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Les Trois Tours du Monde des danseuses marines - Au travail ! - Industries Marseillaises - La revue du témoignage urbain

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Industries Marseillaises

Les Trois Tours du Monde des danseuses marines

Confection de voiles

Depuis 1979, Philippe Alessandrini dirige avec son associé Hervé Cordesse la Voilerie Phocéenne, sise à l’anse du Pharo : « Le travail, dans une petite voilerie comme la mienne, c’est de balayer jusqu’à vendre une voile, la dessiner, la concevoir, la fabriquer, la terminer ; je fais tout, hein. » De la galère de l’entrepreneur au bonheur du créateur, ouvrages promis aux vents.


 

Différentes voiles qu’on fabrique, oh là là ! Alors là, c’est difficile parce que c’est vachement vaste. En gros, on fait que les bateaux, on fait pas de dériveurs ni de planches à voile. Nous on est spécialisés dans les croiseurs à partir de 7 mètres, pas plus petits. À partir de là, y’a beaucoup de styles de voiles. On peut faire des bateaux jusqu’à 25 mètres, on fait des vieux gréements, aussi, jusqu’à 25,30 mètres et des bateaux de croisière actuels jusqu’à 20 mètres. Après ça, on fait toutes les voiles qui vont dessus mais y’a rien de particulier : nous on fait du sur mesure, du custom, ce qui fait qu’on a un éventail énorme, enfin, plein de voiles différentes ; y’a pas de produit phare.

Bon, la particularité de mon travail, bien sûr, c’est la création des voiles : je les dessine sur papier millimétré ou sur ordinateur pour certaines et puis on les fabrique, moi je les coupe moi-même. Après, on les assemble, on les finit et c’est de A à Z, donc c’est pas un boulot où je fais une seule tâche, c’est vraiment hyper large. Après, c’est une petite entreprise, on est quatre, cinq, six au maximum, donc on est deux associés, on fait la partie comptabilité, les charges sociales, les salaires, les fiches de paie, on fait tout. Et on navigue aussi. On navigue beaucoup, oui, on fait des régates. On a un bateau qui appartient à la voilerie, qu’on loue aussi pour rentabiliser mais avec lequel on régate.

La partie la plus importante, au niveau temps, c’est la partie qu’on fait sur le plancher, la coupe, le montage, les finitions. Après c’est de vendre la voile, parce que c’est la base : si on a pas la commande, y’a rien derrière. Le plus important, c’est de trouver le client mais dans ce métier-là, c’est le client qui vous trouve. À notre échelle, parce qu’y’a des grandes voileries qui ont des budgets publicité énormes, qui eux vont chercher énormément le client. Tous ceux qui ont des revendeurs sur Marseille, ils ont des commerciaux qui eux rappellent le client sans arrêt, parce qu’eux, ils ont pas le temps de fabrication. Nous, on a beaucoup de temps de fabrication, donc on a moins de temps. Et les neuf dixièmes du boulot, c’est la fabrication, c’est du concret.

Il faut être hyper polyvalent, réparer les machines à coudre qui sont assez compliquées, c’est des machines un peu particulières. Faut savoir tout faire, oui, ça c’est la base : si je donnais un conseil à quelqu’un pour faire ça, c’est être hyper polyvalent, autrement, pas la peine.

Ah ! Oui, on coupe au ciseau, bien sûr. Des gros ciseaux pour des grosses voiles, petits ciseaux, petites voiles. Absolument, on est des couturiers, nous. Après, on a des presses qui font 25 tonnes pour sertir des œillets, donc on a des outils un peu particuliers, hein. Mais par contre, les machines à coudre n’ont rien à voir avec les machines de couturière, ça marche pas pareil.

Les matières, la base c’est du polyester, après y’a plusieurs variantes. Depuis quelques années, maintenant, y’a ce qu’on appelle les composites, des voiles avec plusieurs matériaux à l’intérieur. Y’a des aramides, du kevlar ou des carbones. Y’a des nouveaux matériaux dérivés du polyester, aussi. Le polyester, il se décline dans beaucoup plus de formes qu’avant où y’avait qu’une forme.

