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Canal 12 - Au travail ! - Industries Marseillaises - La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

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Industries Marseillaises

Canal 12

Vigie à la manœuvre

Ancienne radio de la marine marchande, Laure Parvulescu, 44 ans, a choisi de travailler à terre, et saisi l’opportunité de devenir contrôleuse de la circulation maritime à la capitainerie du Vieux-Port de Marseille : depuis dix ans, elle assiste l’officier de port et régule les mouvements des navires. Contact maritime, de la navigation à l’orchestration.


Canal 12
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Koinai : En quoi consiste votre travail ?
On fait le contact avec les navires, donc les bateaux nous appellent, il faut leur indiquer la voie et on fait en sorte que tout se passe bien pour les entrées et sorties de bateaux, qu’y ait pas de collision, qu’ils sachent où aller, coordonner avec le pilotage, le remorqueur, les bateliers qui les accostent. On leur donne la météo, leur poste à quai et on s’occupe aussi de beaucoup d’agents, des intervenants qui travaillent aussi dessus, qui nous appellent pour savoir où sont leurs bateaux, quand est-ce qu’ils repartent, comment ça se passe.

K : Quand ils appellent, sont-ils surpris d’entendre une voix féminine ?
Non, pas spécialement, non… parce que y’a beaucoup de femmes qui naviguent, des sémaphores…

K : Pouvez-vous décrire une journée de travail type ?
Bè, le matin, c’est la relève et toute la journée, du matin à l’après-midi, on a des entrées, des sorties, des mouvements. On peut pas dire qu’on fait toute la journée la même chose : en permanence des bateaux nous appellent, on y répond, on le commente en informatique, après quand il arrive à la passe on le surveille, on le note sur la feuille. On les suit à la caméra, aussi.

K : Vous vous occupez des placements à quai ?
On lui dit son poste à quai mais pour bien le placer le long du quai, c’est l’officier de port, celui qui est sur le terrain. Après, on peut aider des petits bateaux qui viennent en réparation ou des pêcheurs qui connaissent pas trop le port, ça nous est arrivé de les guider, on les voit au radar, à la caméra : "Là vous tournez à droite", mais la plupart des bateaux, ils ont un pilote à bord et il pilote parfaitement.

K : Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?
En fait, c’est pas vraiment un métier que j’ai choisi ; je savais même pas que ça existait quand je naviguais, je l’ai su par hasard. Mais c’est pas une carrière, c’est pas un métier qu’on choisit en sortant de l’école. Y’a pas de formation du tout, on est formé sur le tas en arrivant. C’est toujours une reconversion, en fait, pratiquement tous ceux qui sont à la vigie, personne ne fait ce métier en première… Bon, déjà faut naviguer avant, on fait autre chose : là, y’en a qui viennent de la marine marchande et d’autres de la marine nationale. Ceux qui viennent de la marine marchande sont tous officiers radio et ceux qui viennent de la marine nationale je sais pas exactement, je crois qu’ils sont détecteurs radar ou ils travaillent dans les sémaphores.

K : Quelle formation avez-vous suivie ?
L’Ecole de la Marine Marchande, donc après le bac on a deux années
d’étude suivies d’une année de stage, formation de radio électronicien.

K : Quelles sont les aptitudes ou compétences requises ?
Je saurais pas vous dire… Oui, il faut savoir parler l’anglais, connaître le milieu maritime, c’est sûr, et il faut savoir travailler en équipe parce qu’on travaille à plusieurs. Il faut savoir se débrouiller, avoir certaines initiatives, gérer les risques certains de la situation, quoi.

K : Justement, quelles sont les contraintes du métier ?
Y’a les contraintes horaires parce qu’on travaille par quart, des équipes. On fait douze heures de jour, après on a vingt-quatre heures de repos, après on travaille douze heures de nuit et on a trois jours de repos, donc on est pas mal décalés. Il faut savoir, on reste douze heures dans la même pièce donc on a vue sur la mer mais de pas sortir, d’être là… La journée ça va, parce qu’on est pas mal occupé mais douze heures de nuit, c’est long. C’est vrai qu’au bout d’un certain temps, c’est fatigant, les nuits, mais bon, comme les heures sont regroupées, ça a l’avantage qu’on a des jours de repos.

