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Les barres de Pépé - Au travail ! - L'enfance de l'art - La revue du témoignage urbain

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L'enfance de l'art

Les barres de Pépé

Du goût de leur enfance à leurs amours de chocolat

Sur une étagère de la boutique La Chocolatière du Panier, dans la rue homonyme, une discrète boîte en métal évoque le souvenir de cet arrière-grand-père qui y faisait fondre le chocolat pour Noël et Pâques : « Mon grand-père le fabriquait pour nous, par souci d’économie. C’est son père qui lui avait appris. » À 40 ans, Michèle Le Ray, aujourd’hui 64 ans, a relancé un savoir-faire issu d’une longue tradition familiale et l’a transmis à Marine, 23 ans. Métier de mère en fille, depuis trois générations : palette de saveurs d’un artisanat gourmand.


Les barres de Pépé
 Les barres de Pépé

Voir en ligne : cacao , praliné

Michèle : Un rêve d’enfance, moi non : circonstances de la vie, et l’obligation. Ça me plaisait, mais je n’avais pas choisi. J’y suis née dedans, y’avait quand même le savoir-faire en le faisant une fois par an mais ça s’était un peu perdu et moi, j’étais agent immobilier et j’ai dû arrêter à cause de problèmes d’agoraphobie et de spasmophilie, et j’étais enceinte, et mon père me dit : « Si on faisait les barres de Pépé ? »
Marine : Ça s’est imposé naturellement, de toute petite j’ai toujours su que ce serait mon travail. Je vois pas pourquoi j’aurais fait autre chose, parce qu’on a une clientèle, une enseigne connue à Marseille et faire des études ça coûte de l’argent. Moi j’ai toujours eu de l’argent si je travaillais, donc j’ai fait un bac littéraire, j’ai continué dans le management, mais j’ai ouvert mon entreprise l’année du bac et j’arrivais plus à étudier, donc j’ai dû faire un choix mais j’aurais pas pu faire ça si ça me plaisait pas. C’est contraignant, mais y’a tellement de côtés agréables : la création où on fait de la décoration autant sur les produits que dans les magasins, le contact avec la clientèle, et aussi simplement le produit. On est interviewées, représentées, c’est sympa. J’utilise mes autres capacités puisque j’ai fait une émission en anglais, j’ai des clients anglais, les Italiens en italien, les Chinois, les Espagnols en anglais…
Mi : Quand elle a commencé, y’a le côté réaction négatif : je lui ai mis les points sur les i, parce que choisir maintenant c’est pas évident, on prend ce qui se trouve dans le travail : « Tu décides : tu prends l’orientation dans le chocolat où on peut t’apprendre, ou tu te lances ailleurs. »
Ma : Dodo, télé, l’adolescence c’était plus ça, et dépenser les sous de maman c’était pas possible (rire) ! Ma grand-mère a toujours travaillé, elle a connu la Seconde Guerre Mondiale, ma mère est née en 43, c’est cette génération. Les années 60, ils se sont acharnés au travail, après avoir vécu tout ça. Chez moi on se levait tôt, on se couchait tard et devant la télé, on continuait à faire les nœuds, donc j’ai connu que ça et ça me paraît normal de travailler, et de travailler beaucoup. On a aussi d’autres récompenses, quand le travail nous apporte du positif.

On fait le chocolat à l’ancienne. On peut utiliser des machines, des produits déjà coupés, mais c’est pas le même résultat. On a opté pour un travail plus difficile, mais on aime bien revenir aux méthodes à l’ancienne.
Mi : Oui, pourquoi y’a ces saveurs ? Par tout ça : on évite le maximum de différence de température, et le chocolat ne peut être que gagnant. D’ailleurs on va être à la foire, les vingt-deux plus vieux commerçants de Marseille, pour des démonstrations. Quand les écoles viennent, je leur fais tabler, on l’a fait cette semaine et les enfants ont trempé leur chocolat eux-mêmes, ils se sont régalés. Ils faut qu’ils apprennent, il peut y avoir une panne d’électricité, aussi.

