Coquillages et crustacés
Sur la glace, les coquilles luisent et exhalent, les crevettes et les langoustes font leur French cancan : récolte marine à l’étal de Chez Toinou, cours Saint-Louis, où depuis six mois, Pascal Valero, 44 ans, est écailler : « Ce qui me plaît le plus, c’est de voir le plaisir que je procure en donnant une huître justement à une personne, en particulier des femmes parce que je préfère les femmes, qui prend plaisir à déguster cette huître. » De la mer au plateau, sens du métier et déclinaison de saveurs marines, selon les goûts.
Koinai : Depuis quand existent le kiosque et le restaurant ?
Alors, il a débuté il y a quarante-cinq ans. C’est Toinou, le père donc, qui a ouvert cette boutique. Il avait quelques paniers d’huîtres dans une petite rue derrière. Avant il faisait que de la vente à emporter. Le restaurant a été créé, euh... peut-être dix ans après.
K : Quels coquillages et crustacés offrez-vous ?
Des amandes, des moules, des palourdes, des huîtres, des tourteaux, des langoustines, des crevettes, des bulots... En tout, environ vingt-cinq sortes de coquillages et de crustacés. Au kiosque et au restaurant, c’est exactement le même produit. Y’a pas de cuisine donc on travaille pas les produits, on fait que les ouvrir, on les cuisine pas. Y’a pas de fruits de mer cuits, seulement les crustacés : crevettes, tourteaux, langoustes, et cætera.
K : D’où viennent les produits ?
Directement des fournisseurs. On ne fait pas du tout de poisson, il y a que de fruits de mer et les crustacés. Ils viennent de toute la France, quasiment : de Normandie, y’a des huîtres qui viennent d’Isigny, Itabeach, de la plage du débarquement de la guerre, de Bretagne, de la Marennes d’Oléron ou de Bouzigues. Ça vient quand même de toute la côte de France. Y’a les homards qui viennent du Canada ou des moules aussi de Hollande mais, en règle générale, c’est français. Selon la saison on en vend ou on n’en a pas, ça dépend : les huîtres par exemple sont bonnes plutôt l’hiver.
K : Y a-t-il des espèces qui apparaissent ou disparaissent du marché ?
Oui, effectivement : y’a vingt ans, par exemple, il y avait beaucoup plus d’huîtres plates, actuellement on fait surtout des creuses. En fait y’a quarante ans, ces huîtres plates avaient une maladie, donc elles sont devenues beaucoup plus rares et beaucoup plus chères, et on s’est rattrapés sur des huîtres qu’on appelle « portugaises » mais qui, en réalité, viennent maintenant du Japon.
K : Combien de temps se conservent les coquillages et les crustacés ?
Ils ont pas tous la même durée de vie : y’a des huîtres, elles peuvent tenir hors de l’eau, fermées, une semaine ; les moules c’est moins résistant, les palourdes aussi, les coquillages sont en général moins résistants que les huîtres. Tout dépend comme elles sont élevées : il y en a qui sont en permanence dans l’eau, donc qui ont pas le réflexe de se refermer hors de l’eau, et y’en a comme les Marennes d’Oléron qui sont élevées dans des parcs à huîtres où le soleil peut taper, ce qui fait que celles-ci sont plus résistantes hors de l’eau car elles ont le réflexe de se fermer et de garder leur eau. Une fois qu’elles sont ouvertes, il faut les consommer dans la journée. Ils sont tous vivants, si jamais ils sont morts on devient malade et on passe une nuit terrible ! C’est pour ça que c’est important de bien choisir l’écailler, pour être sûr, mais on n’est jamais sûr à cent pour cent. Par contre les oursins ça tient, ça reste vivant deux ou trois jours.
K : La congélation n’altère pas le goût ?
Un petit peu, bien sûr, mais on n’a pas beaucoup de produits congelés tels que les langoustes, le reste c’est frais.
K : Consomme-t-on les coquillages dans un ordre défini, selon leur saveur ?
Oui, absolument. C’est pour ça qu’on a plusieurs fournisseurs, chaque endroit a un goût différent, comme le vin, ça dépend du terroir. Il faut de préférence consommer en premier celles qui sont les moins fortes en goût, les plus douces, et après augmenter. Les bouzigues sont très salées, les Quiberons un peu plus iodées, les normandes un peu plus fines, après y’a les spéciales qui sont plus charnues, plus grasses, et les claires qui sont plus maigres. Pour obtenir des spéciales, on en met cinq ou dix au mètre carré d’eau et on les laisse plus longtemps ; comme elles sont moins nombreuses, elles vont avoir plus à manger et elles seront plus grasses.
K : Avec quoi les sert-on ?