K : Que préférez-vous, dans votre fonction ?
C’est de garder un contact avec la mer, parce que moi j’ai arrêté de naviguer mais bon, je reste quand même avec la mer… Maintenant je navigue pendant mes vacances, mes temps de repos, c’est pas pareil. Oui, je fais de la voile, de l’aviron, je vais me promener… Les horaires aussi c’est bien, ça permet d’avoir du temps libre.

K : Quelle est l’intensité du trafic quotidien ?
C’est variable : on a entre quinze et vingt entrées par jour, à peu près. Ça c’est les entrées et sorties des bateaux en escale qui sont enregistrés, qui ont un numéro d’entrée et après y’a des mouvements : des bateaux qui bougent en interne, des avitailleurs qui rentrent et qui sortent aussi, tous les bateaux de servitudes que ce soit les marins-pompiers, ceux qui travaillent et tout ça, ils sont pas comptabilisés.

K : Et par temps de mistral, par mauvais temps ?
Ah ! Quand y’a du mistral, c’est plus intense. On a plus de travail parce qu’il y a des bateaux en retard, y’a des problèmes, les manœuvres sont plus longues, ils demandent des remorqueurs et y’a plus que deux remorqueurs au port, donc il faut les gérer, faire en sorte que tout se passe bien.

K : Des impératifs économiques entrent en jeu ?
Oui, les porte-conteneurs font des escales très courtes puis en plus, en général ils ont commandé les équipes de dockers, les dockers attendent sur les quais, donc il faut pas faire attendre les porte-conteneurs. Souvent aussi les postes à quai sont prévus, y’a un autre bateau qui attend derrière, donc il faut vraiment… Y’a des bateaux qui ont tout le temps, par exemple les bateaux sucre, en général, restent en escale plusieurs jours et ont plus de temps pour décharger, c’est pas le même impératif que les conteneurs ou les bateaux à passagers, qui ont un horaire à respecter.

K : Et pour les chargements et déchargements…
Non, on s’occupe pas du tout de ce qui est chargement, déchargement, nous on s’occupe des accostages. Bon, on sait que les dockers sont là, qu’ils attendent, mais ça, c’est pas notre boulot : ici, on fait en sorte que les bateaux fassent les manœuvres dans les temps impartis. Quelquefois l’agent nous appelle en nous demandant où est notre bateau, ou il voudrait que le bateau parte un peu plus tôt parce qu’il a fini, qu’il est prêt, et bon, là on s’arrange pour que le bateau puisse partir, mais c’est pas l’impératif ; nous, il faut que la manœuvre se passe comme il faut, en sécurité.

K : À quelle période se situent les pics d’activité ?
Les pics d’activité ? Il y en a toute l’année. C’est vrai qu’en été, de mi-juin à mi-septembre, on a plus de rotations de ferries avec la Corse ou le Maghreb, plus les vacances scolaires aussi mais, y’en a quand même toute l’année.

K : Vous travaillez en équipe, qui sont vos collaborateurs ?
Oui, voilà, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, on est quatre à la vigie : y’a le chef de quart qui supervise tout, le radio qui contrôle la circulation maritime, qui s’occupe essentiellement des communications avec les navires, y’a un pontier qui manœuvre les ponts, parce que y’a des ponts qui s’ouvrent pour que les bateaux puissent passer, et y’a un officier d’intervention qui supervise sur le quai, un officier de port qui lui, tourne sur les quais et surveille les accostages de bateaux, rend compte de ce qui se passe sur le terrain où si y’a un problème, un accident, on va voir tout de suite ce qui se passe.

K : Comment communiquez-vous ?
Par téléphone, avec les pilotes, les bateliers, les avals. Y’a aussi beaucoup de gens qui nous appellent pour savoir où sont leur bateaux. Et toutes les communications avec les bateaux, ça se fait en VHF, toujours sur le canal 12. On garde une oreille aussi sur le canal 16 qui est le canal de secours, une assistance. Normalement, c’est pas vraiment… mais, on écoute toujours ce qui se passe dans toute la zone parce que bon, on fait partie en même temps que les marins-pompiers, y’a des sémaphores, y’a des C.R.O.S.S. (ndlr : Centres Régionaux Opérationnels de Surveillance et de Sauvetage) mais si jamais y’a un problème, un accident dans le secteur, on peut toujours appeler. Plus y’a de gens qui veillent, mieux c’est, quoi.

