partout. Peut-être un jour.

K. - Vous disiez aussi tout à l’heure que vous utilisiez différents matériaux ?

A.B. - Oui, ben ça c’est d’abord parce que j’ai pas les moyens financiers d’acheter des toiles. Et puis, tout à l’heure, j’ai dit que j’avais pas beaucoup d’inventivité, de création. Y’en a qui disent que je joue les modestes, mais c’est vrai que quand vous rentrez sur la gauche, les quatre personnages que vous voyez, ils sont pas nés de ma tête, mais du support, c’était l’emballage d’un frigo d’un congélateur. Alors, en le découpant en quatre, il y avait quatre panneaux, j’ai dit « Tiens je vais faire quatre ouvriers, si on les met côte à côte, ils se relient tous les quatre ». Mais j’aurais pas fait ça si j’avais pas trouvé les quatre éléments. C’est souvent les éléments qui m’inspirent. Et tant mieux parce que c’est le support qui déclenche souvent des trucs.

Une fois, dans la rue, j’ai récupéré du papier marron, ça faisait penser à du papier de boucherie, et j’ai peint des visages là-dessus, et c’est le truc que j’ai le plus vendu. J’ai du en vendre entre trente et trente-cinq de ces trucs, et c’est rigolo parce que si je les avais pas trouvés dans la rue, j’aurais pas fait ces têtes de cette façon parce qu’elles sont allongées. Alors que, selon le format, elles sont un peu plus rondes. Alors, voilà, je m’inspire de ce que je trouve autour de moi. Et en plus, ça m’a fait faire des économies, parce que au rythme où je peins, faudrait que je vende régulièrement en même temps parce que je pourrais pas sinon.

K. - Combien de temps par jour passez-vous à peindre ?

A.B. - Il peut m’arriver de peindre sept à huit heures, des fois une heure ou deux, des fois peut-être plus. Ça dépend. Je suis arrivé à Marseille il y a douze ans, et j’ai découvert une ville formidable, et les premiers mois, je faisais que marcher, parce que j’aime beaucoup marcher, pour découvrir les rues, pour découvrir les gens. Je me suis régalé. J’avais un retour formidable parce qu’il y a des têtes... C’est pour ça que je dis que ma peinture est universelle, j’ai retrouvé des personnages que j’avais peints.

K. - Arrivez-vous à vivre de votre peinture ?

A.B. - Non, pas du tout. Des fois, j’ai des aides du Conseil Général. Une personne s’était intéressée un peu à moi, quelques mois, elle avait mis une association à mes côtés pour pouvoir organiser des expos, ça m’a beaucoup aidé. Mais bon, c’est sporadique, ça dépend d’une politique, moi j’aimerais qu’on dise « Tiens, y’a Alain qui fait un truc sur le monde ouvrier, on va l’aider vraiment ». J’avais même demandé le statut de peintre d’État, comme dans les pays de l’Est. Parce que, au même titre que les infirmières, je pensais avoir un rôle social, c’était un peu de la provocation, mais très peu, puisqu’il y a des peintres qui reçoivent de l’argent de l’État, qui vendent des tableaux, mais c’est surtout des tableaux. Et moi qui voulais vraiment être un peintre d’État, un peintre social, là aussi j’ai échoué. J’ai échoué dans pas mal de trucs, mais c’est pas grave.

K. - Vos proches sont-ils aussi interpellés par vos œuvres ?

A.B. - Dans ma famille, justement, c’était tellement puissant que ça a fait des dégâts par contre, parce que c’est pas amusant d’être avec quelqu’un qui, du matin au soir, a que ça dans la tête et y’a toujours des trucs qui traînent parce que je garde tout. Par exemple, je dois avoir plus de trois à quatre mille photos. Toutes les photos que je vois dans les revues, où je vois un personnage, quelque chose d’intéressant gestuellement, je découpe et je garde. Ça servira jamais, ces photos, y’en a peut-être 2 ou 3 % qui serviront, mais je garde quand même, je me dis un jour, peut-être, cette image va m’interpeller pour faire un tableau, alors je garde toutes les photos. Pour quelqu’un qui vit avec un type comme ça, qui est tellement pris là-dedans, c’est un peu déstabilisant, je reconnais...

K. - Cela vous a-t-il éloigné de votre famille ?

A.B. - Un peu oui. Mes deux filles ont un peu souffert de ça, et ma femme aussi donc... Mais c’est vrai, des fois je me dis « Si ça avait marché, elles auraient vu les choses autrement », mais là, elles voient toujours le côté négatif. Alors, je reconnais qu’au fil des années, ça pèse. Dommage, parce que je pense que ce que je fais c’est quand même unique, mais bon, si j’avais été encouragé par d’autres, par les institutions, peut-être que ça aurait différent. Maintenant, avec mes soixante ans, j’ai pris un peu de recul, je continue à peindre, mais je ne crois plus aux institutions, j’ai fait une croix. C’est terminé. Pendant douze ans, j’ai pas arrêté, je passais mon temps à peindre et taper à des portes, mais maintenant je suis fatigué.

K. - Et dans vos BD, qu’avez-vous fait ?

A.B. - Il faudra que je vous les montre... Dans ma dernière BD, je raconte l’histoire de l’amiante, l’histoire d’un type qui est mort dans l’amiante, parce que pour clôturer le tout, y’a eu l’histoire de l’amiante...

K. - Vous avez pu le montrer dans vos tableaux, ça ?

A.B. - Non. Je l’ai fait dans la BD, où j’explique bien. Il faut un texte pour expliquer, parce que l’amiante ça se voit pas obligatoirement, ça se voit pas du tout, c’est les poumons qui partent en... Bon c’est difficile à montrer.

K. - Avez-vous des anecdotes concernant la peinture ou votre travail ?

A.B. - Ben, avec la peinture, j’ai rencontré pas mal de gens qui ont aimé ce que je peins. J’exagère un peu en disant qu’il y a eu des retombées, parce qu’en vingt-cinq ans - en comptant même les tickets de métro, que j’arrive à vendre dans la rue ou dans les vernissages - en tout, j’ai vendu, avec les gros tableaux et tout, cent soixante pièces, c’est quand même pas mal. Van Gogh, il a rien vendu. Ma plus belle expo, ça a été Le Corbusier, où j’ai vendu vingt-six pièces le même soir. Dans la soirée, j’ai eu 4200 euros, oh, j’étais content.

K. - Une dernière question pour conclure : aimez-vous Marseille ?

A.B. - Oui. J’aime Marseille parce que je peins les gens, et à Marseille, je suis gavé, c’est le mot, gavé, j’en prends plein la gueule, hein. Là, j’étais dans mon atelier, j’ai dit, je vais prendre le métro pour venir, et puis je me suis tapé toute la Canebière et je me régale. De voir les têtes, de voir les petits, les gros, les moches, les beaux, les belles, parce qu’on me dit « Tu regardes surtout les filles », mais non, pas spécialement, je regarde tout, tout m’intéresse. La nature humaine, c’est un ravissement, de voir les gens... chaque personne a quelque chose d’unique et ça, c’est intéressant.

Propos recueillis par Lynda Ledolley - Photos : Jaime Rojas

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