De l’intérêt général à la morbidité locale
Nous sommes allés pêcher les avis de quelques adhérents de l’Association de Défense du Littoral et du golfe de Fos afin de savoir comment eux, en tant que citoyens et autochtones, vivaient vraiment la pollution au quotidien. Michèle Bertin, Louis Barnès, Sandrine Fernandez et Michel Dufray ont accepté de nous répondre, complétant ainsi les propos que nous a confiés Daniel Moutet, le président.
Voir en ligne : Koinai - Interview de Mr Moutet
Koinai : Je vous laisse le soin de vous présenter ?
Michèle Bertin, je suis retraitée, mais j’ai travaillé comme assistante sociale à la mairie de Fos pendant 22 ans.
K : Depuis combien de temps faites-vous partie de cette association ?
M.B. - Depuis cinq, six ans, à peu près.
K : Qu’est-ce qui a motivé votre engagement ?
M.B. - Ben le problème de l’incinérateur, la pollution qui va en découler et qui s’ajoute à toute celle qu’on a depuis des années avec toutes les usines. Et puis, tous les problèmes de cancer parce qu’il y en a...! Au cours de ma profession, j’ai vu des tas de gens mourir jeunes ou avec des maladies qui peuvent être liées aux conditions de travail, et puis l’ambiance dans les usines parce que quand on a parlé de l’enquête sur l’incinérateur, on a parlé du cercle autour de l’incinérateur qui se trouvait soit à dix kilomètres (mais quand on sait que le calcul de dix kilomètres c’est par la route et non par voie directe... parce qu’en fait on est à 1,8 kilomètres à vol d’oiseau donc c’est quand même pas pareil que dix kilomètres par la route) et puis on n’a absolument pas parlé, je crois, des 15 000 travailleurs qui sont sur la zone, à l’intérieur de ce cercle de 1,8 kilomètres. On a parlé de vent dominant, le Mistral. Le Mistral, effectivement, il souffle suivant les années, un petit peu plus que le vent du sud, mais c’est pas évident, ça veut rien dire, et puis si le Mistral nous évite les fumées de l’incinérateur, elles vont passer sur Port St Louis. Donc je veux dire, c’est complètement ridicule. Alors il y a des tas de gens qui ont mis des annotations sur l’enquête publique, mais personne n’en a tenu compte. Et en fait cette décision de construire l’incinérateur, c’est uniquement un problème politique.
K : D’accord. Donc c’est un peu grâce à votre travail que vous vous êtes sentie concernée ?
M.B. - Oui, oui bien sûr.
K : Vous êtes née ici, vous êtes de la région ?
M.B. - Avec mon accent, on doit penser que je ne suis pas de la région... Je suis de Lyon, et on est à Fos depuis 1974. Nos enfants sont nés ici et sont repartis sur la région lyonnaise. J’avoue sincèrement que je suis contente qu’ils soient repartis parce que je pense que l’air est un peu plus sain là où ils habitent (au nord de Lyon). C’est vrai que quand j’emmène mes petits-enfants sur la plage... c’est pas évident ! Y a vraiment du souci à se faire.
K : La pollution, comment vous la vivez, vous, au quotidien ?
M.B. - Au quotidien... Ben ça fait peut-être pas cinq ans que je suis dans l’association mais au moins quatre, et il y a deux ans j’ai été opérée d’un cancer de la thyroïde, dont l’évolution était le cancer généralisé. Donc j’ai eu une chance extraordinaire et je pense que ce qui est grave c’est que si moi j’ai eu de la chance, beaucoup de gens ne l’ont pas et sont morts, ou mourront rapidement, avec de tels problèmes.
K : Est ce que le lien a été reconnu avec la pollution ?
