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Une main divine sur le magasin - Au travail ! - Chacun son métier - La revue du témoignage urbain

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Chacun son métier

Une main divine sur le magasin

La réussite familiale de l’entreprise Khémis

De l’Afrique du nord à Gémenos via la rue Saint-Savournin, histoire d’un rapatriement réussi. Commerçant épanoui, Yves Khemis a construit sa vie comme on construit un immeuble, étape après étage jusqu’au faîte de son accomplissement. Sa réussite, il la tient à sa croyance et à ses valeurs, travailler avec honnêteté, sérieux, être affable et se mettre à la portée de chaque client, même les plus démunis.


Koinai - Pouvez-vous vous présenter ?

Yves Khemis - Alors, oui. Je m’appelle monsieur Khemis Yves, père de famille de six enfants et installé à Marseille depuis le 1er janvier 1963. J’ai 72 ans et quand je suis arrivé, j’étais un jeune homme non marié, mais ça n’allait pas tarder.

K. - Vous avez rencontré votre épouse ici ?

Y K. - Oui, oui. Le hasard a fait que la veille du 1er janvier, j’avais rencontré ma future épouse et mes parents m’avaient installé dans un magasin qu’ils avaient acheté en venant d’Algérie. Ils tenaient absolument à mettre le fond de commerce à mon nom. J’étais le sixième des 9 enfants, mais ma mère me l’a offert en disant sur 6 enfants il faut que ce soit Yves qui prenne ce magasin, pas un autre. Voilà, ça a été le début, et de là j’ai rencontré mon épouse. Un an après on s’est marié et on a eu des enfants.

K. - Vous aviez quel âge quand vous vous êtes rencontrés ?

Y K. - J’avais 25 ans. Et quand je suis rentré dans ce magasin pour vous dire vrai, il était vide et il y avait qu’un seul poêle à mazout, de démonstration. A l’époque on vendait le mazout. Nous sommes restés un an dans ce magasin sans pratiquement avoir rien. Il a fallu que j’apprenne le métier de l’époque, c’est à dire à savoir vendre des poêles à mazout, parce que c’était l’époque, et bon, pendant un an nous avons végété. La deuxième année, donc j’ai remis du courrier parce que j’étais dans l’obligation familiale. Ma pauvre mère était malade, mon pauvre père était âgé, et j’avais l’obligation d’assumer tout ça, d’assumer la famille.
Et après, nous avons prospéré et à chaque naissance de mes enfants, j’ai acheté un magasin. Le 5 rue Saint-Savournin avait donc été ouvert en 1963. En 1964 j’ai ouvert un magasin à la rue d’Oran, c’était un dépôt que j’ai transformé en local, et j’ai mis mon frère en tant que vendeur là-bas. En 1965 j’ai acheté les locaux du 3 rue Saint-Savournin et j’ai agrandi ma surface de vente. En 1967 j’ai racheté un local au 11 rue Saint-Savournin. En 1968 j’ai eu une opportunité à Aubagne où j’ai acheté un fond de commerce, et dans une grande surface, j’ai installé mon frère. En 1970, je me suis mis en association avec mon frère aîné pour reprendre un local qui est au Boulevard de la Libération, qui a été dissoute lorsqu’il a pris sa retraite.
Donc, j’ai progressé comme ça, grâce à la chance que mes enfants m’ont apportée, et j’ai pu développer mon activité. J’ai très très bien travaillé, je suis toujours resté dans le même esprit de travail.
Et quand j’étais célibataire en Algérie, j’ai été rapatrié. Mes parents avaient un commerce, un comptoir où on vendait des tissus, des denrées coloniales et tout, donc j’étais déjà versé dans le commerce. Je savais que pour pouvoir réussir et faire mon petit chemin, il fallait avoir des prix très bas et donc, je me suis acharné à être un des meilleurs sur le marché, en prix. Donc, tant et si bien qu’il y a un livre qui se vend en kiosque à Marseille, je crois, Place de la Préfecture, qui s’appelle "Marseille à petits prix", et donc j’y figure. Ce sont des gens qui ont bien voulu mettre mon nom, je ne suis subvenu en rien du tout, c’est à dire que j’ai pas, ni payé ni rien du tout. Et jusqu’à présent, on vient chez Yves Khemis parce que nous avons des prix bas, et surtout il y a le sérieux aussi, voilà. Alors, aujourd’hui, Dieu merci, mes enfants sont installés avec moi, dans une grande surface qui est à Gémenos, nous avons un terrain qui a 7000 m2 et nous avons un local de construit d’environ 1500 m2, grâce au magasin de la rue Saint-Savournin, qui a produit et qui a investi par là-bas.