Compétences, à la base, il faut faire du bateau ; quelqu’un qui fait pas de bateau, c’est même pas la peine. Il faut déjà avoir des bonnes connaissances de bateau, savoir naviguer. Savoir ce que c’est un bateau, ça c’est la base. Faut évidemment aimer ça. Après ça, la formation, pour arriver plus loin, soit on a la chance de tomber sur quelqu’un qui vous donne le métier, qui vous le passe et ça se passe bien, soit il faut galérer comme nous, parce qu’on a eu que vraiment les bases. Et y’a pas de mystère : il faut énormément travailler pour arriver à progresser, à s’en sortir, parce que c’est un métier de confiance. Les clients qui viennent chez nous, ils viennent pas par hasard.

L’activité, sur Marseille, avant, c’était très saisonnier : l’hiver, on avait rien à faire et le printemps, on avait trop de travail. Maintenant, ça s’est vraiment nivelé. On a toujours une saison plus forte de février à juillet, 14 juillet, après y’a plus rien jusque début septembre et on ferme, maintenant. Après, début septembre jusqu’au fin octobre, début novembre, c’est activité assez soutenue mais sans trop. On a trois mois un peu creux, novembre, décembre et janvier, mais après ça repart.

La clientèle, maintenant, est assez éliminée de professionnels. On avait, à une époque, beaucoup de professionnels mais c’était pas bon du tout, donc maintenant, on va travailler à peu près 80 % du particulier. On a deux activités, ici : une activité voile et une activité gréements, on fabrique des mâts, des haubanages et des pièces inox. Mais au niveau voile, on est à 90 % de particuliers et 10 % de professionnels. En chiffre d’affaire, on fait à peu près la même chose. Par contre, le gréement, on fabrique pas les câbles, on fabrique pas les mâts non plus, donc on achète. On part d’un produit qui est déjà semi-fini, sur les mâts et même trois-quart fini, souvent. Parce que souvent, les mâts, on est revendeurs pour une marque, donc on reçoit les mâts tout prêts. Souvent, on reçoit des mâts avec une partie qui est montée, puis faut monter les accessoires dessus, les girouettes, les trucs comme ça. Puis on fabrique le gréement, par contre, on part du câble et on le fabrique complètement. On a une machine qui sertit les câbles. Alors qu’en voile, on est fabriquant de A à Z. On fait pas le même chiffre d’affaire.

La proximité c’est la base, c’est l’intérêt des voileries comme nous, d’ailleurs. Et de savoir exactement, comme nous faisons du sur mesure, deux voiles du même bateau ne sont pas les mêmes, y’a deux plans différents. Parce que une personne peut faire de la croisière, d’autres, un peu plus de régate, l’autre il navigue en équipage avec plus de monde, l’autre il navigue seul. Donc chaque bateau a une voile différente. C’est l’intérêt de nous par rapport à d’autres voileries qui font de la série, parce que nous on fait vraiment l’utilisation et donc, la discussion avec le client c’est primordial pour savoir ce qu’on va lui faire.

Les clients viennent par les voiles qu’ils voient parce qu’on a pas mal de voiles qui naviguent, donc ils les voient dans les ports, ils les croisent en mer. Puis souvent, les gens parlent sur les pannes, dans les ports : "Chez qui tu vas ? - Moi, je vais chez Untel", c’est comme ça qu’on augmente notre clientèle. C’est de bouche à oreille. Ils viennent par une notoriété, parce que c’est des produits qui sont assez chers, donc on fait pas faire un truc comme ça au premier venu sans savoir. Donc, faut acquérir une notoriété et que les gens aient confiance. C’est comme ça que vous commencez à avoir une clientèle qui vient et ça, ça se fait pas du jour au lendemain, c’est très long. Nous, on a mis quinze ans avant d’arriver à avoir un début de clientèle fidèle qui nous faisait confiance parce que au début, c’est très dur. Au début, on se paie pas d’ailleurs, on avait même pas de salaire. Donc, il faut vraiment s’accrocher. C’est un métier très difficile parce que vous pouvez pas arriver et dire : « Je suis voilier, je sais faire des voiles. » Si vous dites ça, personne vous achète de voiles. Y’a plein de confrères qui sont là pendant deux, trois ans et qui ferment. Ah ! Nous, on a failli fermer plusieurs fois. Parce qu’on avait plus financièrement les moyens de continuer. Y’avait pas assez de clients, trop de frais, trop de charges et puis vous fermez, c’est terminé.