Le chocolat, c’est du cacao avec du sucre, plus ou moins. On va jusqu’à 99 % de cacao, ça c’est très fort. On utilise des fèves pas super amères sinon c’est pas mangeable. Nos fèves, c’est très important. Depuis l’ouverture, le chocolat que je fabrique a toujours le même goût : c’est le goût de mon enfance. Mais un peu comme toutes les récoltes, ça n’a jamais les mêmes saveurs d’une récolte à l’autre, mais mon grand-père m’a appris à rééquilibrer parce qu’on a quand même la connaissance des fèves de cacao, tout est là. Il parlait toujours de fèves mangeuses, parce que y’en a une qui va lever l’acidité et on la mélange à une autre quand c’est trop fort et on arrive toujours à rééquilibrer, j’ai tellement l’habitude... On met un peu plus d’équateur, parce que c’est la fève la plus douce de la planète, qu’il soit agréable à manger. Chacun aura sa forme, aussi : je le fais le plus fin possible, si c’est un bloc ç’a pas du tout la même saveur.
Ma : Des fèves un peu fruitées pour que ce soit un peu corsé mais pas trop. On le fait nature ou aux fruits secs : ça c’est pour les amateurs de chocolat très noir, ou les diabétiques. Le raisin sec sucre le chocolat, pour diminuer le sucre et avoir le plus de magnésium. Je me suis habituée au noir et au 99 %, c’est pas mon préféré mais ça m’arrive d’en manger. Les enfants, pour leur santé, si on leur met du 70-72 %, il s’habituent. Notre clientèle de plus en plus aime le noir et les enfants, la plupart de nos clients ne leur prennent que du noir.

Maintenant on trouve plein de nouvelles vertus, le cacao s’utilise pour plein de choses, alors je sais pas si c’est pas l’effet de la mode…
Mi : La pharmacienne nous disait que ça fait du bien pour la vue, et mon professeur à la Timone m’a dit : «  Vous déprimez, achetez du chocolat sans sucre ! » Combien on en a eu, des clients comme ça !
Ma : On a même une cliente qui ne digérait absolument rien et qui était sevrée. Grâce au cacao, que du 99, elle digérait. Elle avait une très bonne relation avec ma grand-mère, et elles ont réussi à s’entraider.
Mi : Alors on peut se dire, ça a des propriétés… D’ailleurs pour la rentrée, je vais faire toute une gamme de chocolats avec les plantes de la Maison Blaize.

Tous les chocolatiers, on utilise des grands crus. Dans l’industriel, c’est autre chose.
Ma : On a fait le Salon du Chocolat à Paris, le concours du chocolatier, et là, on voit la diversité qu’il y a dans le chocolat. À Marseille, on a tendance encore à faire un peu la même chose et c’est dommage. À Paris, y’en a qui font des fleurs en chocolat avec des dragées, des peintures sur du chocolat, chacun a sa spécificité et ça serait bien que chacun développe une idée qui vienne d’eux. En général, les copies sont pas terribles, en plus, et y’a tellement de choses à développer, à innover... Mais de plus en plus de chocolatiers se montent et tant mieux. Beaucoup de grandes maisons travaillent sur leur réputation et commencent à aller dans l’industriel et y’a plein de nouveaux artisans qui font du vrai chocolat, le petit chocolat, le chocolat en vrac... C’est plus difficile pour eux parce qu’une entreprise, même si la qualité diminue, ils continuent à travailler sur le nom un certain temps, mais c’est peut-être aussi ça qui leur laisse un marché un peu florissant à Marseille. Nous, on est beaucoup copiées, il faut se démarquer tout le temps. On nous dit : « Mais déposez les noms ! » Si je dépose, j’augmente mes prix et par exemple les lingots marseillais, ça s’appelait la barre marseillaise : c’est pas nous qui l’avons nommée comme ça, ce sont nos clients. Quelqu’un m’a piqué le nom, a refait la barre, on a voulu faire un procès et ça coûtait tellement cher, ça prenait tellement de temps qu’on a laissé tomber. Bè, à l’heure actuelle, un autre concurrent a fait la moitié de la barre et a appelé ça l’Authentique ! Moi, ça m’amuse, maintenant ils se bouffent entre eux, hè ; heureusement que j’ai pas déposé, parce que je me faisais quand même avoir. Autant innover, les clients feront leurs différences, et ils pourront pas toujours nous copier parce que finalement, ils ont toujours un train de retard.