K. - Vous avez quel type de magasin à Gémenos ?

Y K. - Eh bien, toujours pareil. Meubles, électroménager. On est resté toujours dans les mêmes pratiques commerciales, que dans les années où je me suis installé. A part, qu’on a évolué par internet et tout, mais j’accorde beaucoup d’importance à ce que nous restions dans la vieille tradition du commerce, c’est à dire respecter le client, être affable avec lui, de le conseiller et être très honnête surtout.

K. - Vous vendiez les mêmes produits avant ?

Y K. - Euh, il y a eu une évolution. C’est certain que quand je me suis installé, je vendais des poêles à mazout, c’était la grande mode à l’époque, parce qu’il y avait le goûte à goûte, et c’était le mazout qui était primé. Et après j’ai évolué, j’ai agrandi par l’électroménager, par les meubles et ainsi de suite.
Et puis, il faut savoir que ça a été une période propice pour nous, puisqu’il y avait ce qu’on a appelé les rapatriés, et c’est ce qui procurait un dynamisme dans les affaires. Alors de là, j’ai constitué un grand fichier client, dont nous tirons un profit aujourd’hui, avec mes enfants, parce que nous avons étés très honnêtes avec la clientèle. Je peux vous affirmer que je n’ai aujourd’hui aucun contentieux fournisseurs, aucun contentieux avec un client et aucun contentieux avec les pouvoirs publics. Dieu merci, nous sommes des gens respectueux de toutes les lois commerciales, nous nous maintenons dans cet esprit.

K. - Donc, vous êtes d’origine algérienne ?

Y K. - Je suis né en Algérie, alors dans le département d’Alger, un petit village qui s’appelle Boghari. En Algérie j’ai des bons souvenirs, nous avons grandi, nous avons des grands-parents. Mais ma grande sensibilité et ma grande joie, c’est d’être toujours sur un sol français.
Donc, je suis rapatrié d’Algérie, je suis français de vieille souche française, d’éducation française, j’ai une instruction française et tout, tout... Notre drapeau à été toujours le drapeau de la république française, bleu, blanc, rouge. Et je suis fier d’avoir accompli mon devoir de service militaire de 3 ans, en tant que militaire appelé et de l’avoir fait faire à mes garçons.
Mes grands-parents, mes parents, toutes les générations qui m’ont précédées ont toujours été très loyaux avec la France. J’ai aucun regret d’avoir quitté n’importe quel endroit. La France j’aurais un regret si je venais à la quitter, parce que j’adore la France. J’ai inculqué mes enfants dans ça et ils sont comme moi, ils adorent la France. Je m’y trouve bien et voilà.
Je suis de confession israélite, il est certain que j’ai un attachement sincère à l’égard du pays d’Israël, mais je porte un plus grand intérêt à la France qui m’abrite, qui a fait grandir mes enfants, qui m’a aidé, qui a toujours était très aimable avec nous et continue à l’être.

