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La revue du témoignage urbain

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La tête de l'emploi

Les agents de piste doivent pas prendre feu

« Mon métier c’est agent d’escale à l’aéroport de Marignane. Je suis responsable d’un comptoir vente auprès d’une compagnie aérienne qui s’appelle Alitalia. Le comptoir s’occupe des passagers et de tous les problèmes : ventes des billets d’avion, pénalisations... On a une image que la compagnie nous demande de respecter, une image propre, une image soignée. Je porte l’uniforme représentant une compagnie aérienne. C’est un peu militaire mais c’est une rigueur. » Mademoiselle Benedetta Sentuli, 27 ans, italienne établie en France depuis six ans.


Uniformes Alitalia
 Uniformes Alitalia

Bè, je dois dire la vérité, je me suis habituée et c’est un côté rigolo de jouer le rôle, de se mettre un uniforme. Je dois vous dire que l’uniforme ça arrange, hein, parce que le matin, quand je dois aller travailler, je sais comment je dois m’habiller, j’ai pas à me prendre la tête, à chercher les bons habits dans l’armoire, acheter des autres habits pour que je sois présentable. J’ai déjà comment m’habiller, donc ça c’est le côté positif. Le côté négatif, c’est que des fois on prend du poids pendant l’année et donc on a choisi un uniforme un peu trop serré et peut-être on est mal à l’aise, mais en même temps je suis quelqu’un qui aime aussi ce côté militaire de devoir s’habiller et de devoir tenir une rigueur. J’adore mon uniforme, j’adore me plonger dans ce rôle le matin. J’aime bien me soigner et prendre soin de mon uniforme et de mon image.

Koinai : Quelles pièces composent l’uniforme ?
L’uniforme se compose d’une veste généralement bleue marine, une chemise blanche, un pantalon ou une jupe selon le choix - donc on a le choix, heureusement - des talons tous les jours. Donc on a la collection d’été, la collection d’hiver. Donc la collection d’hiver elle est composée d’une jupe et de pantalons, d’un manteau en laine. Le manteau est long jusqu’aux chevilles, à ne pas modifier ni sur la longueur ni sur la longueur des manches. Ils sont taillés sur mesure, il faut qu’on respecte comment il est taillé. Puis on a des variables, type un petit gilet en laine. Donc éventuellement pendant l’hiver on doit respecter le manteau, la veste, le gilet, la chemise en dessous du gilet. La collection d’été, c’est tout en coton assez épais et généralement pendant l’été il est demandé obligatoirement la jupe - pas de pantalon pendant l’été ! - et le pantalon il est prévu pendant l’hiver, que en cas de vrai froid. Mais sinon le vrai uniforme, les femmes en jupe et les hommes, bien sûr, en pantalon. Nous on a l’obligation aussi de choisir notre linge intime, pas de linge intime apparaissant, de dentelle qui dépasse, il faut que ça soit quelque chose de coton simple, sans broderie ni dessin, que ça se voie pas à travers la chemise. On a des boutons de manchette à mettre éventuellement, il y a des pin’s, on peut porter que un pin’s, c’est celui-là de la compagnie. Donc bien sûr on doit avoir notre badge tous les jours, c’est ce qui nous permet d’accéder à toutes les portes de l’aérogare, et en même temps c’est notre carte d’identité pour ceux qui travaillent sur l’aéroport. On a des épaulettes, on a des pin’s aux épaulettes, des fois ça détermine le degré, et puis on a donc la ceinture obligatoire, le collant. Quel que soit le temps, les bas obligatoires. Jamais jambes nues, jamais pieds nus, jamais... Si on utilise des socquettes pour les chaussures, il faut pas que ça dépasse de la chaussure. Sac à main de compagnie, en cuir bleu. Nous, on nous a imposé de ne pas trop le charger, parce que ça va faire sac à courses, donc ils nous disent de porter notre sac à main, à la limite de le personnaliser avec un petit pendentif qui reste dans le thème de l’aérienne.