Le mieux, c’est de les consommer nature ou avec un petit filet de citron, du pain, du beurre. Le vinaigre, ça dénature complètement le goût : vous avez plus la finesse de l’huître, vous avez que le goût du vinaigre qui passe dessus et on sent pas grand-chose. C’est plutôt pour les moules, mais y’a des clients qui les mangent avec du vinaigre. En boisson, de préférence le blanc plutôt sec, mais il y a des clients qui n’aiment pas le blanc, qui peuvent très bien les manger avec du rouge, c’est selon les goûts.
K : Est-il vrai qu’après avoir mangé des coquillages, on ne doit pas boire d’eau ?
Non, c’est faux. C’est mieux avec du vin, mais on peut boire de l’eau. Ce qu’il faut surtout, c’est mâcher les huîtres. Il faut pas les avaler d’un coup parce que l’estomac, il peut ne pas aimer.
K : Existe-t-il un plat marseillais typique composé de fruits de mer ?
Non, parce que comme ils produisent pas ici, y’a pas de spécialités pour les plateaux de fruits de mer. Par exemple, moi qui travaillais à Lyon pendant treize ans, on avait à peu près les même produits.
K : On dit que les huîtres sont aphrodisiaques, qu’en est-il ?
C’est pas faux : quand on consomme des huîtres, y’a quand même cette iode qui donne un peu la patate, quoi, comme un café. Les violets, c’est beaucoup plus iodé ; c’est vrai que moi, le matin, quand ils sont frais et pour avoir un petit coup de jus pour la journée, je peux manger des violets, ça donne la pêche.
K : Les coquillages sont-ils bons pour la santé ?
Absolument, oui : dans une douzaine d’huître sans beurre et sans pain, il y a moins de calories que dans un yaourt entier nature, donc c’est vrai que c’est très bon pour la santé, l’iode. Y’a beaucoup de vitamines, du magnésium, y’ a beaucoup de bonnes choses pour la santé dans les huîtres.
K : Quelle quantité moyenne constitue un repas ?
Une douzaine, en principe, avec quelques crevettes et du pain et fromage, après, éventuellement une pâtisserie .
K : Quelle est votre clientèle ?
Il y a quarante-cinq ans, on en a peut-être perdu depuis, mais ça reste quand même une clientèle sélectionnée, avec un pouvoir d’achat plus important. Mais bon, y’a un peu de tout et malgré tout, y’a des huîtres moins chères que d’autres : ça varie de trente à sept euros. Oui, il y a beaucoup de touristes, nous avons une clientèle suivie mais y’a beaucoup de nouveaux.
K : Pourquoi le prix des fruits de mer augmente, même en bord de mer ?
Tout simplement parce qu’à Marseille, on achète pas du tout de produits de Marseille : y’a que des moules, des bouzigues qui viennent de Sète, à peu près une centaine de kilomètres d’ici mais à part les oursins qui sont vraiment locaux, y’a pas de produits d’ici. C’est pas parce qu’on est au bord de la mer qu’on produit forcement des fruits de mer. C’est un produit luxe parce que c’est un produit relativement cher, et on pense facilement aux fruits de mer pour la période des fêtes, avec le champagne et cætera.
K : Retrouve-t-on les mêmes clients au restaurant et au banc ?
Plus ou moins. Euh... non, ceux qui les prennent à emporter et qui les ouvrent chez eux, ils vont pas les déguster dans le restaurant, c’est quand même deux types de clientèle.
K : Il y a des saisons où les gens viennent plus souvent ?
Oui, en hiver, mais avant les écaillers ouvraient que huit mois dans l’année, que les mois où il y avait un "r" dedans. Alors, ça remonte à la nuit des temps, à l’époque des Romains où ils étaient déjà friands d’huîtres et ils faisaient venir les huîtres dans les chariots remplis d’eau de mer tirés par des bœufs, donc le temps du trajet, en mai, juin, juillet, août, il faisait plus chaud donc les huîtres ne tenaient pas, c’est pour ça que traditionnellement on mange des huîtres que dans les mois en "r".
K : Les gens, toujours, suivent cette tradition ?
Les anciens, oui, les anciens d’un certain âge continuent de fonctionner comme ça mais maintenant, ils ont réussi à faire des huîtres qui ne se reproduisent plus et en fait, le problème quand la mer se réchauffe, les huîtres deviennent laiteuses et comme ils ont réussi à faire des huîtres stériles, l’été elles sont plus laiteuses, elles sont consommables comme l’hiver.
K : Les fruits de mer représentent-ils une tradition à Marseille ?
Oui quand même, c’est important. Bon, moi qui connais pas trop Marseille, les Marseillais sont friands de fruits de mer, à ma grande surprise, oui, ils aiment beaucoup les fruits de mer.