Koinai : Vous faites des créations ?
Ma : Oui, mais lesquelles, on peut pas savoir à l’avance parce qu’on fait un peu sur le tas. En ce moment c’est le henné qu’on essaye de travailler parce qu’on nous en a ramené du Maroc et pour l’instant, on a pas trouvé mais ça nous a amenées à faire du chocolat aux épices à couscous, puisqu’on était dans le côté un peu oriental. Mais c’est pas seulement de nous, souvent nos clients viennent avec un produit : « Faites quelque chose avec ça. » Des fois on y arrive, des fois pas… Y’a quinze ans, on a ramené à ma mère de l’essence de rose fraîche, pas traitée, de Turquie. Maintenant, la rose, tout le monde l’utilise mais à l’époque…
Mi : Un commissaire-priseur m’a demandé de lui faire des marteaux, alors moi je suis jamais allée dans les salles de vente, j’allais lui faire des vrais marteaux ! « Non non, y me dit, je vais vous montrer ce que c’est… » (rire) Y’en a un qui m’a demandé un jeu de boules avec les distances, le cochonnet, les boules. Toujours je dis : « Je sais pas si je vais y arriver  » et j’y arrive ! Parce que j’ai envie, voilà, ils me communiquent l’envie. Oh oui ! La passion, moi j’ai besoin de ça ! D’ailleurs, je vais vous raconter une anecdote à ce sujet : pour la Fête des Mères je faisais des cœurs, et des clients me demandaient s’ils pouvaient mettre quelque chose dedans. On fait beaucoup de choses sur mesure, ça nous plaît. Ce monsieur est arrivé avec une petite boite de bijoux, il me fait voir, eh bè y’avait une bague avec un petit brillant de deux carats qu’on a posée, fermée et tout. Ç’a été le coeur le plus cher de ceux qu’on avait !

K : Quels sont les arômes qui se marient avec le chocolat ?
Ma : Ça dépend des produits, nous on utilise des produits de qualité donc y’a des choses qu’on fait pas, on utilise pas d’essence artificielle.
Mi : Ça le rejette, le chocolat le développe, tout ce qui n’est pas naturel encore plus et c’est une horreur. On est arrivées au melon, c’est fin, comme goût. On a trouvé un bon melon, une bonne façon de le confire.
Ma : Dans le commerce on trouve des chocolats à la fraise, à la passion… Nous, la fraise reconstituée ça nous plaît pas, et on n’a pas trouvé de fraise qui convienne à notre mode de fabrication. On a essayé avec la fraise confite mais dans le chocolat elle a pas de goût, la fraise sèche pareil. Le chocolat peut prendre le goût du produit ou le produit prendre le goût sur le chocolat et on aime sentir les deux, bien sûr. Les plus classiques c’est l’orange, la cerise, le melon, la figue, le gingembre, mais on en fait un peu à tout : fenouil, oignon et pâte de cassis, des fois pâte de coing parce que c’est un peu plus neutre.
Mi : On invente toujours ! C’est de plus en plus, on travaille plein de variétés. L’oignon, ça fait des années que je le fais.
Ma : On le travaille sucré, plus salé, salé-sucré… Dans les galettes, ça fait chocolat noir et oignon croustillant, dans des Florentins, des fruits secs caramélisés avec ou sans chocolat, l’oignon est caramélisé, il a un goût assez doux et dans les lingots marseillais, ça va faire plus salé-sucré, mais ça reste assez doux. On l’avait apporté au Salon du Chocolat en 2005 et ç’avait fait fureur, mais il a pris un envol fulgurant en 99 avec la venue du Président Chirac pour la noisette salée à l’huile d’olive. On a tous les partis, vraiment. À la rue Vacon j’ai vu Vauzelle, Juppé est venu ici, Gaudin vient souvent, Clara Morgane aussi (rire)… Amanda Lear, on l’a paumée malheureusement, elle était venue y’avait encore ma grand-mère, y’a une dizaine d’années parce que Coccinelle, un des premiers travestis habitait au Panier, elles se connaissent très bien et elle nous envoyait pas mal de clientes.

