koinai.net

La revue du témoignage urbain

koinai.net

La revue du témoignage urbain

Industries Marseillaises

Les Accores du Port

Perspectives portuaires : emploi, sens pratique et fierté marine

Depuis 2002, Frédéric Blot, 35 ans, est chef d’équipe accoreur sur le Port Autonome de Marseille et dirige les différentes étapes d’entrée et de sortie d’un navire en forme, le chantier d’attinage et les opérations d’échouage et de calage : « Dans ce métier, ce qui est bien, c’est la diversité des tâches. C’est tellement singulier qu’il faut le vivre pour savoir vraiment. C’est beaucoup plus varié que ce à quoi je m’attendais, et même plus intéressant que la simple idée qu’on peut s’en faire. » Artisanat portuaire.


Un esprit pratique
 Un esprit pratique

Les formes 1 et 2 ont été construites sous Napoléon III. Le terme d’accoreur n’existait pas mais en tout cas, on échouait déjà les bateaux et si je ne m’abuse, les Égyptiens avaient déjà des techniques pour échouer leurs bateaux.

K : En quoi consiste le travail d’accoreur ?
Notre travail, la finalité, c’est d’échouer les bateaux : quand on les met en cale sèche, quand on les pose. Y’a différentes étapes pour les bateaux de type yacht, dans les petites formes. La quille repose sur une ligne axiale de tins. Le tin, ce sont des gros blocs de bétons avec une couche de bois très dur qui s’appelle l’azobée et par dessus, on met une couche de peuplier qui est du bois tendre qui va se déformer pour épouser le bateau, pour ne pas l’abîmer. Donc, y’a une ligne sur l’axe de bassin de radoub dans lequel va rentrer le bateau, on va pomper l’eau et la quille va se poser sur la ligne axiale. On a différentes passerelles et on va mettre des bois pour tenir le bateau en équilibre, en fait, il va se poser et on va le maintenir en équilibre avec des accores _d’où le nom du métier _, des épontilles qu’on appelle généralement bois _on pourrait comparer ça à des grands poteaux téléphoniques_, qu’on va placer et caler. On leur donne du champ, ils ont une certaine inclinaison. Avant ça évidemment il y a une étude du bateau pour savoir le nombre de bois que nous allons mettre, à quel endroit on va les mettre. Ensuite, on reçoit les plans du bateau pour ça. Bon, y’a des bateaux qu’on connait très bien donc on sait directement où on va les mettre, on prépare les bois, l’emplacement, dès que le bateau touche, on le cale. Ensuite, quand la réparation est finie, on s’occupe de remettre le bateau à flot et d’ouvrir les portes. Ça c’est la première phase pour l’échouage des bateaux, l’échouage le plus simple.

K : Intervenez-vous dans les réparations ?
La réparation, nous n’intervenons pas à proprement dire sauf en ce qui concerne le grutage. Nous sommes accoreurs et grutiers, donc nous faisons tout le grutage de la réparation navale. On attache pas les charges, sauf quand c’est pour nous, pour préparer un chantier, parce qu’y’a des bateaux plus complexes où il faut faire des chantiers. c’est pareil, on reçoit les plans du bateau, on place des tins qui sont amovibles à ce moment-là, toujours constitués de la même façon : béton, azobé, peuplier. Nous avons des côtes, nous les reportons, nous traçons au sol par rapport à des plans, un peu comme des géomètres, on a certains appareils lasers aussi. Et à ce moment-là, il n’y a pas de bois et le bateau va poser sur ses tins qui sont placés latéralement par rapport à son axe et qui vont le maintenir en équilibre. ça, on peut le faire pour des yachts et pour les grands bateaux que nous pouvons échouer dans les formes 8 et 9, ou 10 quand elle est en fonction, ce n’est que du chantier d’attinage : chantier de différents tins placés selon les plans du bateau, qui ne pose que sur les tins, il n’y a pas de bois sur les côtés.

K : Quelle est la partie la plus importante de votre travail ?
C’est la préparation des chantiers, parce que ça peut prendre un certain temps. Ensuite c’est les échouages, selon les périodes : c’est un peu un travail saisonnier en ce qui concerne les yachts, le nautisme, puisque l’été ils sont sur les flots et y’a beaucoup de rentrées, de sorties, puisqu’on a quand même formes 3, 4, 5, 6 et 1 ou 2 pour les petits bateaux et les yachts. Ensuite, y’a la forme 8 et 9, donc là ça, c’est toute l’année, c’est principalement la préparation des chantiers. Les petites formes, c’est principalement les échouages. Ben vu que les formes sont amodiées maintenant, c’est-à-dire qu’elles sont louées à des réparateurs et bon, y’a certains bateaux qui ne peuvent entrer qu’en forme 8 et 9, du fait de leurs tailles, ensuite, entre la forme 1 qui peut accepter certains bateaux qui peuvent aller aussi en formes 8 et 9, là c’est entre eux, c’est des batailles commerciales.