K : Quels sont les fruits de mer les plus demandés ?
Les plus demandés ça doit être les Marennes d’Oléron, elles viennent de Charente-Maritime ; les moins, peut-être les huîtres corses, on les fait de temps en temps ; les bouzigues sont un peu moins jolies.
K : Les clients sont-ils connaisseurs ?
Moyennement, pas trop. Y’a des connaisseurs, oui, qui savent ce qu’ils veulent, d’autres, simplement des huîtres à manger.
K : Posent-ils des questions ?
Oui, ils essayent quand même. C’est souvent : "Donnez-moi les meilleures huîtres," mais ça n’existe pas, les meilleures huîtres, ça dépend du goût de chacun : il peut y avoir des grosses, très grosses, des plus petites, des maigres, des grasses, des plus salées...
K : Parlez-vous cuisine, recettes ?
Non, non.
K : Y a-t-il des pratiques culturelles interdisant la consommation de coquillages ?
Non, c’est surtout dans les étangs, parce qu’on élève des huîtres dans les étangs aussi, donc l’eau stagne un peu, y’a moins de de roulement que dans la mer, donc une ou deux fois par an, il y a certains endroits où les huîtres sont interdites à la vente parce qu’il y a des bactéries dans l’eau.
K : Et des interdits alimentaires religieux ?
Euh ... c’est une bonne question, surtout à Marseille. Je sais pas, franchement je peux pas répondre à cette question.
K : Combien de restaurants ne servent que des fruits de mer à Marseille ?
En général très peu. Toinou, c’est le plus grand de France qui ne fait que ça. Moi j’ai travaillé chez le plus grand à Lyon, j’étais chef là-bas pendant trois ans et ici c’est encore plus grand et à Paris, y’a pas de structure où ils ne font que des fruits de mer, c’est que des brasseries où ils font la choucroute ou autre chose.
K : Êtes-vous en relation avec d’autres écaillers sur Marseille ou ailleurs ?
Oui bien sûr, je continue d’avoir des relations avec Merle à Lyon, par exemple, à mon avis qui était le plus perfectionniste dans l’ouverture.
K : Depuis combien de temps êtes-vous écailler ?
Moi, ça fait vingt ans. J’ai commencé par hasard parce qu’en tant que serveur, de temps en temps j’avais des trous et c’est vrai que ça m’a plu, je me suis pris au jeu, j’ai appris à ouvrir une huître ou deux, comme ça, et c’est un métier qui me passionne, que j’aime beaucoup.
K : Il y a des outils pour ouvrir les coquillages ?
Oui, un couteau et une bonne main ! Mais on apprend ce métier pour le faire correctement, pour avoir un certain rendement, en moyenne quatre cents huîtres par heure, en sachant déceler quand une huître est bonne ou mauvaise, parce qu’il peut y avoir une huître qui a une sale tête et qui va être bonne et une huître qui a une jolie tête et qui va être mauvaise. Ça, ça s’apprend pas dans les livres, c’est l’expérience qui fait la différence.
K : Ça peut être dangereux ?
Bè, un écailler qui ne se coupe pas, ça n’existe pas. On peut se couper avec le couteau ou avec l’huître parce que les huîtres sont coupantes, donc un écailler se blesse régulièrement. Y’en a qui se blessent plus souvent que d’autres !
K : Vous-même mangez des coquillages ?
Oui, de temps en temps y’a une huître qui me plaît au moment où je l’ouvre et j’en ai envie, mais c’est souvent le corps qui appelle l’iode : j’en mange pas tout le temps, je peux passer trois mois sans manger une ou alors une semaine, en manger beaucoup. J’aime bien les petites huîtres charnues, donc pas trop grosses mais dodues et fermes en bouche.
K : Vous avez une anecdote liée à votre activité ?
C’est surtout sur la bêtise humaine : je faisais une saison sur Argelès, près de la frontière espagnole, et j’avais un banc d’huîtres, beaucoup plus petit que ça parce que j’étais seul et j’avais un requin, un vrai requin exposé sur le banc et tous ceux qui le voyaient ne pouvaient pas s’empêcher de le toucher, donc j’avais demandé à un responsable qu’il écrive dans toutes les langues : "Ne pas toucher le requin". Un jour j’arrive, et je vois une petite fille de cinq ans à peu près qui touche le poisson, et là, son père, il voit que je vois la petite, il lui met une grande tape dans la figure et il lui dit : "Mais tu vois pas ce qu’il y a marqué sur le panneau ?" Et la petite lui dit : "Non, papa, ch’ais pas lire !"
Propos recueillis par Julie Cisarova le 19/12/07 ; rédaction : Odile Fourmillier.
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