K : Les matériaux sont-ils choisis en fonction de critères de sécurité ou de climat ?
Tout à fait, tout à fait. Donc les matériaux, il faut savoir que moi je travaille à l’escale de Marignane à Marseille, donc c’est une région où il fait assez beau, donc ils nous ont donné un imperméable, par exemple, parce que il y a pas mal de pluie, des imperméables anti-vent parce qu’il y a beaucoup de vent, donc bien sûr ils ont étudié le climat de la région. Pour l’escale de Stockholm, je sais qu’ils ont des uniformes doublés parce qu’il fait beaucoup plus froid. Donc ils associent l’uniforme au climat de la région dans laquelle on travaille. Donc les chaussures, ça doit être que des chaussures de sûreté, on peut pas s’amuser à mettre des talons pointus (un talon qui ne doit pas être plus bas de quatre centimètres, pas plus haut de six centimètres) ou des chaussures pointues au bout. C’est des chaussures de sécurité avec un talon large sur lequel on doit être confortable, avec lequel on descend en piste, ce doit être des anti-dérapants. Il y a plein de petits critères comme ça, de paramètres de sûreté à respecter. Je vois, par exemple, que l’uniforme de piste il est ignifugé, donc en cas de feu ou quoi, bè les agents de piste ils doivent pas prendre feu. Pour nous il y a plein de sécurité, de mesures de sécurité qui sont prises à partir des habits.

K : Tous les membres du personnel portent-ils les même uniformes que le vôtre ?
Oui, ça change juste la couleur des chemises qui détermine les responsables. Donc les responsables, ils ont une chemise blanche et les agents normaux ils ont des chemises de différentes couleurs selon leur degré. On est distingué par notre uniforme entre les 45 et les 50 employés.

K : Quelles consignes esthétiques devez-vous suivre ?
Un maquillage tous les jours. C’est obligatoire : très léger, c’est plutôt un soin du visage pour qu’on ait une image soignée. Au niveau de la coiffure, c’est les cheveux attachés au moins sur le côté, donc pas de mèche qui dépasse, histoire que le visage soit dégagé. C’est ce qu’ils demandent : pas de mèche qui dépasse ou de teinture de cheveux trop choquante. Des bijoux très petits, très peu, très discrets : des boucles d’oreille, pas de pendentif, pas de piercing, pas de gros collier, pas de bague à tous les doigts de la main ; une bague pour chaque main, un petit bracelet, éventuellement, à côté de la montre. Les ongles doivent être d’une couleur, s’ils sont peints, assez naturelle, voire transparente. On peut virer jusqu’au blanc mais on peut pas mettre du rouge, du bordeaux, du violet ou du... Non, absolument pas, ça doit être du naturel. Et puis, les chaussures cirées tous les jours, les collants impeccables, voilà. Avec le maquillage et la coiffure, il faut entre trois quarts d’heure et une heure de préparation pour que l’uniforme soit complet et impeccable.

K : Êtes-vous inspectée ?
On est inspecté. Donc au-dessus de moi, moi j’ai deux chefs d’escale, un de l’assistance qui m’emploie et l’autre, le chef d’escale de la compagnie. Ils nous surveillent tous les jours sur notre travail. Donc leur mission, en fait, c’est de voir que nous, on applique bien les procédures de la compagnie, qu’on soit rigoureux dans notre travail et bien sûr il vérifie notre image.

K : Qui confectionne l’uniforme ?
Les costumes, dans notre cas, ils sont confectionnés à Rome et la boîte qui les fait, c’est une boîte qui a l’exploitation aussi des uniformes de la police, des ambulanciers, des pompiers, de tout ce qui est police municipale. Donc c’est une boîte qui fait que les uniformes pour tous les gens de transport et de sécurité.

K : L’uniforme connaît-il des évolutions en lien avec la mode ?
Oui, oui, bien sûr, mais ça c’est le côté rigolo. Justement, ce Noël j’ai reçu une carte de vœux du chef d’escale de France et il y a toutes les évolutions de l’uniforme chez Air France. Et c’est vrai que chez nous, oui, c’est selon la mode. On change aussi de styliste, donc on change de couturier chaque fois qu’il y a un renouvellement d’uniforme. Généralement, les uniformes, ils sont changés chaque cinq ans, donc chaque cinq ans il y a un nouveau couturier qui nous dessine un nouvel uniforme avec des nouvelles couleurs, des nouvelles coupes de jupe, de veste, de chemise. Le dernier s’appelle Mondriane.

K : Quelle est la fréquence de renouvellement du trousseau ?
Chaque année. Tous les ans, on a un nouvel uniforme. Dans le cas où, pendant l’année, on a un problème d’une chemise déchirée ou d’un uniforme trop sale et on n’arrive pas à le détacher, on peut commander de nouvelles fournitures. C’est l’entreprise qui paye l’uniforme. Il coûte environ entre les 1000 et les 1500 euros.