K : Avez-vous une tenue réglementaire ?
Non. Les officiers de port, oui, mais nous, non.

K : Le contrôleur est-il seul face à la prise de décision, la gestion du risque ?
Non, pas spécialement… On travaille aussi avec le chef de quart, on est toujours deux à voir, si y’a vraiment une décision à prendre, on en discute. Non, y’a pas de solitude spécialement.

K : Votre plus grande peur ou stress au cours de votre activité ?
J’ai jamais eu vraiment de grosse peur. Bon, y’a déjà eu des accidents, j’en ai entendu parlé, j’étais pas là ce jour-là. On a toujours peur de la collision, quoi, voire le bateau qui soit pas manœuvrable ou c’est déjà arrivé que les bateaux larguent les amarres et partent au milieu du port, mais pour l’instant ç’a toujours été géré. Le plus gros problème c’est la collision d’un ferry et quand les ferries arrivent par la pointe, par le sud, ils ont gardé une certaine vitesse, surtout quand y’a du vent pour pouvoir tourner, parce que là, ils prennent le virage, donc si le bateau a un problème d’avarie, ça peut causer un accident mais du coup on est pas spécialement responsables, c’est le bateau lui-même. Ce qui peut y’avoir, c’est d’oublier de signaler un avitailleur qui est chargé d’essence à un bateau, qu’y ait une collision mais bon, jusqu’ici on est là pour ça, on y pense, quoi. On gère, on anticipe, bien sûr, et informer les pilotes, les commandants de tout trafic qui se passe dans le secteur.

K : Quelles sont les aides technologiques ?
On a des radars, le logiciel qui nous donne tous les postes à quai des bateaux sont attribués. Y’a un bureau à côté, un service placement navire, qui place les bateaux en fonction des postes à quai, des disponibilités, donc il indique les postes à quai des bateaux. C’est des officiers de port aussi, mais c’est pas à nous de décider. Oui, on se téléphone souvent dans la journée, le bateau leur redemande un autre poste à quai qui lui a été attribué, bè, on appelle le service placement navire, voir si c’est possible.

K : Comment gérez-vous certaines procédures, comme une communication difficile avec un navire étranger ?
S’ils comprennent pas bien en anglais, on essaye de répéter d’une autre façon, on a toujours réussi à se débrouiller, quand même. C’est vrai que c’est pas la même vitesse aussi qu’un avion, un bateau. On garde quand même toujours tout en double aussi, sur papier, comme l’informatique ça tombe régulièrement en panne. Les feuilles de commande, oui, on garde.

K : Avez-vous une anecdote liée à votre travail ?
Y’avait un porte-avions américain en escale - c’est pas à moi que c’est arrivé, c’est à un autre - et les Canadairs viennent souvent écoper dans le port, régulièrement y’a des incendies et ils peuvent pas le prendre au large quand il y a du mistral. C’est assez impressionnant, c’est vrai, mais bon, on est tellement habitués à les voir écoper... Et donc le Canadair arrive, les Américains ont failli lui tirer dessus ! Ils ont cru qu’ils se faisaient attaquer, quoi. Heureusement, au dernier moment y’a l’officier de liaison qui a appelé - je crois que c’est l’officier de liaison qui était sur la passerelle qui a vu des avions - je lui ai dit : « C’est rien, c’est les Canadairs, c’est normal ! » Bon, c’est pas moi qui étais de service, on a pas pensé à prévenir les Américains que des Canadairs allaient écoper ; bon, ç’aurait pu être plus grave.

K : Avez-vous déjà rêvé d’embarquer ?
Ben c’est pour ça que j’ai arrêté de naviguer. De toute façon, à part les frontiers, tous ceux qui travaillent à la capitainerie sont des anciens navigants. J’ai fait mes études dans la marine marchande pour naviguer, oui.

K : Quel navire vous fait rêver ?
C’est la voile, moi j’ai toujours fait de la voile. J’ai navigué dans la marine marchande pour gagner ma vie, mais c’est toujours de la voile que j’ai fait et que je voudrais faire, quoi, c’est ça...

Propos recueillis par M-J Flandin le 09/11/07 ; rédaction : Odile Fourmillier ; image : Anne Muratore.

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