Trentenaire
« À la naissance de ma fille, quand j’ai eu Candice et des responsabilités et un enfant à charge, je me suis sentie heu… oui : femme. Et le fait de rester au foyer m’a donné la possibilité de faire quelque chose pour moi. Donc là, dans deux ans, j’ai le métier que je veux, je vais travailler avec des enfants et je serai, on va dire "épanouie" au point de vue professionnel parce que c’est vrai, j’ai jamais fait ce que je voulais vraiment. Je m’appelle Christelle et j’ai trente-six ans. »
Koinai : Quel a été votre parcours au niveau de vos études, et professionnel ?
J’ai un Bac A2, c’est Lettres et Langues. Après j’ai fait des études de lettres modernes, j’ai une maîtrise de lettres modernes et après mes études j’ai travaillé. En fait j’ai passé des concours qui n’ont pas abouti, je voulais être institutrice. Après j’ai eu Candice alors j’ai travaillé dans le commerce et j’ai fait vendeuse de vêtements, d’appareils photos, tout ce qui me déplaisait pas trop et après donc je me suis arrêtée et là, je reprends mes études en septembre. J’ai réussi un concours d’auxiliaire de puériculture, donc je vais faire dix mois de formation. J’ai toujours voulu travailler avec des enfants et là je vais pouvoir le faire enfin, quoi.
K : Avez-vous choisi ensemble le moment pour avoir un enfant ?
Oui et non. Moi je le voulais depuis plus longtemps que mon mari, mais lui attendait d’avoir une situation fixe pour mettre un enfant en route. Quand il a eu sa situation, après on a fait un choix commun d’avoir notre fille à ce moment-là.
K : Comment avez-vous vécu votre grossesse ?
Oh ! Très bien, ça a été un des meilleurs moments de ma vie, j’ai adoré ça : j’ai été chouchoutée, j’étais bien dans ma peau, j’étais belle, tout allait bien. C’est un moment où il n’y avait rien qui n’allait pas. Tout était génial, très bien.
K : Peut-on travailler et être maman ?
Oui. Candice est née en mai et j’ai repris le travail de suite en septembre. En fait, c’est juste une question d’organisation : il faut penser à la garde, il faut penser à plein de choses et après c’est bien. En fait au début j’étais à plein-temps, donc j’ai changé par rapport aux horaires de la crèche et par rapport au fait que je n’avais pas assez de temps avec ma fille. Donc après je suis passée à mi-temps et c’est vrai que si vous avez la possibilité de jongler avec vos horaires ça passe mieux. Sinon c’est vrai que les enfants font de longues journées. Donc moi j’essayais d’aller la chercher maximum à quatre heures et de la déposer à huit heures trente, donc je n’avais pas de cas de conscience, ça faisait des journées pas trop longues… Voilà, c’est toujours pareil, il faut jongler, mais ça fonctionne. On en a besoin, de travailler.
K : Faire garder votre enfant a-t-il posé problème ?
Alors moi j’ai choisi - et c’était volontaire - j’ai choisi la crèche et j’en étais très contente. Je ne voulais pas en fait une nounou parce que je n’aimais pas le fait que Candice soit avec une seule personne et vice versa. Je voulais que Candice soit avec d’autres enfants et avec d’autres tatas pour devenir plus sociable et voir ce que c’était, la vie en société. Donc ce mode de garde m’a convenu, et les horaires. En fait, je suis bien arrivée à coller à la crèche, ça c’est fait simplement et Candice a adhéré, donc elle, elle n’a pas pleuré. Ça a été très simple des deux côtés. Oui, oui moi je suis très crèche.
K : Comment avez-vous concilié reprise des études et rôle de maman ?
Je pensais que se serait plus difficile, mais Candice va à l’école donc en fait, elle me laisse des plages horaires larges, en plus la majorité du temps elle veut manger à la cantine pour être avec ses copines, donc à partir de neuf heures jusqu’à quatre heures j’étais libre. Travailler deux heures par jour ce n’est pas le bout du monde… Bon, c’est vrai qu’il faut se faire violence, travailler toute seule ce n’est pas évident, mais moi ça a fonctionné. Mais bon, je sais travailler aussi, je suis allée à la Fac donc… à la Fac on est plus indépendante quand on fait des études donc, ça m’a servi.
K : Élever son enfant, pour vous c’est un métier, un loisir, un emploi ?
Depuis deux ans, je suis mère au foyer et je m’occupe de ma fille, entre autre. C’est pas un métier et pas un emploi parce que, je veux dire, on n’est pas obligé, on l’a voulu. Mais c’est un travail à plein temps, c’est du boulot, quoi : vous n’avez pas une minute à vous, c’est prenant. Mais c’est un loisir parce que vous avez des moments géniaux que je ne regrette absolument pas et que je regretterai jamais. Je me dis "c’est toujours ça de pris" et j’ai vécu de super moments avec ma fille.