M.B. - Ah non... Vous savez, on n’arrive pas à avoir les statistiques du taux de cancers sur la région, alors on va pas reconnaître... Et quand j’ai posé la question à la chirurgienne qui m’a opérée, je lui ai dit "vous pensez pas qu’il y a un problème de pollution ?" Elle m’a répondu "vous savez, moi j’habite un petit village où l’air est complètement pur, où tous les gens ont des cancers." Alors le taux... Bon, il y a eu Tchernobyl, hein ? "Les nuages s’arrêtent à la frontière". Aujourd’hui, il y a le volcan qui éclate alors tout d’un coup on nous montre sur la carte les fumées qui se baladent... Tous les avions sont arrêtés. Là, on commence à paniquer ! L’incinérateur, quand il a été question de le construire, Aubagne était concernée. Aubagne s’est battue : ils n’ont pas eu l’incinérateur. Nous on se bat depuis des années... On a eu l’incinérateur. Pourquoi ? Parce qu’à cinquante kilomètres de Marseille, ben les Marseillais ont moins de risques. Seulement si eux, ils faisaient un petit effort pour trier leurs ordures et qu’il n’y avait pas le tout-venant dans les ordures qu’on va nous amener sur Fos, avec toutes les saletés qu’il peut y avoir, ça serait déjà un tout petit peu mieux. Alors que bon, on va mettre... Moi je connais des Marseillais, ils m’ont dit "Ah oui, on a commencé le tri sélectif." Donc il y a un an, on a mis X poubelles dans les quartiers riches, mais dans les quartiers plus populaires, il n’y a presque pas de poubelles.
K : Sans compter le scandale justement des déchets... Ceux qu’on avait triés, et qui sont quand même allés à la décharge. [1]
M.B. - Et puis même, on le voit. On est sur Fos, dans les poubelles, il y a quand même des gens qui mettent n’importe quoi, alors qu’à 200 mètres, on a une déchetterie où on peut trier. Donc il y a une conscientisation des gens à faire, mais il faut que chacun se sente concerné, quoi.
K : Justement, Mr Moutet nous disait qu’avec le PPRT, l’association allait gagner des adhérents. C’est dommage que les gens doivent être personnellement touchés pour se sentir concernés par ces problèmes !
M.B. - Oui mais les adhérents... ça va être ceux qui vont être touchés directement. Celui de la maison d’à côté qui ne sera pas touchée, ce sera exactement le même problème. Il ne se sentira pas concerné pour son voisin.
M’enfin, quand on pense que les usines font des milliards de profits, est-ce qu’il n’y aurait pas d’autres choses que de... enfin une autre prévention à faire que de faire faire des dépenses à des gens qui sont là depuis des années et des années...?
K : Monsieur Barnès, c’est à vous.
Je m’appelle Louis Barnès, je suis de Fos. Je suis entré à l’association à peu près au début. C’était pour Gaz De France, au début ; on s’est battus sur son emplacement. Parce qu’on ne voulait pas qu’ils soient sur la plage, tout simplement. Heu... De tout ça après, on est partis sur l’incinérateur. Là on s’est battus autrement : on était contre, parce que nous on s’est dit que depuis toujours il y a d’autres moyens pour traiter les déchets ménagers. Des moyens qui sont déjà moins polluants, qui sont à la base du recyclage, donc qui évitent de couper les arbres, de faire du gaspillage. On est contre aussi, parce que comme on vient de le dire, on s’aperçoit que dans cette zone de Fos, il y a à peu près 30 à 40 % de cancers de plus que la moyenne nationale.
C’est quand même quelque chose, un point où il faudrait se battre.
K : Les chiffres sont officiels ?
L.B. - Oui, oui. Les chiffres sont officiels. Ça fait deux-trois ans qu’on les a, ces chiffres. Le plus, c’est Port St Louis. Nous à Fos, on ne nous les a pas donnés, on nous a mis avec Istres. Mais enfin si vous voulez les chiffres exacts, on demandera à Daniel, il vous les donnera. C’est les chiffres qui ont été sortis dans la presse.