K : Quelles sont les compétences requises ?
Il faut pas avoir peur du travail, de se salir les mains, c’est ça le principal. Ensuite il faut savoir manipuler une scie. C’est quelque chose de très pratique, de très manuel. On fait des coupes, du travail à la scie, de la manutention à la grue. Il faut savoir compter, calculer, faut l’esprit d’équipe : c’est très important parce que là, on compte beaucoup sur les autres. Faut savoir forcer pour pas se faire mal puisqu’on a quand même à manipuler des choses assez lourdes, et beaucoup de logique. Après faut savoir manipuler une masse puisque quand on cale les bois c’est à la masse, faut savoir clouer. Il faut avoir un esprit pratique, c’est la principale qualité.

K : Avez-vous toujours exercé cette activité ?
Vous voulez connaître mon parcours (rire) ? J’ai une licence de biologie, un DEUG de droit, un diplôme de visiteur médical. J’ai travaillé comme employé dans une station service. comme huissier _c’est un terme pompeux_, huissier chasseur au quotidien La Provence, c’est-à-dire je recevais les fax et je les dispatchais aux jounalistes en fonction de leurs contenus. J’ai été motard de presse, toujours à la Provence. visiteur médical, plus divers petits métiers. J’ai essayé de créer une petite entreprise et je suis entré au port en tant qu’accoreur.

K : Pourquoi le choix de ce métier ?
Je voulais retrouver un métier un peu plus pratique, en fait, où on voyait réellement ce qu’on faisait, plus, je cherchais un travail d’équipe. Plus, j’étais très attiré par le Port Autonome pour les perspectives d’emploi vu qu’on travaille au port longtemps, y’avait de multiples choix qui pouvaient se proposer. J’ai plusieurs personnes de ma famille qui travaillent ici, qui ont su qu’y’avait un concours, qui se sont renseignées, qui m’ont expliqué un peu le métier, donc ça m’a intéressé. Voilà pourquoi je suis rentré, pourquoi j’ai postulé du moins. Le concours c’est un établissement public, c’était d’un niveau troisième à l’époque donc dictée, calcul, tests psycho-techniques, tests de hauteur pour les grues parce qu’on monte à des grues de 70 mètres de hauteur, et entretien.

K : Comment avez-vous appris le travail ?
Ça s’apprend sur le tas, y’a pas d’école d’accoreur. Ça se fait par compagnonnage, on pourrait dire.

K : Quels sont vos outils de travail ?
Les formes de radoub, c’est la première chose. Elles sont fermées par des bateaux portes, des grandes portes en acier ou en béton comme pour la forme 10. Ils flottent en temps normal et on les fait couler à l’entrée de la porte. Y’a des joints sur le bord et quand les pompes aspirent l’eau de la forme, la force de la mer les fait se plaquer. Ça fait partie de l’apprentissage, savoir manipuler les bateaux portes, c’est du matelotage. On le fait avec des cabestans, des poulies, des palans. Pour les petites formes, une fois que la forme est vide, les bateaux se vident d’eux-mêmes dans la forme, on a des systèmes de caisson qu’on règle. Quand on remet l’eau, une fois que l’eau est au même niveau que la mer, le bateau porte reflotte et on peut ouvrir la porte. Pour la forme 8 et 9, c’est exactement le même principe sauf qu’on a des compresseurs pour chasser l’eau, pour qu’il puisse flotter. Et le bateau porte 10 qui est en béton, c’est le même principe que la forme 2. Ensuite, on a du matériel de menuiserie, deux chariots élévateurs, différentes grues mobiles, automobiles : deux qui peuvent lever jusqu’à 20 tonnes, ce sont les plus petites en petites formes, de 1 à 6, une grue automobile sur rails plus grosse en forme 8 et 9, qui lève jusqu’à 40 tonnes, la Titan qui lève jusqu’à 50 tonnes en forme 8, 9 et 10, et trois grues à tour type grues de chantier, dont la plus haute est à 70 mètres sous cabine et lève jusqu’à 20 tonnes. Et la grue Kayard en forme 10 qui lève jusqu’à 150 tonnes, une grue sur rails aussi. On sait manipuler et on a les "Cases", des sortes de permis pour conduire les chariots élévateurs et les différents types de grues. Ça c’est pour la partie accoreur, puisque le service est divisé entre mainteneurs et accoreurs ; ensuite, la maintenance s’occupe de l’entretien de tous ces engins plus tout ce qui est machinerie de pompe quand on fait un échouage : les cuves, le pont, au niveau des bassins de radoub. Là, il est question de recevoir de nouveaux engins mais toujours du même type. Chaque fois qu’on a une nouvelle chose, on se forme dessus.

