Moi, je m’appelle Kheira ; le nom de famille ? Mersali. Et mon âge ? En 1924, le 18 septembre. Moi je suis originaire de Mostaganem mais j’ai été élevée à Oran. J’ai tout fait pour venir en France ; j’avais une maison en Algérie, j’avais tout mais j’ai tout laissé pour rentrer en France, pour être plus libre. En France, on dit "…la France…", mais la France on a plus de liberté quand même : liberté d’aller travailler, de vivre, de gagner sa vie, d’avoir une maison. La liberté pour vivre et avoir ça qu’on veut. Une femme ? Moi, à l’âge de quinze ans : j’ai pris le pouvoir. J’étais obligée de m’en sortir…
Koinai : Et c’est quoi pour vous, être une femme ?
Une femme, elle a beaucoup de choses, la femme. Y’a beaucoup de choses, je peux pas vous expliquer le ça qu’on a nous. C’est une richesse, mais les hommes ils veulent pas qu’on montre notre pouvoir, qu’on développe ça. Ils veulent qu’on soit toujours à leurs pieds. C’est ça : notre pouvoir il est toujours par un homme écrasé. Mais nous on est plus intelligents que les hommes.
K : Vous disiez avoir été "obligée d’en sortir", mais de quoi ?
De la misère, parce que j’étais orpheline. Mon père était gendarme. Il a fait la guerre 14-18 ; dans la guerre il était lieutenant, avec ses grades, mon père à moi. Après il est parti en Algérie. Sa mère elle avait qu’un seul fils, elle l’a marié, il a eu mon frère en 1921, moi en 24 et le pauvre il est mort après des suites de ses blessures. Et on était délaissé, on n’avait pas d’aide, on n’avait rien. Il avait laissé des biens, c’était ses demi-frères qui avaient pris tout. Et moi je me suis battue depuis que j’ai ouvert les yeux. Y’avait des braves gens qui nous ont aidés : ma grand-mère, c’est notre grand-mère qui nous a élevés. Alors j’allais travailler chez les gens, je gagnais deux sous par semaine. Je faisais de la couture - je suis une couturière - je piquais seulement. Elle me montrait pas la coupe. Ils faisaient que travailler la machine. Par semaine elle me donnait une petite pièce noire. C’est là que j’avais le courage de tout. Et d’avancer dans ma vie. Je voulais pas être bas. Vous comprenez ?
K : Vous avez appris un métier ?
Heu, le métier je l’ai appris par des braves gens. J’ai été à l’école mais j’ai pas été longtemps. Jusqu’en… la première année, la deuxième année ; et la troisième année j’ai été obligée de m’arrêter : j’étais pieds nus, alors la maîtresse elle m’a dit… C’était des espadrilles avant, qui coûtaient même pas un centime de maintenant et moi j’avais pas les moyens, alors j’ai quitté l’école, j’allais travailler pour avoir de l’argent. C’est ça, c’est ça qui m’a encouragée, de toute ma vie jusqu’à maintenant hein ! Je me suis bataillée, je suis venue en France, j’ai… je voulais m’en sortir.
K : Le travail a t-il contribué à votre liberté ?
Quand je suis rentrée en France j’ai travaillé dans des écoles. J’ai fait toutes mes années, jusqu’à soixante-cinq ans. Je gardais les écoles, j’habitais l’école ; j’ai fait concierge suppléante dans le douzième, et j’étais femme de service. J’ai travaillé rien qu’avec des braves gens, un bon directeur, qui m’ont toujours respectée, et puis ils avaient confiance en moi. Ils avaient trois écoles, j’avais CES, primaire et maternelle. Le soir je m’en occupais, il y avait une fille qu’elle était petite, Aïcha, elle est petite, elle avait même pas l’âge : elle ouvrait les portes le matin et moi le soir je faisais la suppléante. Je faisais le gardien, sortir les poubelles, fermer les portes, et tout. Et j’étais femme de service à l’école. Je travaillais en plus. Pour m’en sortir, parce que j’avais pas d’aide.
K : Quelle était votre situation familiale ?