Ce qu’il y a, c’est qu’avant, quand il y avait un incinérateur, c’était des tonnages qui étaient beaucoup plus petits que maintenant. Donc quand on parle de normes, qui ne veulent rien dire, et puis que ces normes-là sont multipliées par le volume que l’on fait actuellement, ça n’a plus rien à voir, quoi... Parce que quand on dit 0,01 nanogrammes, un milliardième de gramme, évidemment ça fait pas beaucoup. Et on nous dit "mais vous nous emmerdez pour quoi, pour un milliardième de gramme !"... Mais quand on sait qu’il qu’il faut juste, pour créer un cancer, juste une molécule pour créer un cancer, il faut même pas un millième de gramme...!
Quand on est allés à Marseille pour avoir des renseignements, et qu’on a fait un petit exploit en montant sur les toits de la DRASS [2]... Une petite équipe est montée sur la terrasse de la DRASS pour avoir les chiffres de la région. Ben on les a sortis, simplement, avec la brigade anti-terroriste d’Avignon ! Il y avait onze personnes sur la terrasse ; il est venu d’abord les CRS, et comme ils n’étaient pas assez armés, malgré qu’on aurait dit des Robocops, derrière eux il est arrivé la brigade anti-terroriste d’Avignon... Pour onze personnes qui voulaient simplement avoir des chiffres sur le cancer !
Voilà comment on est traités ! Et donc on a fait des procès, on a fait... La population a fait des manifestations, on a fait des votes... La démocratie n’existe pas quand il s’agit de l’incinérateur, et surtout quand c’est monsieur Gaudin qui est là, et quand il y a monsieur Assante ; eux, sont très très près du pouvoir, et donc voilà... Et dire que... que Fos, comme a dit Gaudin, c’est le “trou du cul du monde” et que c’est pour ça qu’on le faisait là... Ce qu’il faut qu’il sache, monsieur Gaudin (mais il le sait très bien), c’est que les Marseillais, ils reçoivent autant de dioxine que nous, sinon plus. Parce qu’avec les vents, comme on disait tout à l’heure, ça porte très très loin, quoi qu’on en dise. Même les Alpilles sont touchées. Ce qu’il y a de rigolo, quand on regarde les chiffres... il suffit d’aller sur AirFoBep [3] pour s’apercevoir que bien souvent, celle qu’on dit “la belle côte bleue” est plus polluée que Fos sur Mer. Il suffit simplement d’aller sur internet et de voir les chiffres sur Airfobep [4] : vous verrez que bien souvent, les beaux villages où se reposent les Foucault et compagnie, ils sont autant pollués et tous ces gens-là, tous ces journalistes-là quand on demande à les faire venir pour constater, et même quand c’est FR3 ou quand c’est les journaux locaux, ils ont ordre de ne pas donner de chiffres. Que ce soit sur la Provence, que ce soit FR3...
K : ...On ne veut pas faire peur aux gens.
L.B. - Voilà. On a fait un petit aller/retour une fois à la direction de La Provence. On a fait aussi un petit bouleversement à FR3, comment ça s’appelle... à La Provence-Martigues : ça a été un petit peu chaud, même. On s’aperçoit qu’ils ne donnent pas de chiffres et qu’en plus de ça, ils donnent pas la vérité. Le problème est là. Quand ils ont parlé par exemple de la décharge d’Entressen, pendant des années, ils ont dit que l’incinérateur fermerait la décharge. Or c’est pas vrai puisqu’on sait qu’avec un incinérateur, il y a toujours 30 % qui partent en décharge ailleurs. Donc les 30 % de métaux lourds et compagnie, ça partira ailleurs. Et quand on parle de la décharge d’Entressen, grosse fumisterie là encore ! Mes parents me disaient, quand on peignait sur quelque chose qui était sale, "peinture sur merde = propreté". C’est ce qu’ils ont fait là-bas : ils vont faire beau ce qui est là, mais dessous, la merde y est toujours, et y sera longtemps alors qu’il aurait fallu peut-être commencer déjà à dégager tout ça, à traiter tout ça, et après de voir un peu pour s’occuper de l’incinération.