K : Y a-t-il des consignes vestimentaires ?
Oui : le bleu, casque ou casquette coquée sur les quais et dans les formes le casque obligatoire. Chaussures de sécurité, gants, pour la tenue des E.P.I., Equipements de protection individuelle.

K : À quelle période avez-vous le plus d’activité ?
On en a toujours parce que de toute façon, quand nous n’avons pas de bateaux, quand y’a une période plus creuse, ça nous permet de préparer, de réparer le matériel, d’entretenir. Quand y’a des coups de bourre, après, il faut ranger tout ce qui a été démonté ou remonter, donc on peut pas dire qu’on ait de période vraiment creuse. Et puis ça reste très aléatoire, on a eu des étés où censément les yachts viennent moins et y’a eu beaucoup de yachts qui sont venus. Du fait de la mondialisation, les entreprises maintenant essayent de rentrer autre chose que leur activité principale, c’est-à-dire des navires d’autres horizons : des petits gaziers ou des citernes qui alimentent les bateaux, enfin, des bateaux de commerce qu’on échoue en petites formes. Des dragues, des engins flottants… donc en fait l’activité s’étale beaucoup plus.

K : Combien y a-t-il d’accoreurs sur le port ?
Actuellement, pour l’accorage seul, y’a quarante-six accoreurs divisés en deux équipes puisque nous travaillons en quarts : un shift le matin, un shift l’après-midi, plus on peut être appelé à travailler la nuit ou les week-ends.Trois chefs d’équipe par équipe et deux contremaîtres, un par équipe, à chaque atelier. Pour le service réparation navale du port autonome, on est environ quatre-vingt.

K : Avec qui avez-vous des contacts professionnels ?
D’autres services ? _En fait pas grand monde. Alors, y’a un autre service de la réparation navale, le branchement navire. il y en a plus généralement sur le port et nous, on en a une unité. eux s’occupent de tout ce qui est branchement douce, électricité et téléphone des navires qui sont à quai. dès qu’on échoue, qu’on doit mettre un bateau en eau, ils viennent brancher ou débrancher. Les mainteneurs, électriciens, mécaniciens, ont plus de rapport avec d’autres services du port. Par exemple, les électriciens ont des rapports avec le service réseau général d’électricité mais nous, en temps qu’accoreurs, on a pas beaucoup… un peu avec l’ECM (ndlr : service d’Exploitation Commerciale de Marseille), ceux qui s’occupent de décharger les bateaux, les containers, pour le silo à sucre, tout ce qui est grues uniquement de commerce et ils ont aussi des engins flottants que nous échouons. Ce sont eux qui géraient le ponton Atlas, une grue flottante donc, quand on doit les échouer, les réparer, on a des rapports avec eux. Il arrive aussi quand nous manquons de grues ou selon les palanquées qu’il y a à faire, que ce soit des grutiers de l’ECM qui viennent travailler à la réparation navale. Donc l’ECM c’est la partie de quai pour Marseille. Par contre nous faisons partie de la même direction, la DOT, Direction des Opérations et des Terminaux.

K : Quelles qualités avez-vous développées ?
Oh là ! difficile à dire, hein, j’ai pas l’impression d’avoir changé… Je pense plutôt que ça m’a permis de mettre en application mes qualités, même si le terme est pas trop approprié mais, surtout quand on est bien dans un environnement et dans un métier, après vos qualités s’expriment. Ce qui me plaît, c’est que ce soit toujours différent, un échouage n’est jamais le même, même si c’est le même bateau, y’a toujours des aléas, donc il faut toujours être vigilant et toujours réagir vite devant différentes situations. Il faut souvent qu’on adapte parce que c’est quand même artisanal comme métier. Donc, c’est une des qualités qu’il faut, réactivité et force d’anticipation, quoi. Beaucoup d’adaptabilité aussi.