K : Au niveau de l’entretien ?
On est tenu à avoir toujours une chemise de rechange dans notre bureau, parce que même ça peut arriver à midi on mange, on se salit la chemise. On doit être propre tout le temps, donc d’avoir au moins une chemise en rechange. Ça nous arrive aussi de descendre en piste et donc d’être en contact avec les engins de piste, les avions et c’est pas toujours propre. Donc oui, ça nous arrive de le salir. Même au travail, des fois les outils de travail... la poussière elle est pas faite, donc les bords des manches, surtout, ils se salissent très facilement. On a une prime salissure tous les mois, qui donc généralement varie entre les 15 et les 25 euros ; c’est par jour travaillé. Cette prime nous permet d’amener au pressing toutes les semaines notre uniforme.

K : Avez-vous le droit de porter l’uniforme en dehors du travail ?
Non, absolument pas. L’uniforme, on le porte du moment où on descend de la maison, on se met dans la voiture, on va au travail, on rentre du travail, on est tenu à se remettre dans la voiture, à rentrer à la maison. Et même si on doit descendre acheter une baguette, il faut qu’on se change. On n’a pas le droit de porter l’uniforme en dehors du travail.

K : Êtes-vous à l’aise dans votre uniforme ?
Oui, oui. Ça m’est arrivé, déjà, quand on a changé de couturier - justement, le nouveau couturier - il avait fait les uniformes une taille en dessous de ce qui était marqué sur l’étiquette, donc dans mon cas j’avais commandé du 36 français, mais en fait j’aurais eu besoin d’un 38. Donc j’étais effectivement très serrée, mais j’ai eu la possibilité de changer mon uniforme, justement parce que pas mal de monde ont eu ce problème comme ça. Mais dans un uniforme, il faut être toujours à l’aise. On le porte sept heures trente par jour, voire huit, neuf heures, et il faut pas qu’on hésite à être confortable.

K : C’est quoi, votre touche personnelle ?
Ma touche personnelle c’est... Je reste assez dans ce qu’ils me demandent. J’ai pas envie de personnaliser avec des couleurs, du maquillage différent ou une coiffure différente. Je dois dire que je respecte beaucoup les paramètres. Mon personnel, c’est plutôt de me tenir droite, de me tenir, de donner vraiment une image de moi-même : c’est comme jouer un rôle.

K : Diriez-vous que l’habit fait le moine ?
Non, non. Pour moi l’habit fait pas le moine, mais heu... bè je vais me contredire, dans le sens où dans notre cas, dans le rôle du boulot où on est déguisé avec un uniforme, effectivement l’habit doit faire le moine. Notre uniforme et notre image doivent respecter l’image de la compagnie, donc les deux choses vont ensemble, et c’est nécessaire que nous on ait une image propre et présentable, comme la compagnie. C’est une compagnie qui est sérieuse, donc il faut qu’elle ait une image sérieuse, il faut qu’on respecte et notre uniforme, en fait, est le moine. Par contre, après il y a la touche personnelle, voilà, elle vient de son propre caractère, de la façon de se poser avec les gens, de leur parler... Mais dans la vie privée, non, l’habit fait pas le moine.

K : Que portez-vous on dehors du travail ?
J’aime bien changer de style très souvent. Donc il peut y avoir des journées baskets, jean ou jogging. Il peut y avoir des journées où je me déguise en femme, comme je le dis, donc jupe, toute soignée, et je dois dire que de porter des talons ça me dérange pas du tout parce que de les avoir portés tous les jours au travail, bè du coup - c’est rare, que des femmes sachent se tenir sur des talons - bè on apprend un peu de féminité, à comment se porter, à comment se tenir, à comment s’habiller. Donc je dois dire que dans le privé je m’amuse à changer souvent de genre d’habits, ou d’image.

K : Pour quelle raison êtes-vous venue en France ?
Au départ c’était pour des études, puis après la réussite de mes études j’ai trouvé du travail, et donc j’ai décidé de me faire ma carrière professionnelle en France. J’ai une maîtrise en lettres modernes, j’ai fait des formations d’italien au lycée catholique, pour être remplaçante d’italien - donc c’est ce qu’on appelle le CAPES, mais dans l’enseignement privé - et puis j’ai viré aux traductions, parce que je voulais pas être enseignante, puis des traductions je suis arrivée à l’aéroport et puis depuis je me plais à l’aéroport et je vais jamais changer de travail.

Propos recueillis le 23/03/06 par Patricia Rouillard ; rédaction : Patricia Rouillard ; secrétaire de rédaction : Odile Fourmillier

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