Un incinérateur ça sert à rien. L’incinérateur, c’est la seule machine qui rentre des trucs qui sont sales, enfin, même qui sont propres puisqu’on y met du bois, on y met du papier, qui rentrent propres et après ça sort, en déchet. C’est une machine à fabriquer des poisons. Voilà ! C’est que ça. Alors qu’il y a beaucoup de moyens pour traiter les ordures ménagères. Donc je suis contre tout ça, me bats là-dessus et je me battrai toujours.
K : Vous faites quoi, comme métier ?
L.B. - Je suis maintenant employé par la retraite. (rires)
K : Et vous faisiez quoi ?
L.B. - J’étais à Sollac [5]. Enfin j’ai fait les fonds publics, et puis je suis rentré à Sollac.
K : Madame Fernandez, parlez-nous de vous.
Alors moi je suis Sandrine Fernandez, secrétaire salariée de l’association et adhérente depuis peu, depuis six mois.
K : Est-ce que c’est votre emploi qui a suscité votre engagement par rapport à l’environnement ?
S.F. - Et l’intérêt surtout de fait. Moi j’ai pas pu m’engager avant, parce que j’ai une enfant de seize ans qui a eu de gros problèmes de santé. Elle est née avec plusieurs malformations.
Je l’ai suivie d’abord elle, puis après la vie a fait que j’ai du travailler, et là, cet emploi, c’est vrai que ça a suscité autre chose.
K : C’était pas particulièrement un sujet qui vous attirait, avant ?
S.F. - Ça m’attirait, mais j’avais peu de temps parce qu’une enfant malade, on s’en occupe, on a des obligations familiales. Et puis voilà, jusqu’à présent j’ai eu peu de temps. Maintenant je travaille dans l’association, je m’y intéresse plus fortement et j’apprends plein de choses. J’évolue.
C’est vrai je me suis aperçue de beaucoup de choses, en travaillant au sein de l’association. On est mal informés. On sait pas toujours les choses.
K : Comment vous vivez la pollution au quotidien, est-ce que vous la constatez régulièrement ?
S.F. - C’est-à-dire que je la constate plus maintenant parce que je fais plus attention en fait à tout ce qui se passe au niveau des usines, des odeurs... C’est vrai que je faisais moins attention avant.
K : Vous ne vous en rendiez pas compte, avant ?
S.F. - Si, je m’en rendais compte. Ma fille a été obligée de partir un an de Fos. Elle avait huit ans quand elle est partie, parce que justement, trop de pollution... Elle est partie un an sur Briançon. Donc je le savais, je le sais, mais quand on a un travail... Mon mari a un travail fixe par ici, donc c’est pas toujours évident de partir comme ça ; elle part depuis qu’elle a cinq ans et demi, toutes les années. C’était un mois, deux mois, et là à huit ans elle est partie pendant un an.
On le sait : elle est là, la pollution, mais des fois on peut pas faire autrement. Malheureusement, financièrement, c’était pas possible de partir vivre ailleurs. Bon, elle a seize ans, elle ne part plus depuis deux ou trois ans mais on le sent. Dès qu’il y a un peu trop de "mauvais air", je ne sais pas comment le dire, elle a les poumons qui s’encombrent. Donc on la vit, la pollution... Je la vis mal, elle la vit mal mais après... voilà, quoi. C’est pas toujours évident de partir. Et puis c’est encore à nous de partir, c’est surtout ça !
K : Vous êtes originaire d’ici ?
S.F. - Non. Je suis originaire du centre de la France, mais j’ai 38 ans et il y a 32 ans que je suis sur la région. Non, même plus. 36 ans ! J’avais deux ans quand je suis arrivée ici. Voilà.
K : Monsieur Dufray, à votre tour. Dites-nous qui vous êtes.
Je m’appelle Michel Dufray, j’ai travaillé à Sollac à partir de 74, je suis retraité. Je viens du nord de Clermont-Ferrand. Un petit village qui n’a pas de pollution... Où on peut pêcher en toute liberté des poissons qui ne sont pas comme dans le Rhône !