K : Avez-vous une rétribution pour cela ? Avez-vous eu des aides ?
Non, non, non je n’ai rien eu non, non.
K : Combien d’heures par jour consacrez-vous à votre enfant, à l’entretien du ménage ?
Vous parlez en jours ? Je dois passer… Je ne sais même pas en fait… Candice me prend beaucoup de temps. Là maintenant elle va à l’école donc je suis libre la journée. Comme j’ai du temps quand elle n’est pas là je m’occupe de toutes les tâches ménagères, la maison, le repas et je me prends pour moi, une ou deux après-midi pour aller voir mes copines… Mais la journée : le matin c’est les courses, à midi ou à onze heures je vais la chercher, et je retourne la chercher à quatre heures. Quand elle est là, c’est elle.
K : Quel budget consacrez-vous à vos loisirs et à vos soins ?
Pas beaucoup, je m’octroie pas grand chose pour moi, un peu plus maintenant mais je passais en fait en troisième position, souvent. Le budget c’est le manger, ma fille et pour moi non, c’est accessoire ; c’est vraiment quand j’ai un grand, grand besoin, une grande envie. Ce n’est pas souvent. Quand j’ai envie de quelque chose je me l’achète, mais c’est vrai que je ne flambe pas, je veux dire je n’ai pas beaucoup d’envies parce que je ne fais pas beaucoup les magasins et que voilà, quoi…
K : Femme au foyer et coquette, est-ce possible ?
Oui, ah oui ! Ah oui, c’est obligatoire. Moi je sais que je fais de la gym pour moi et aussi pour mon corps donc, pour plaire à mon homme… Je veux dire il n’y a pas longtemps je me suis pris une nutritionniste parce que je veux être toujours bien, pour mon image personnelle, mais aussi pour mon mari. Je suis super contente quand il me dit que je suis jolie, quoi… Je m’habille tous les jours même si je ne sors pas ; je ne me maquille pas parce que c’est moi mais je me mets de la crème voilà… Non, non, je prends soin de moi autant que si j’allais travailler, je ne fais pas plus, ni moins. Je ne suis pas coquette, je ne suis pas femme… mais je prends soin de mon corps, mais c’est vrai d’apparence je suis plutôt sport, je ne suis pas… Voilà, je n’ai pas des minis-jupes mais je prends soin de mon corps.
K : L’indépendance financière est-elle importante ?
Primordiale, primordiale : il ne faut jamais, jamais, jamais dépendre d’un homme. Jamais. Ne serait-ce que parce que dans un couple on n’a pas signé pour la vie, donc le jour où le mari s’en va, il faut pouvoir garder ses enfants et avoir un toit sur sa tête ; ne serait-ce que pour… je ne sais pas… : vous avez envie de vous acheter un truc. Je ne veux pas, moi, que ça soit sur son relevé de compte : "Ah oui ! Tu es allée dans tel magasin et tu t’es acheté quoi ? Et tu ne me l’as pas dit…" Non, non, non et même si j’ai envie de lui faire un cadeau… Non, non, moi ça c’est un truc que je ne peux pas. Moi il faut que j’aie mon argent, si j’ai le sien, demander ou bien avoir, comme certaines, le billet de dix euros sur la table avant de partir le matin, moi ça me fait l’effet d’être une esclave ou… Non, non, impossible, impossible pour moi. J’ai quelques sous, mais mon mari en a plus donc c’est lui qui prend en charge plus de choses à la maison, donc si j’étais seule je serais dans la panade, je pense.
K : Qui décide des grosses dépenses ?
À deux, on décide à deux.
K : Gardez-vous pour modèle l’éducation que votre mère vous a donnée ?
C’est-à-dire, j’éduque sûrement pas ma fille comme ma mère nous a éduquées nous, mais je n’ai rien à redire sur ce qu’elle m’a donné. Je m’entends très bien avec mon père et ma mère, j’ai de très bonnes relations avec tous les deux. Je ne regrette pas et l’éducation de mes parents me convient, je veux dire : j’estime que l’on est bien éduquées - j’ai une sœur, c’est pour ça que je dis "on"- mais il y a sûrement des choses - pas qui m’ont pas plu…- qui me plaisent un peu moins, qui ne me conviennent pas, c’est pas mon caractère, donc je change les choses… Aussi parce que mon mari intervient dans l’éducation de mon enfant, je ne suis pas seule à prendre la décision.
K : Quelles sont vos relations avec votre fille ?