Alors, des voileries à Marseille, maintenant, y’a voilerie et puis y’a revendeur de voiles : c’est pas la même chose parce qu’en fait, c’est des revendeurs de voiles fabriquées ailleurs. En fabricants de voiles, y’en a que trois, maintenant : la voilerie Solatges derrière le théâtre de la Criée et la voilerie Sun Side à la Pointe rouge qui fabriquent sur place. Ils ont leurs propres marques, indépendants et tout. Après, y’a trois, quatre revendeurs mais eux, ce sont des commerciaux : ils ont un petit atelier pour faire des petites réparations mais ils ne fabriquent pas, ils revendent une marque.

La voilerie existe depuis 1972 mais c’est notre prédécesseur, Monsieur Ramel, qui l’avait créée avec Monsieur Mezza. La voilerie Mezza était la plus vieille voilerie de Marseille et, pour s’agrandir, avait créé cette voilerie qui était une société d’exploitation des voileries Mezza. Donc cette voilerie s’est créée avec ces deux personnes mais de caractères assez forts et au bout de six mois, c’était terminé. Et la deuxième personne a créé la Voilerie Phocéenne, début 73. À partir de ce moment-là, il a été tout seul ; cette personne un peu âgée, qui avait pris sa retraite, qui travaillait dans un autre secteur, voulait faire ça un peu pour s’amuser parce qu’il était passionné de bateau. En 79, il avait 60 ans et voulait s’arrêter de travailler et a cherché à vendre. Mon associé et moi cherchions à faire quelque chose dans le nautisme et mon associé le connaissait, donc on nous a mis en relation et nous avons acquis la voilerie en 79.

J’ai fait une licence de sciences éco et j’étais moniteur de voile pendant quelques années à la Ciotat, d’où ma passion de la voile. Et après la fac, j’ai fait pendant trois ans des rallyes professionnellement, j’étais pilote d’usine pour Citroën, pour Toyota, pour des marques… Et grâce un peu aux sous que j’ai gagnés, j’ai pu acheter cette voilerie.

Je suis arrivé, je savais faire du bateau, bien sûr, mais absolument pas fabriquer une voile. C’est la personne qui nous a vendu qui nous a appris le métier - les débuts du métier, parce qu’il s’est très vite arrêté : il est resté à peu près six mois avec nous, parce qu’il avait vraiment un caractère impossible (rire) !... Il nous a appris les bases et après ça, on a vraiment galéré, vraiment travaillé pour y arriver parce qu’y’a personne qui vous apprend le métier. C’est pas un métier avec une école, y’a aucune formation : ça s’apprend sur le tas, par le travail, par les échecs, par l’expérience parce que c’est assez particulier, comme boulot. Des fabricants comme moi, y’en a pratiquement plus en France.

On voulait faire un métier dans la mer, ou qui ait un petit rapport avec la mer. On a failli faire un truc d’accastillage, mais ça nous passionnait pas. On avait plutôt envie de créer, de produire, revendre ça nous intéressait pas beaucoup. Et donc, ça s’est présenté comme ça et je suis très content de l’avoir fait. On crée, on est des créateurs, nous.