On a formé l’association avec Daniel. J’étais le secrétaire, et on s’est battus justement pour Gaz De France, pour l’implantation de cette usine, là, qui empiète sur la plage et qui nous mange un petit peu toute l’économie de Fos, parce qu’elle diminue un petit peu la plage par rapport à l’implantation de ces cuves qui sont installées. Alors ça nous embête et maintenant, on vient d’installer un incinérateur, encore plus dangereux que les cuves ! Nous nous sommes battus (un millier de personnes) et nous n’avons pas réussi à faire plier le gouvernement, pour ainsi dire. Monsieur Gaudin, ses poubelles, il les traite chez lui, il vient pas les traiter chez nous ! Il nous amène toutes ses ordures. C’est pas logique, dans un sens... A 50 kilomètres, avec le trafic routier que ça représente (et les camions qui puent quand on les suit, d’ailleurs)... C’est une aberration. Voilà.
Alors par rapport au tri : il n’y a pas de tri.
Les camions arrivent, ils se vident. Bon, on dit qu’on met le bois d’un côté pour alimenter la combustion parce qu’il n’y a pas assez de combustion avec les autres déchets, les plastiques, les trucs... Il n’y a pas de tri. Je m’aperçois qu’on peut rien faire... L’enquête publique n’a rien donné ; d’ailleurs les enquêtes publiques, on n’en tient pas compte. Le commissaire-enquêteur, il réunit pour voir un peu ce qu’il y a de marqué, mais il n’y a pas de suites.
Je faisais partie des écolos à haut niveau, et... indépendants. J’étais avec Voynet, avec Waechter... J’ai fait des conférences à Lyon, à Nantes, à Clermont-Ferrand et on s’aperçoit que contre l’État, on peut pas. Y a rien qui sort. Alors on nous laisse des installations qui sont à haut risque pour la santé. On voit des gens sans arrêt, qui ont les yeux qui pleurent, qui éternuent... Et c’est dû à quoi ? Avant ça se passait pas. Quand je remonte à Clermont-Ferrand, j’ai pas ces problèmes de respiration. Et là...! D’ailleurs, je dois aller me faire opérer : j’ai les artères qui se sont un petit peu rétrécies. On m’a dit que c’est dû au climat ici.
Alors je suis outré de voir nos élus, qui sont venus nous soutenir, que ce soit Vauzelle, Guérini, Caselli, dire "l’incinérateur ne se fera pas à Fos". Et après, il y a eu machine arrière. Je ne sais pas ce qui s’est passé... Je m’en doute, mais bon. C’est quand même pas bien de leur part.
Vauzelle qui s’est fait réélire, là, il n’est même pas venu nous voir pour l’incinérateur. Quand je le vois il me dit bonjour, mais on ne parle pas de l’incinérateur. Il ne veut pas en entendre parler. C’est quand même notre représentant de la région PACA ! Alors à qui il faut s’adresser ?
K : Il paraît que le maire de Fos est très engagé ?
M.D. - Le maire de Fos est très engagé, il est venu avec nous, il a pris des coups de gourdin par les CRS à Marseille... D’ailleurs il a gardé une matraque, parce que quand il a voulu le frapper, il l’a attrapée, il a arraché la matraque du CRS. Il l’a en souvenir.
Michèle Bertin : Il a quand même eu des côtes cassées !
Michel Dufray : C’était Michel Caillat, le maire d’Istres, qui a eu beaucoup de problèmes. Parce qu’on voulait rencontrer les élus à la mairie de Marseille, et ils ont pas voulu nous laisser passer, quoi. On était avec les chevaux et tout, mais ils étaient avec leurs matraques. Et ce qui est aberrant, c’est qu’il y a des cameramen, des CRS qui ont des caméras et qui filment. Et après on convoque ceux qui se battent pour défendre leur territoire... On est prêt à les inculper, à les mettre en prison. C’est la démocratie, ça ? Nous, on y allait pour parler. On n’y allait pas pour se battre. On veut discuter avec eux. Les faire reculer. Mais on ne peut pas y arriver...