Je suis une maman a priori un peu sévère parce que je veux qu’elle soit bien éduquée donc en fait je… voilà je m’y attèle. Mais c’est aussi parce que je suis à la maison constamment et c’est moi qui suis là dès qu’elle a envie de quelque chose. Le papa, c’est vrai il est moins présent parce qu’il travaille beaucoup. En fait mon mari est plus là pour les bons moments du week-end. Déjà il ne crie jamais, ne la gronde jamais, donc moi je fais un peu tout : je suis celle qui gronde, qui cajole, le rôle de la maman, oui… Je pars du principe que quand elle fait quelque chose qui ne me plaît pas il faut que je lui dise, donc effectivement je crie beaucoup plus. C’est vrai que je répète souvent les mêmes choses, mais on s’entend très bien ; elle est très "maman". Donc pour le moment on est très fusionnelles. Le jour où je vais reprendre le travail on verra.
K : Pensez-vous lui transmettre vos valeurs ?
Oui, oui, oui, oui.
K : Le contact avec l’extérieur vous manque-t-il ?
Non, non non, ma vie maintenant me convient. J’ai une vie sociale. Quand je vois d’autres personnes, je n’ai pas l’impression d’être une solitaire ou d’être une fille qui en demande, je pense que j’ai tout ce qu’il faut, en fait. C’est à dire je vois du monde, je fais de la gymnastique, j’ai des amies, j’ai la famille, ça me convient. J’ai mon petit noyau, mon mari et ma fille… Non, non. Je vois mes copines régulièrement à la maison, ou je sors. Mon mari dit que je suis toujours dehors, d’ailleurs ! Bon c’est sûr, je ne fais pas tout ce que je veux… mais pour le moment c’est l’idéal parce que je choisis de sortir quand j’en ai envie et quand j’en ai marre et que je veux rester tranquille avec ma fille, je reste avec ma fille.
K : Que vous apportent vos amies ?
Le fait d’échanger. Parce que dans la vie de couple, on ne voit pas les choses de la même manière je veux dire… quand vous allez discuter avec un homme, il ne pense pas comme nous-mêmes. Si, l’idée est peut-être la même, mais c’est bizarre, on ne doit pas avoir les mêmes… le même cerveau. On n’est pas fait pareil, on n’a pas la même façon de voir l’éducation des enfants ; ça se joint, mais bon, on n’est pas exactement pareil. J’aime bien parler, donc quand on se voit, on parle beaucoup de nos enfants, de leurs éducations, du rôle de la femme, de nos maris ; quand ça ne va pas dans nos couples, que l’on s’est disputé, ben on parle de trucs de femmes, quoi… On se dit : "Est-ce qu’on pourrait vivre sans nos hommes ? Est-ce qu’on est bien dans notre foyer ? Est-ce qu’on est épanouies ?" Et des moments où il y en a une qui ne va pas bien, l’autre fait le pendant et voilà, c’est la tournante, quoi…
K : La femme est-elle l’égale de l’homme ?
Heu ! Mon dieu que c’est vaste comme question… Je pense, enfin j’aimerais penser qu’on est égaux, ne serait-ce que pour la maison, c’est à dire faire les tâches indifféremment : toi, moi… Mais c’est vrai que ça c’est de l’utopie. Dans la vraie vie, une femme est quand même cantonnée à certaines tâches. Même
si l’homme aide, il y a des trucs qui reviennent tout le temps. Un homme passera moins la pièce à frotter qu’une femme, quoi… Peut-être au début de la relation, tout jeune, quand vous avez l’appartement. Mais chassez le naturel, il revient au galop… Au bout d’un moment, c’est vrai qu’à travail égal, je suis sûre qu’un mec et qu’une nana qui travaillent autant, une femme va arriver à la maison, elle va continuer à travailler. Un homme, de lui même, va se mettre à l’ordinateur. Si sa femme n’est pas là, il va se sentir obligé de faire le repas, mais à un moment donné il va vous dire "J’en ai marre !" Ça a été toujours rigolo : un homme fait quand il a envie… Il le fait bien, mais quand il a envie. Une femme ne se pose pas la question, elle doit le faire et elle le fait : il faut manger le soir, donc c’est ça ou… Voilà, quoi…
K : Une femme pourrait-elle devenir présidente de la République ?
Oui, oui, oui pourquoi pas, elle n’est pas moins et pas plus : il y a des gens bêtes de partout, que ce soit une femme ou un homme et réciproquement, quoi… Je ne vois pas pourquoi un homme ? Je veux dire une femme, justement, elle a d’autres sensibilités. Elle gouvernera d’une manière différente, peut être que ça nous conviendra plus. Moi, je ne me sens pas du tout inférieure à un homme, c’est vraiment… Je peux être l’égale d’un homme qui voilà… Non, non, au contraire, au contraire je suis sûre qu’elle nous apporterait autre chose. La femme est plus sensible et plus fine, mais par contre, on le voit dans les couples, les hommes vont toujours trouver à redire, je veux dire… si une femme est au pouvoir, elle va avoir un noyau de femmes qui est à fond et vous aurez toujours des hommes qui diront : "Mais non, mais c’est une femme, elle ne peut pas, elle ne comprend pas, elle ne sait pas se battre et cætera."
Propos recueillis par Mireille Perez
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