Le métier a changé, un peu quand même mais, pas dans des proportions révolutionnaires. On a changé d’outils depuis l’époque, c’est certain. Avant, pour faire des spinnakers, des spis, c’est des grosses voiles de couleur, on les coupait ici à la main, parce qu’y’avait pas de machines. Maintenant y’a des machines qui coupent ça automatiquement. Là où je mettais trois jours à couper un spi, y’a une heure et demie de machine. Donc, maintenant, je le fais plus moi ici. Je fais le plan sur ordinateur, j’envoie, y’a une machine qui coupe ça et je reçois tout près. Là, oui, ç’a évolué. De nouvelles machines sont sorties, plus performantes, plus fiables. Les matériaux ont évolué, aussi, les formes des voiles aussi. Parce que les carènes des bateaux, les gréements, tout ce qu’y’a autour, les mâts et tout ont évolué. Donc oui, dans ce sens là ç’a évolué mais la base, c’est toujours la même, c’est toujours une voile.

Les techniques de coupe, actuellement, on est en train de passer à de nouvelles phases. On va plus avoir des voiles par panneaux, on passe à des voiles qu’on appelle des voiles membrane qui sont des monolithiques. Toute la voile est d’une seule partie et après, il faut faire les renforts, les périphériques. Les panneaux c’est les morceaux de la voile parce que nous, on part d’un rouleau de tissu qui fait 91,40 ou 140 sur 137 et y’a plusieurs panneaux. C’est des panneaux qu’on coupait et tout, qu’on coud - on coud toujours d’ailleurs - les trois-quart c’est encore ça. Ça, on passe dans les voiles de course, alors ça débouchera sûrement après sur des voiles de croisière, un jour ou l’autre, qui seront aussi en membranes. Mais pour l’instant c’est un peu trop fragile, c’est pas encore adapté à la croisière.

Avec nos confrères, on échange des méthodes de fabrication, des trucs comme ça, oui. Bon, maintenant, chacun a sa vision des profils de voile et effectivement, chacun a son truc et personne n’en parle, c’est assez personnel. Attention, faut pas croire qu’y’a des écarts énormes, c’est des millimètres, parce que y’a une base quand même, mais c’est vrai que chacun a un peu une vision des voiles différente. Par contre au niveau des méthodes de fabrication, y’en a un qui a un bon truc, il le dit à l’autre, évidemment.

Désagréments, c’est le temps qu’on passe. C’est entre cinquante et soixante heures hebdomadaires, les week-ends parce qu’il faut aller naviguer, voir avec un client, un truc. C’est abominable mais, on peut pas faire un boulot comme ça sans passer du temps. On peut pas le faire à moitié, trente-cinq heures, c’est impossible. Ça, les métiers de passion, on peut pas faire comme ça, parce que ça marche pas. Il faut vraiment s’investir à fond, en temps.

Ce que j’aime le plus ? Ah ! C’est voir mes voiles quand je navigue, que je suis en mer, et je vois qu’elles sont belles et que le bateau marche bien, voilà, ça, c’est mon bonheur (rire). C’est la récompense, ou que les gens m’appellent en me disant qu’ils sont super contents de mes voiles, ça c’est vachement agréable, quand même. Quand je sais que mes voiles, elles ont fait trois fois le tour du monde et qu’elles reviennent et que je les vois et qu’elles sont encore navigables, je suis content. Parce que le mec qui m’avait commandé ça, c’était sûrement pour avoir des voiles fiables et donc le résultat a été atteint, ça fait plaisir.

Ah ! Oui, je navigue, bien sûr, le plus que je peux. C’est pas beaucoup, c’est pas assez pour moi mais bon, c’est comme ça, on peut pas tout faire.

Ah ! Ben moi je suis né à Marseille, je suis un Marseillais de souche. Donc, je suis marseillais dans l’âme et c’est sûr que j’ai un lien. On a une chance énorme. D’ailleurs, une grosse partie de la décision pour reprendre ici, c’est l’emplacement qui est fabuleux parce que là, on a 1200 m² dessous, c’est même plus grand qu’ici, on a un local immense pour les mâts, on a même une menuiserie. On est dans le centre ville, on peut se garer quand même, c’est magique, on descend à pied au port. C’est extraordinaire. C’est un coin unique à Marseille.

Propos recueillis par Anne Foti le 11/10/07 ; rédaction : Odile Fourmillier ; image : Anne Muratore.

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