Alors maintenant la santé de nos enfants... On nous dit maintenant avec les dioxines qui vont partir, les enfants vont être malformés, il y aura de l’impuissance, il y aura... toutes espèces de facteurs que va entraîner cet incinérateur. Et l’arrêter, on peut pas !
K : C’est sûr qu’avec 40 % de cancers en plus, il y a de quoi être inquiets...
Michèle Bertin : On parle de 40 % de cancers, mais on ne parle pas des malformations...!
J’ai beaucoup de naissances autour de moi, et puis je me rends compte qu’il y a une petite malformation d’un côté, une petite malformation de l’autre... Pas des choses très graves. Mais il y a des trucs... Alors bon, ça peut être Tchernobyl, ça peut être la pollution autour des grandes villes, ça peut être beaucoup de choses... mais si en plus on rajoute, alors qu’il y a déjà une zone industrielle très importante...! C’est terrible.
Michel Dufray : On va rajouter une centrale à charbon. Alors ça aussi... le gaz carbonique... On en rajoute, on en rajoute, qu’est-ce qu’il faut faire ? Il faut rester à Fos ou partir ? On est bien à Fos... on a la plage, on a la pêche, on a les touristes...
K : Les malformations sont fréquentes ?
Michèle Bertin : Je peux pas savoir le taux parce que c’est difficile, mais c’est des choses qu’on... C’est pas quantifié, donc c’est difficile de savoir. Mais vous verrez, quand vous allez entendre parler de naissances autour de vous, vous allez voir : "ben tiens, il y a une malformation à une oreille", ou des doigts de pied qui sont... machinés, ou bien un petit truc cardiaque...
Michel Dufray : Il y a sept ans d’incubation. Alors avant, il faut attendre sept ans ! Pour l’instant on brûle pas beaucoup. Mais quand on va avoir une capacité de 400 000 tonnes à l’année... Là on va se poser des questions. Alors sept ans d’incubation... Bon on sera peut-être plus là, nous on est retraités. Mais nos enfants, nos petits-enfants... Attendez, il faut réfléchir, là. Il faut faire quelque chose !
Michèle Bertin : Surtout que c’est sur une zone qui est quand même assez étendue. La pollution jusqu’aux Alpilles... ça fait combien en ligne directe, 40 kilomètres ? Marseille, ça fait 50 kilomètres ? En ligne directe ça fait peut-être pas 50 kilomètres, mais ça fait au moins 40 kilomètres tout autour de cet incinérateur. Bon, ben vous comptez la population qu’il y a, plus les allées et venues, les gens qui travaillent sur le site et qui habitent un peu plus loin...
K : C’est sept ans d’incubation par rapport à quoi ?
Michel Dufray : Par rapport à la molécule. A partir du moment où on est contaminé par une molécule, il faut sept ans avant que le cancer ne se déclare réellement.
K : Donc on pourrait vivre ici, être contaminé, déménager l’année d’après et découvrir ça quelques années plus tard, et le lien ne sera pas forcément fait, quoi...
Absolument.
Michèle Bertin : On parle de la pollution de l’incinérateur, mais on parle pas de la pollution du Rhône, où il y a des gens qui sont contaminés parce qu’ils ont pêché et qu’ils ont consommé leur poisson. Et tout le Rhône est complètement pollué...! [6]
Michel Dufray : au mercure.
Michèle Bertin : Comment c’est... du Pyralène [7]. Il y a eu une enquête sur Arles où il y a des gens qui ont accepté d’avoir une prise de sang pour évaluer justement leur contamination, et il y a des tas de gens qui sont contaminés au Pyralène. On l’a détecté dans le sang.
Michel Dufray : Justement, il y a eu une étude épidémiologique qui a été faite. On n’a pas les résultats encore. Sur Port St Louis, il y en a qui se sont...