J’étais mariée. Mon mari, qu’est-ce qu’il travaillait le pauvre, il travaillait lui aussi vous savez, il travaillait. Il a travaillé dans des fours. Y s’est esquinté, il a eu la tuberculose, et on l’a envoyé à Cambo-les-Bains. Il est resté des années… Mon mari qu’est-ce qu’y gagnait ? Y gagnait rien du tout, quatre sous. Moi j’avais six gosses. Alors c’est pas ça qu’y fallait vivre avec ça hein ! Avec qu’il gagnait lui, moi je voulais jamais la misère, je voulais toujours la battre. J’avais du courage mais j’étais toujours écrasée par un homme ; il a jamais voulu me laisser faire ça que je voulais. Toujours j’avais pas le droit de parler avec des femmes, j’avais pas le droit de fréquenter des gens, avec lui il fallait être toujours à ses pieds. Il voulait pas me, comme on dit chez nous : "une femme se dégrader, se…"
K : Et comment avez-vous concilié la vie de famille et le travail ?
La vie de famille, je m’en occupais de mes enfants. Quand j’avais une coupure, j’allais faire mes courses ; quand le soir mes enfants y dormaient, moi je lavais mon linge, les tabliers des enfants que le matin ils aillent comme les autres enfants à l’école, propres. Je me suis toujours battue pour mes enfants. Je faisais ça que je pouvais, je dormais pas hein. C’est ça aussi. Ils allaient mes enfants propres, plus propres que les autres.
K : Alors l’éducation des enfants c’est vous qui vous en êtes occupée ?
C’est moi. C’est moi je me suis occupée de mes enfants. Ils restaient à l’étude, et puis des fois les maîtresses aussi m’aidaient, quand y’avait des questions parce que vous savez, moi je savais pas beaucoup de questions. Quand on me demandait, les questions de l’Algérie je connaissais, y’a beaucoup de questions que je savais, que j’ai appris avec les gens, mais les questions de la France comme beaucoup de régions et tout ça moi je savais pas… Et les maîtresses y ont aidé mes enfants. Des braves femmes.
K : Entre votre mari et vous, qui gérait le budget ?
C’est moi. Jusqu’à maintenant c’est moi. Et il est parti, le pauvre, il savait rien du tout. C’était moi. Je le repoussais toujours. Je voulais pas le quitter parce que c’était un brave homme. Il m’a pas privée de… Ça qu’il gagnait il me le donnait. C’est ça qu’il était bon. Il faisait pas les comptes. Mais il voulait pas que je fréquente d’autres gens. Il voulait un respect, il voulait pas que… Autrement pour ça mon mari il a pas été mauvais, le pauvre. Jusqu’à qu’il est mort il m’a défendue. Le lit d’hôpital il m’a dit : "Ne sors pas de chez toi et ne va pas chez tes enfants. Tu as ta retraite, tu peux vivre. Ne va chez personne, tu restes chez toi, tu tiens ton respect." Je lui dis : "Encore tu vas mourir et tu me le dis à moi encore ! Tu vas me priver encore de la vie !" Il m’a dit : "Si je te le dis, et crois moi…", - en arabe, tu sais… - Ah !… C’est ça la vie.
K : Sinon à la maison, les tâches ménagères et tout ça, c’est vous qui en vous occupiez ?
Oui, mais y’avait mes filles qui m’aidaient. J’avais une grande fille, j’ai une autre fille aussi, elle vient de prendre sa retraite ; elle a travaillé toujours à l’école. On faisait ça qu’on pouvait. Vous comprenez ? Pour être le plus… Mais on s’occupait bien de nous : le dimanche y’en a qui lavaient, y’en a qui repassaient, on était à la maison…
K : Tout le monde participait ?
Oui, oui, oui oui. Moi mon grand fils il faisait beaucoup de choses. Il m’épluchait les légumes, il me… Ah mon fils oui. Mon fils il était propre, il était vraiment très dur pour la propreté. Moi j’avais deux cocottes, parce qu’on était nombreux, on achetait pas du manger cuit dehors. On était obligé de faire. On gagnait pas beaucoup ! Alors je faisais mes courses à la fin du marché, parce que y’avait des lots ; je m’achetais tout ce qu’y fallait, qui était le moins cher. Vous comprenez, on est là, on n’a rien eu de gratuit. Et tous les gens, les maîtresses ils disaient : "Comment vous faites ?" Je leur dis : "Le Bon Dieu y m’aide." Et en plus de ça, quand une maîtresse elle avait des invités, j’allais leur faire des repas le soir ; et c’était moi que j’achetais tout hein ! Ils avaient confiance en moi. Je faisais le repas, je servais aux gens parce que c’était des gens qu’y étaient bien placés et tout, et le reste je le prenais pour moi. Et je leur faisais le couscous, la préparation et tout, et tout ce qui restait, même un oignon je le prenais. Ça, vraiment, de ce côté-là j’ai été bien protégée par des maîtresses, par le directeur, par tout le monde.