K : Et quels sont les désagréments du travail ?
C’est pas ce que j’aime le moins, c’est… on a quand même des conditions de travail difficiles, certainement parmi les plus difficiles du port. Déjà, on travaille dehors qu’il fasse chaud, froid. Pendant la grande canicule par exemple, on était dans les formes, c’était des fournaises. Et puis si un bateau arrive, même s’il y a une pluie battante et de la grêle, il faut qu’on l’échoue. Donc, les conditions climatiques sont pas toujours agréables. Heureusement, on est sur Marseille, donc on a aussi des bons moments. Y’a aussi des avantages à être dehors. Après, des fois, y’a des chantiers qui sont très pénibles, en plus des intempéries, parce qu’il y a de la boue dans la forme, parce qu’y’a des charges à monter, parce que l’accès est difficile. Il nous arrive de travailler alors qu’y’a déjà un bateau donc, ce serait ça les inconvénients.

K : Comment voyez-vous l’avenir du métier ?
C’est difficile de faire évoluer le métier au niveau technique, donc parce que ça fait partie des métiers vraiment artisanaux donc, c’est très difficile de voir une évolution. On va certainement avoir du nouveau matériel, les bateaux mêmes peuvent changer puisqu’ils vont évoluer dans ce sens. Les formes des bateaux évoluent donc, y’avait certaines formes, certains chantiers qui étaient prévus. Par exemple, ce qu’on appelait des chantiers initiaux sur les formes 8 et 9, c’était des chantiers un peu standards, beaucoup de bateaux pouvaient se poser. C’est plus très vrai, c’est-à-dire que pratiquement chaque bateau est différent maintenant et il faut refaire un chantier pratiquement chaque fois. Donc voilà, y’a des évolutions dans ce sens. Peut-être que ça reviendra, que les bateaux seront plus similaires et qu’y’aura besoin d’autres chantiers. Après, au niveau technique, oui, des évolutions y’en aura mais lesquelles, je pense pas que ça va changer radicalement.

K : Aura-t-on besoin de davantage d’accoreurs ?
Ça, ça dépend de l’activité, ça dépend de la forme 10 par exemple et puis ça dépend de Monsieur Sarkozy peut être… Des accoreurs il en faudra toujours, maintenant plus d’accoreurs, ça, ça dépendra de l’activité.

K : Avez-vous des échanges avec d’autres ports ?
On a des échanges, donc le système d’échouage est principalement le même dans tous les pays. Je sais qu’à Gênes et à Barcelone, il y a des formes de radoub et le principe est toujours le même. Après, y’a un autre système qui va bientôt être prêt à La Ciotat, c’est un système d’élévateurs uniquement tourné vers la haute plaisance qui va sortir les bateaux de l’eau avec un espèce de gros portique, pour les mettre à terre directement sur quai. Là, les avantages et les inconvénients par rapport à une forme de cale sèche, on ne connaît pas exactement. En plus, y’a beaucoup de choses qui se voient par la pratique. Par contre ils sont limités, eux, en en taille et poids donc, ils vont recevoir des bateaux plus gros que ce qu’ils peuvent.

K : Si c’était à refaire ?
Est-ce que je souhaiterais exercer une autre profession ? Oui, moi, je suis ouvert à tout métier et je ne dis pas que dans quinze-vingt ans, je serai encore accoreur ou peut-être même au Port . Maintenant, je ne regrette en rien, je suis très bien et je n’ai pas vu les cinq années passer.

K : Rêvez-vous parfois d’embarquer ?
Non, ça ne m’attire pas du tout. Je vais même aller plus loin, même les gros yachts, ça me fait pas du tout rêver.

K : Qu’est-ce qui vous lie à Marseille, au port ?
J’aime Marseille et le côté mer, même si avant je n’y travaillais pas et si je ne suis pas un marin ne serait-ce qu’amateur, j’ai du mal à m’éloigner de la mer. J’ai toujours eu tendance à vouloir travailler pour la mer, que la mer me fasse vivre. Je ne savais pas exactement sous quelle forme, que ce soit directement ou indirectement et je suis très fier, enfin, c’est quelque chose qui me…

Propos recueillis par Anne Foti le 5/10/07 ; rédaction : Odile Fourmillier ; image : Patrick Chiappe.

Creative Commons License La revue du témoignage urbain (http://www.koinai.net), développé par Résurgences, est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons : Paternité-Pas d’Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France.
La revue Koinai : qui et pourquoi ?   |   Koinai ?   |   Mentions légales   |   Appel à contribution Plan du site
Site propulsé par l'Atelier du code et du data, chantier d'insertion numérique