Michèle Bertin : Oui, à Port St Louis, Arles, parce qu’ils sont au bord du Rhône... J’ai un ami qui est médecin, qui est à Arles et qui est pêcheur, et qui lui, est contaminé. Je veux dire que ça touche tout le monde. C’est terrible...
Il y avait un projet d’usine de méthanisation. Où est-ce que ça en est ?
Michel Dufray : Théoriquement, ça suit son cours. Ils parlaient de faire la plus grande usine de méthanisation pour alimenter les centrales électriques... Faire de l’électricité pour les usines. Avec l’incinérateur, ça comblerait... On est un peu saturés dans le kilowatt qu’on nous envoie ! C’est pour ça qu’ils ont fait des éoliennes, d’ailleurs. Et cet incinérateur, il est prévu pour faire une centrale électrique.
K : Pour revenir sur votre engagement : vous n’avez pas attendu GDF pour être engagé par rapport à l’environnement, si j’ai bien compris. Depuis quand vous l’êtes, à peu près ?
Avant, j’étais... ouais mais j’avais abandonné ! Comme j’ai déménagé, j’avais un peu abandonné... Mais j’ai été très engagé pendant une dizaine d’années. Avec Waechter, les indépendants. Parce que je ne voulais pas faire partie d’un parti politique.
K : Qu’est ce qui a suscité votre engagement écolo ?
Le respect de la nature ! Et polluer, c’est le pire qu’on puisse imaginer. Tout ce qui se passe dans la Crau, là, c’est pollué. On mange des pêches, elles sont belles, elles sont merveilleuses...
Michèle Bertin : Elles sont magnifiques, elles ont un goût formidable !
Michel Dufray : Ça vous fait saliver d’ailleurs de les voir, mais... au fond, est-ce qu’elles ne contiennent pas des dioxines, ces pêches ? Même les salades... tous les produits, même les moules, avec la Sollac, les rejets qu’il y a... Quand il y a des vents, il y a tous les charbons qui s’envolent. Ils viennent de Sibérie, les charbons et on sait pas ce qu’ils contiennent ! Ah, on est mal barrés. Et le gouvernement ne nous entend pas.
[2] Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales.
[3] Voir notre interview du président d’AirFoBep, Mr Mauro :
http://www.koinai.net/mutations-urbaines/le-tri-arrive/article/empyreumes
[4] Association pour la Surveillance de la Qualité de l’Air de la région de l’étang de Berre et de l’ouest des Bouches-du-Rhône - http://www.airfobep.org/
[5] Sollac , acronyme de SOciété Lorraine de LAminage Continu, est une société sidérurgique qui a marqué l’histoire industrielle française de l’après Seconde Guerre mondiale, principalement en Lorraine, mais aussi à Dunkerque et dans les Bouches-du-Rhône. Depuis 2006, cette société fait partie du groupe ArcelorMittal sous les noms d’ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, ainsi qu’ArcelorMittal Méditerranée. [Source : Wikipédia]
[6] A ce sujet, voir par exemple l’article de Rue89 : http://www.rue89.com/2007/09/01/le-pyralene-poison-des-poissons-du-rhone
[7] Les PCB, ou PolyChloroBiphényles, sont des dérivés chimiques chlorés plus connus en France sous le nom de pyralènes. Ils n’existent pas à l’état naturel.
Depuis les années 1930, les PCB étaient produits et utilisés dans l’industrie pour leurs qualités d’isolation électrique, de lubrification et d’ininflammabilité. On les retrouvait comme isolants dans les transformateurs électriques et les condensateurs, comme lubrifiants dans les turbines et les pompes ou comme composants d’huiles, de soudures, d’adhésifs, de peintures et de papiers autocopiants.
Il est avéré que les PCB posent des problèmes de toxicité. C’est pourquoi, depuis 20 ans, ces substances ne sont plus ni produites, ni utilisées dans la fabrication d’appareils en Europe.
Cf. http://www.sante-sports.gouv.fr/les-pcb-ou-polychlorobiphenyles.html
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