K : Et alors le couple, comment vous voyez le couple ?
Ça dépend. Ça dépend parce que y’a des femmes aussi qui sont mauvaises. Les hommes y faut les prendre par douceur, si vous voulez réussir avec eux. C’est par la douceur qu’il faut garder un homme. Si vous levez la voix avec eux vous réussirez jamais. On sait que c’est toujours lui qui commande. C’est ça aussi. C’est la femme qui doit tenir son mari. Si elle fait des coups : si il veut pas qu’elle sort, si il veut pas qu’elle fait pas… Faut qu’elle l’écoute aussi. Y’a des femmes qui écoutent pas. Y’a des femmes qui se croyent supérieures mais on est toujours plus bas qu’un homme. C’est ça ! Toute la volonté qu’on a, le courage qu’on a et tout mais… on n’a pas la hauteur d’un homme. On a la maison, on a dehors : vous travaillez, vous allez à la maison, vous avez le repas, vous avez le linge, vous avez les enfants ; on a beaucoup de choses, c’est pas comme un homme. Un homme il fait un seul travail, il est usé. Il faut le plaindre aussi à un homme parce que il est usé. Regardez toutes les vieilles - moi c’est maintenant que je m’en rends compte - toutes les vieilles elles ont perdu leur mari. Comment le mari il meurt ? Parce qu’il est usé, parce qu’il prend du lourd. C’est ça aussi. Faut qu’on… On peut pas toujours le… Il faut toujours lui donner un peu de son côté. L’homme il est toujours fier de lui. Même vous voyez un homme quand il marche, vous voyez comme il lève la tête ! C’est ça, les hommes.
K : Et la maternité, c’est important pour la femme ? Pour qu’elle s’épanouisse ?
C’est très important quand on a les enfants. C’est la valeur qu’on a sur terre. Moi j’aime les enfants. Parce que les enfants, c’est comme… Vous savez, vous faites une maison, c’est rien hein. Et que vous faites un enfant, vous savez qu’il est là. Même qu’il est mauvais, il est toujours là, pour vous. C’est votre valeur. Parce que on se sent… - comment je vais dire ça… - on se sent toujours protégée avec des enfants parce qu’on sait pas qu’est-ce qu’on peut devenir sur terre. Si on devient aveugle, on a une fille. Surtout les filles, moi j’aime les filles, je vous dis la vérité. Parce que la fille elle est près de la mère. Et elle fait beaucoup de choses. Même qu’elle est chez elle, elle a toujours un petit quelque chose pour sa mère. C’est ça hein.
K : Diriez-vous que vous étiez une femme indépendante ?
J’étais indépendante avec mon mari. Il était sévère d’un côté, mais j’avais ma liberté de l’autre. Vous comprenez ? Il avait lui ses règles qu’y faut faire, et y m’interdit pas si j’avais besoin d’acheter quelque chose, si… Il m’a jamais fait les comptes. Si je donnais quelque chose - de moi-même, parce que moi j’étais très généreuse, j’aime donner - il m’a jamais fait le reproche. Même mon souper du soir, si on me dit qu’une personne en a pas je partagerai avec elle. Et c’est de ça que le Bon Dieu il m’a aidée : il me manque rien ma fille ; j’ai pas grand chose mais j’ai pour vivre. Parce que je me suis jamais pensé qu’à moi. J’ai pensé toujours aux autres. J’ai vu des malheureux chez nous en Algérie, des gens qui avaient des choses, je leur raccommodais. J’étais toute petite, je leur raccommodais leurs affaires. Je leur mettais des pièces. J’avais douze ans. J’aidais les gens. Parce que moi j’étais touchée de père et de mère, j’étais orpheline alors je me sentais toujours… J’étais vers les gens.
K : Quelles difficultés avez-vous rencontrées en tant que femme ?
