Les paradoxes de la circulaire
L’idée sublime admise par l’autochtone marseillais est la suivante : "Grâce au tram nouveau, la circulation automobile va diminuer". Et, chacun de rejoindre le chœur et d’anticiper : "... Avec, la pollution". Donc première allégation : "Les gens - toujours eux - ne prendront plus la voiture." Celle achetée à crédit sur quatre ans restera au garage ou mieux : dehors, au pied de l’immeuble... Soit !
Et, pour la question des horodateurs qui ont poussé dans le bitume et poursuivent leur comptine de neuf à dix-huit heures, la mairie s’en défera sûrement !...
_« Du fait de l’abolition des contraventions, le responsable agréé de la voirie abandonnerait son carnet rose ? »
Dès lors, quand tout sera achevé, c’est-à-dire, un jour de 2015, le centre-ville comptera seulement une quarantaine de parkings souterrains. Ça corrobore : toutes les voitures planquées sous terre, ne seront plus une gêne pour le piéton qui disposera librement de sa chaussée. Ces véhicules ne pollueront plus l’espace du chaland que le temps d’une course entre la périphérie et le cœur de la cité. Super ! Surtout si les automobilistes s’arrangent pour ne pas tous débouler à la même heure. On admet, en effet, qu’il ne faudrait pas que les 20 000 places à saisir soient prises d’assaut...
_« C’est réalisable, si les patrons acceptent de diversifier les horaires de travail : La Poste ouvrant à onze heures, les employés de bureau débutant à huit, histoire de laisser paisiblement entrer en ville les livreurs de supérettes... Sinon, prévoir le retour à la case départ : bouchons, pollution et pôv piéton ! »
Le grand rêve marseillais (américain, rue de la Rép) est devenu un des grands chantiers européens. Génial ! C’est le plein emploi (de source officielle : 5 500 postes sont occupés), la porte ouverte sur tous les rêves : trottoirs vastes et verdoyants, petits oiseaux dans les arbres, parc à crottes pour les chiens, chaussées lisses pour les talons de ces dames, les effluves marines, parfois même le silence, juste l’écho assourdi des pas du passant sur le pavé égal.
_« Tous les sacrifices sont supportables en attendant la Pax Massilia. »
Car, pour l’heure, bouchons riment avec pollutions sonores, visuelles et aériennes. L’engorgement paralyse automobiles et bus, et figent les piétons à l’angle de rues surinvesties par les voitures garées sur les trottoirs, jusqu’au dernier millimètre ; heureux le commerçant isolé des chalands par un cordon initerrompu de véhicules stationnés au petit bonheur ; ravi le badaud, les pieds dans la boue des tranchées à vif ; excitant, le parcours de la mère courage au champ défiguré par la bataille, poussant, tirant le chariot de l’enfant élevé au grain nauséabond de la ville en mue. Les Marseillais ont bon cœur, qui ne se plaignent pas plus que ça, s’adaptant aux remue-ménages quotidiens de leur cité transformiste. Ils attendent le fameux jour, s’accommodant des aménagements dus aux travaux et librement consentis : itinéraires de bus dévoyés, voies de circulation sacrifiées, boulevards, tel celui de la Libération, au bon sens doublé...
La ville a engagé la lutte en retournant l’arme du pollueur contre lui-même : afin qu’il cède au tram futur ses circulations incessantes, l’automobiliste est désormais prié de payer pour se garer. Les places ayant réduit comme peau de chagrin, celui-ci se voit contraint de tourner à l’infini pour s’immobiliser. Une fois prouesse accomplie, il délie bourse en prévision des places à venir sous terre. Car, pour amener les investisseurs privés à miser sur la construction de parkings, il a bien fallu couper court à la concurrence de l’air libre : afin que les galeries soient creusées, il a donc été admis que : "Pour qu’un jour le conducteur paye dessous, il devait déjà apprendre à payer dessus." Du coup, la place payante n’est plus comprise comme une tentative de dissuasion mais comme une manœuvre d’habituation. Ainsi lorsque, lassé de payer, le chauffeur aura pris son parti du transport en commun, il lui sera à nouveau proposé d’accéder facilement au Malaval, Mazenod, National, Rive neuve, Pharo...
_« Que de déclinaisons d’arguments pour amener le Marseillais, dernier de la liste, à payer pour circuler ! »
La surprise pourrait venir du citoyen, celui qui sommeille en chaque pollueur : s’il lui venait de troquer la vapeur contre le vélo ? Dans une moindre mesure, cette accommodation est envisagée : les pistes cyclables qui suivraient celles du tram sont en effet annoncées... discrètement. Ainsi peut-on lire sur les panneaux de la Maison du Tram* : "Les trottoirs vont devenir plus larges, plus spacieux et plus pratiques pour tous (...) C’est aussi la création de nouvelles pistes cyclables pour la Ville." Les parkings relais ne sont pas encore positionnés sur la carte, mais les amateurs du Collectif Vélos en Ville sont consultés. Son président, Michel Escoffier, relève ainsi : "Si pour Gaudin, le vélo c’est de la rigolade le dimanche, Muselier, lui, s’est rendu compte qu’électoralement ce sera un appât, pas forcément en terme de masse mais en terme d’image, d’avoir ces petites réalisations et de pouvoir dire qu’il s’en est occupé." Les concessionnaires de bicyclettes n’ont pas encore investi la place, il faut encore se rendre en banlieue, en voiture, pour acquérir l’unique outil qui, pedibus jambisque, offre la meilleure alternative au big bazar circulatoire.
Au fond, le tram, c’était l’idée des autres. Or, Marseille veut faire comme les autres. Mais, Marseille n’est pas comme les autres : elle est pleine de Marseillais qui aiment leurs voitures, qui prennent le bus, et qui auraient préféré investir dans le raccordement de la banlieue par le métro ou le RER. Le tram devait, comme chez d’autres, relier les quartiers excentrés au centre et régler son compte à la pollution. Oubliée, l’idée. À la place, des parkings de 4 000 à 8 000 places payantes sont annoncés en surface ; ils faciliteront la rotation des véhicules et devraient mettre un sérieux coup de frein aux voitures ventouses qui squattent sans vergogne les (trop) rares espaces libres. Le problème de circulation se résume ainsi à celui du stationnement. C’est la solution marseillaise : "Circulez autant qu’il vous plaira, mais s’il vous plaît, stationnez et payez." Par ailleurs, concernant la protection du site dévolu à la circulation unique du tram, le responsable technique interrogé en réunion publique prévoyait simplement "qu’autant que faire se peut", le dénivelé permettra aux automobilistes, hauts de haillon, de s’incruster sur les voies tramesques. Du coup, haro prévu sur les 4x4 dès la prochaine rentrée.
Aux concessionnaires radieux, d’annoncer : "2007, ouverture de la voie royale".
Patricia Rouillard, le 28 décembre 2005.
* Place Charles de Gaulle, 13001. Entrée libre.
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