K. - D’accord. Comment vous avez trouvé Marseille en arrivant ?

Y K. - Alors, Marseille c’était une ville très agréable. Quand nous sommes arrivés, la Canebière était beaucoup plus animée. Il y avait bien sûr beaucoup de rapatriés. Bon, après ça a commencé à se dégrader. Je pense que les jours vont venir où on va retrouver la Canebière, la fierté du Marseillais. Bon, il faut le dire, le centre ville n’est pas ce qu’il doit être. Je comprend très bien, il y a eu la venue d’autres gens qui sont d’Algérie, du Maroc, et tout, qui sont en train de trouver leurs voies, et donc, il va falloir doucement, doucement qu’ils s’intègrent et c’est pour ça qu’il faut être un peu patient.
Je pense que les années à venir, même les mois, on va vers une évolution à mon avis satisfaisante. Les pouvoirs publics ils en sont conscients, tout est mis en oeuvre, donc il va y avoir une bonne intégration. Je suis pas pessimiste pour l’avenir. Nous avons une belle jeunesse, pas de problèmes. Il est certain qu’on peut pas être satisfait à 100%, c’est pas possible. Satisfaction 100%, ça existe pas. Mais je sens qu’on va vers l’amélioration des choses.
Depuis que nous sommes arrivés d’Algérie, jusqu’aux années 90, c’était paisible, après il y a eu une petite descente, un fléchissement de gens et bien entendu ce fléchissement a laissé la place à des gens nécessiteux. Et les Marseillais sont partis, ils ont quittés la ville et sont allés habiter dans les périphéries de Marseille. Mais on sent un retour de beaucoup de gens quand même, et faut prendre la patience c’est certain. Alors, au niveau clientèle, il est certain que avec ces grandes surfaces qui ont ceinturé la ville, c’est vrai que nous avons une perte de clientèle, mais doucement, doucement on la récupère. Parce que une identité ne s’arrête pas comme ça soudainement.

K. - Marseille a beaucoup changé en 40/50 ans ?

Y K. - Marseille centre, oui, ça a beaucoup changé. Je vous ai expliqué tout à l’heure que la venue de beaucoup de gens des pays limitrophes à savoir l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, tout ça, ça a apporté un peu de monde et c’est certain que ça a changé. Bon maintenant il faut accepter quand même un temps d’adaptation à ces gens-là, et aux gens qui vivent, de se familiariser. Avec sa femme, on met du temps avant de se comprendre, alors imaginez-vous.

K. - Est-ce que vos croyances influent sur votre façon de gérer votre commerce ?

Y K. - Il est certain qu’il faut la croyance, oui. Vous avez mis bien le doigt où il faut. La croyance ça permet de rester toujours dans la droiture des choses, parce que quelqu’un qui n’est pas croyant, qui ne croit en rien, il a pas de limite, il a pas de ceinture de sécurité. Il peut vous mentir, il peut vous vendre du cuivre pour de l’or et vice-versa. Quand il y a une certaine croyance, il y a une crainte divine et on a peur, par cette crainte de dire des choses qui ne sont pas convenables. Je crois que quand on est sincère, parce que c’est pas le tout de dire "je crois" et puis à l’intérieur ça suit pas. Non, mais je pense que les gens qui sont de piété, que ce soit la foi chrétienne, que ce soit la foi musulmane, que ce soit la foi bouddhiste, que ce soit la foi juive, il y a pas de problème, si on est sincère, on doit avoir de la bonne moralité dans tout ce que l’on fait, dans tous ses comportements. Maintenant si il y a pas de sincérité comment voulez-vous que ça tienne ?

K. - Est-ce que vos enfants sont croyants aussi ?

Y K. - Mes enfants, oui. Ils ont l’éducation qu’on leur a donnée et ils ont trouvé que cette éducation était parfaite, adaptée et sincère. Je pense qu’il y a pas de problème.

K. - Est-ce que votre clientèle a évolué au fil des années ?

Y K. - Oui. J’ai beaucoup plus de clients qu’avant. Le volume d’affaire est moindre parce que le pouvoir d’achat a beaucoup diminué. Et c’est certain qu’avant on vendait dix cuisinières par semaine, maintenant on vend dix réchauds. Donc vous voyez bien le chiffre d’affaire un peu... Bon, faut bien savoir que quand même le centre ville est un peu pauvre, ce n’est pas trop mon cas. Alors bien entendu j’adapte mes produits par rapport aux quartiers dans lesquel je vis et pour ne pas mettre à mal. Là, je viens de vendre un matelas à 36 euros, qu’est-ce que ça peut être un matelas à 36 euros ? Donc voilà. Maintenant, il est certain que si vous allez dans mes magasins annexes, à Aubagne nous vendons beaucoup de produits un peu plus relevés.