Quelles difficultés, la difficulté que j’ai rencontrée : des gens jaloux, les gens qui sont jaloux de vous. La jalousie elle vous fait beaucoup de mal. Mais faut pas s’en rendre compte, il faut les laisser dans leur mal, faut pas faire comme eux. C’est ça la difficulté. J’ai été aimée par les gens : une fois que j’ai Chirac y m’a invitée pour la Ville de Paris quand j’ai pris ma retraite ; les gens ils étaient jaloux. C’était une jalousie, je peux pas vous dire. "Comment qu’elle a été invitée ?"
K : Comment vous voyez la femme aujourd’hui ?
La femme aujourd’hui c’est pas comme la femme d’avant. Oui, y’a beaucoup de différences. La femme d’avant elle avait un respect pour l’autre, maintenant non. Elle se croit supérieure à la personne qu’elle la connaît pas.
Peut-être vous avez votre valeur, même vous êtes avec une robe simple, et vous avez une très grande valeur. Et elle avec ses petits chiffons de plastique qu’elle a sur le dos, elle se permet d’être mieux que l’autre, mais ça ça n’arrivera jamais… Elle arrivera jamais à la cheville de l’autre personne. C’est ça la femme d’aujourd’hui. Nous on porte un turban sur la tête, parce qu’on a été à la Mecque, faut qu’on respecte nos lois, et les lois de Dieu ; même les français d’avant y portaient le chapeau, y portaient le foulard, y avaient un respect. Y rentraient pas dans une église comme y rentrent maintenant, les français d’avant. Elle avait les gants, elle avait le chapeau ou bien elle avait un foulard. Maintenant nous, on se moque de nous.
K : Pensez-vous qu’il y a une égalité entre les hommes et les femmes ?
On arrivera jamais. On arrivera pas avec les hommes. S’y vous laissent rentrer un peu dans le pouvoir, peut-être ça arrivera plus tard. C’est pas d’aujourd’hui, c’est pas maintenant, parce que je vous dis, si ils laissent la femme rentrer dans le pouvoir, y aurait jamais eu de guerres sur la terre ; on aurait que la paix.
K : La femme aujourd’hui a quand même plus de droits qu’avant ?
Oui, oui oui, y’en a qu’y ont plus de droits. Peut-être y’a des gens qui sont forts. Parce que y’a des femmes qui sont fortes. Et parce que la femme elle est très intelligente. Des fois on dit :"Parce que c’est un homme, c’est tout.", mais il a pas l’intelligence de la femme.
K : Que reste-t-il de l’éducation transmise par votre mère ?
Ma mère elle est morte à vingt-quatre ans, moi j’avais peut-être huit ans, j’étais toute petite. Si je vous dis, ma mère aussi la pauvre elle a été une orpheline et c’est son oncle qui l’a élevée, c’est pas ni son père ni sa mère. Quand ils ont tué son père elle avait trois mois. Elle est morte jeune, et moi je la vois comme un rêve. Je me rappelle même pas, je me rappelle de ma grand-mère. Elle tissait : elle faisait des couvertures, des burnous, des djellabas. C’est avec ça qu’on a vécu. Elle nous a donné une bonne éducation, le soir elle nous parlait, elle nous apprenait : il faut être poli par les gens, si vous trouvez un vieux vous lui prenez son panier ou vous faites des commissions à des vieilles du village, allez leur acheter le journal. Et puis elle nous laissait pas sortir dehors, on traînait pas comme les autres. Parce que elle nous disait qu’on avait ni père ni mère pour nous défendre, il faut éviter tout ce que…
K : Et dans votre vie de femme, quelles sont les différences et les ressemblances entre vous et votre grand-mère ?
Une grande différence. Moi je voulais m’en sortir. J’avais beaucoup de courage. Ma grand-mère elle était dans une maison. Vous savez, les femmes d’avant elles étaient commandées et tout hein. Mon grand-père il avait sept femmes. La septième c’était ma grand-mère. Il avait laissé beaucoup de richesses, beaucoup de terres, mais ma grand-mère elle a été rejetée parce que c’était la dernière ; elle a eu que mon père et une autre tante. Mais moi je voulais m’en sortir de tout ça. Je voulais vivre comme les autres. Et avec mes propres moyens. Oui, c’est ça. Et c’est pour ça que j’ai tout fait pour venir en France. Je suis venue quand j’étais jeune, le vingt-quatre août en 55 ; le mois de septembre je faisais mes vingt-quatre ans. Mon mari lui il est venu à l’âge de dix-huit ans, il avait pas de logement. Quand je l’ai suivi, j’avais un garçon et une fille. J’avais un sur l’autre ; tous les ans j’avais un gosse. Je suis venue à Lyon, j’étais dans une chambre. Je pouvais pas vivre parce qu’en Algérie on a la liberté, j’avais une grande maison, j’étais bien. J’ai dit : "Moi je vais pas rester là-dedans. Et où je vais étendre mes couches quand il pleuvait ?" Alors je suis repartie en Algérie. Et après je suis rentrée en France. Mes enfants y étaient grands, plus solides. J’avais plus d’expérience, c’est ça.
K : Quelle éducation avez-vous donnée à vos enfants ?
Je leur ai donné beaucoup de choses. S’ils le font, moi je leur ai éduqué la politesse, la gentillesse, d’être braves avec les gens et puis il faut jamais faire le mendiant, il faut aller travailler, et… je les ai envoyés à l’école. J’ai tout fait pour eux. Les grandes, les pauvres, j’avais pas les moyens y ont travaillé. L’autre, ma fille, elle a fait de la confection de casquettes à Paris, et l’autre je l’ai rentrée à quinze ans dans les écoles de Paris et jusqu’à maintenant. Elle vient de sortir, elle vient de prendre sa retraite. Voilà…
K : Quel était le rôle de vos amies femmes ?
J’avais des françaises, j’avais une tunisienne, à Paris, une tunisienne ici, et puis des autres algériennes que je les connaissais bien, mais on n’avait pas le temps de se fréquenter, d’aller une chez l’autre, ni rien, mais on s’aimait de loin. Moi j’aimais les gens. Quand quelqu’un y venait vers moi, moi je voulais faire quelque chose. Parce qu’y avait des femmes de policiers qu’y ont pas été heureuses, qui sont venues vers moi que je les ai aidées. Je les ai fait rentrer dans les écoles. Parce que le directeur il avait confiance en moi, les directrices, et tout ça, les gens y me connaissaient, moi quand je leur donnais une femme parce qu’elle a la volonté de travailler, c’est pas qu’y se pousse les doigts. Je leur dis : "Cette personne elle est bien, il faut la faire rentrer." Une tunisienne aussi, elle avait beaucoup d’enfants, elle arrivait pas, et je l’ai fait rentrer ; elle a travaillé jusqu’à qu’elle a pris sa retraite. Et quand je suis partie moi de l’école, on les a fait souffrir. C’est qu’on a gratté les écoles à Paris, nous. C’était sale. C’était dégoûtant. Moi quand je rentrais dans l’école j’étais pieds nus. Un jour l’inspecteur quand il a passé il m’a trouvée pieds nus en train de gratter l’école.
K : Et vous pensez qu’il y a une solidarité féminine ?
Ça oui, y’en a beaucoup, mais pas tous, parce qu’on les connaît pas toutes. Y’a des bonnes femmes qui ont du coeur, vous savez, même qu’elle a pas les moyens mais elle a le coeur vers vous. Les femmes y sont beaucoup plus solidaires après les autres, parce que ça nous fait de la peine, parce que nous on est déjà mères et on a des enfants, en voyant les autres c’est comme nous, c’est la même chose. Vous savez, quand vous faites du bien, vous êtes toujours fleuri. Quand vous marchez vous avez pas honte. Vous avez le visage qui brille toujours. Parce que vous avez pas fait de mal. Quand vous voyez une femme faible, faut l’encourager, faut l’aider parce que ça fait pas de mal, quand on encourage une autre. Et si vous pouvez faire, il faut le faire.
K : Avez-vous des projets aujourd’hui ?
À mon âge, non ! J’ai perdu mon mari, je voudrais vendre cette maison et acheter une autre. C’est ça, mon projet. Je veux pas rester, il m’a laissée… je peux pas… regardez à cause de lui j’ai perdu mon œil.
K : Vous auriez la même vie si aujourd’hui vous étiez plus jeune ?
Il faut un peu de respect, la femme faut pas qu’elle se fait trop montrer, il faut qu’elle se protège un peu mieux… Si y étaient bien je vivrais comme eux, mais la vie qu’y ont maintenant non. Je la veux pas. Même que je ferais le mendiant dans le trottoir.
Propos recueillis le 02/08/06 par Odile Fourmillier ; rédaction : Patricia Rouillard ; image d’archives.
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