K. - Comment sont vos clients en général ?

Y K. - Pour la moyenne d’âge de ma clientèle, eh bien je vais vous surprendre, je peux dire que c’est un équilibre. J’ai aussi bien des jeunes, que des personnes âgées ou des personnes moins âgées. D’ailleurs il y a un monsieur qui vient de prendre pour 550 euros, c’est un homme d’une soixantaine d’années, et un peu plus tôt j’ai eu des jeunes. Donc vous voyez, ça équilibre, j’ai des produits qui intéressent tout le monde.
C’est certain, j’ai pas un magasin d’une grande décoration mais d’un contenu bien cossu. Vous trouvez tout chez nous, à des bons prix et à des meilleurs prix, n’importe quel produit que vous souhaitez. Même si ils ne sont pas en exposition, nous pouvons les avoir très rapidement, dans un délai très court et à meilleur prix. Donc, je me sens fort de prouver que tous les prix qui sont sur internet en électroménager, en meuble ou en télé, nous sommes moins cher. Je ne fais pas de publicité, ma grande publicité c’est le "bouche à oreille". Et c’est de là que je travaille. Si je suis fermé, les gens attendront, ils viendront parce qu’ils ont dans la tête qu’ils seront pas trompés, ni sur le prix, ni sur la qualité, ni sur le service.

K. - Vous avez eu des clients originaux ?

Y K. - Oui, il y a tout le temps des clients très sympathiques. Il faut quand même reconnaître que si il faut dire un pourcentage, sur 100 clients il y en a 99 de très bons et il y a un véreux, malheureusement c’est toujours comme ça, il y a toujours un véreux. Mais vous savez, quand vous avez une ligne directe, vous voyez la vie droite. Les gens qui ne sont pas dans votre même moralité, hein, vous les renvoyez en leur rendant leur avoir, et puis c’est tout. Si ils ont un doute, ils vont acheter ailleurs, c’est terminé, c’est pas la peine, moi je suis pas un accroc de ça. Même quand j’ai eu besoin de travailler, j’avais une famille, j’avais mes parents à ma charge et tout, donc j’avais des obligations, mais j’avais toujours la dignité et c’est ce que j’inculque à mes enfants.
La dignité ça veut pas dire la richesse, la dignité ça veut dire sa langue, respecter ce que vous avez dit. Respecter, c’est ça. Voilà, la dignité pour moi c’est le plus important, parce que la richesse, elle vous suivra pas. Le corps il s’en va et la richesse elle vous dit "je reste".

K. - Est ce que vous avez des anecdotes par rapport à vos magasins, vos clients ?

Y K. - Vous savez il y a plusieurs anecdotes. Je peux vous dire qu’on a essayé de lever le rideau. C’était il y a pas longtemps, on est arrivé, on a ouvert les portes, eh ben je peux vous assurer que le magasin était ouvert. C’est bien entendu surprenant, quand vous arrivez le matin. Eh bien, rien n’a été bougé. Donc, vous voyez qu’il y a une main divine dans le magasin et que personne a pu prendre quoi que ce soit. Il y avait des petits téléviseurs, ils auraient pu les prendre, partir avec. Rien, même pas une chaise a été bougée. Et ceci a été répété. On m’a ouvert le magasin au 9, on l’a ouvert ici au 15, au 3, au 5 et Dieu merci, dans toute mon existence que j’ai passée dans mon magasin... Pour moi il y a une sainteté qui est à l’intérieur, que je ressens, il y a une pureté familiale. Voilà l’anecdote que j’ai en dernier. La plus grande pour moi. D’arriver le matin à 8 heures, de trouver ses rideaux ouverts, la porte entrebâillée et rien de pris.

K. - Vous voulez rajouter quelque chose ?

Y K. - Je peux conclure avec une seule chose, c’est de... pour un commerçant... il peut réussir, il doit pas baisser les bras. Quelque soit le quartier, qu’il reste toujours dynamique à son affaire, et surtout très honnête dans ses produits et très honnête dans ses marges. D’être proche du client, très proche des gens qui sont démunis, qui n’ont pas assez de moyens. Il faut pas les exploiter, au contraire si il veut prendre deux produits, et qu’il les a pas dans son portefeuille, il faut trouver le moyen qu’il puisse.
Voilà le seul conseil que je peux donner aux jeunes commerçants qui veulent s’installer demain, c’est de pas démunir le pauvre pour s’enrichir, au contraire il faut se mettre à sa hauteur. Il y a à faire, les gens ont besoin, mais on ne peut travailler que dans le sérieux et dans l’honnêteté. Voilà. Ce qui a été dit, c’est sorti du cœur.

Propos recueillis par Lynda Ledolley - Photos : Jaime Rojas

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