Tout ne marche pas : la fraise, pour l’instant on sait pas. Le but c’est que ça ressemble à quelque chose, que ça nous plaise, que ce soit harmonieux.
Mi : La lavande, j’ai mis des années pour y arriver. Il suffit pas d’acheter de l’essence artificielle, de mélanger. Y’a des intolérances au niveau du chocolat : j’ai toujours voulu faire un chocolat au Grand-Marnier, au début excellent, au bout de trois jours moins bon et au bout d’une semaine, un goût de Javel !
Ma : Un confrère fait de la ganache au vin et il arrive parce qu’il fait son système de fabrication à lui. Nous on fait pas les chocolats avec le beurre et la crème, donc le vin on pourra pas le travailler. Chacun son chocolat, ses méthodes, et ses intolérances. Tous les jours on apprend, autant des rapports humains avec les salariés, les clients, qu’avec les produits. On est à l’affût des nouveautés, des nouvelles techniques.
Mi : Le plus gros problème c’est de trouver les bons produits : plus ça va, moins on trouve et y’a des tas de choses qu’on fait plus. On avait un artisan d’Australie qui faisait des figues confites, une merveille ! Je les mettais dans le rhum, même les clients m’achetaient les bocaux. Ils ont arrêté, je n’ai plus trouvé l’équivalent donc je fais les figues autrement, parce que ça n’a plus la même saveur.

Ma : La préparation, oh ! Mais, toute la journée ! On met déjà quatre jours pour les lingots marseillais : y’a des plaques sur lesquelles on met une couche chaque jour, que ça prenne bien. Il faut d’abord couper les fruits, quand on a les amandes les faire griller, donc quand on a toutes nos préparations y’a les lingots, les tranches, les petits chocolats, y’a plusieurs étapes et on a plus de deux cents variétés, qu’on fait pas tous les jours, heureusement.

Mi : Les ustensiles, c’est beaucoup d’inox, des pinces, des cornes pour racler le chocolat, des plaques…
Ma : On a beaucoup de pinces différentes, des pinceaux à décorer, des formes, la fourchette, des fois…

Ah ! Oui, des habits plutôt foncés et un grand tablier, parce que on se salit, hè . Et des gants, mais ça dépend du poste : pour la décoration ça peut être plus facile mais, y’a des choses plus manuelles où il vaut mieux se laver les mains avec les produits anti-caustiques. Ça dépend des gens, s’y sont allergiques, mais on peut travailler avec des pinces. Ça peut être dangereux aussi, quand on découpe par exemple les fruits ça enlève une partie de la sensibilité, le gant. Des salariés se sont coupés parce que ils avaient des gants, donc ils prêtent moins attention et en coupant assez vite… On alterne les postes : décoration, manutention, après la vente, donc on fait pas la même chose toute la journée.
Mi : Quand je fais une tranche à l’orange, je mets pas de gants parce que mes oranges sont gluantes, je me pègue toute, et avec une corne on n’a pas besoin d’y mettre les mains. Lorsqu’on décore des sujets avec de l’or ou de l’argent non plus puisque c’est mon pinceau qui travaille. Chaque fois que je peux ne pas utiliser les gants, je préfère, j’ai plus de maniabilité.

Ma : L’été on va commencer plus tôt par rapport à la chaleur, si on le fabrique l’après-midi il prend pas, il sèche pas, il blanchit. On fait nos livraisons le matin, et ça bouge plus parce que les magasins sont plus frais donc il se garde à température ambiante. Y’a pas de matières périssables, d’oeufs, de crème…
Mi : Il se conserve deux mois et nous, on le vend frais : on peut le faire toute la journée, on va jouer avec le frigo, mais plus il aura du frigo plus il va relâcher, c’est fragile. Y’a des produits qui vont travailler au chocolat de ne plus blanchir, mais c’est pas naturel. C’est pour ça que ç’a été autorisé, les graisses végétales. Des biscuits avec du chocolat dessus, il est toujours brillant parce que y’a une matière grasse ajoutée.

C’est un métier plutôt masculin, parce que c’est quand même assez physique : y’a des poids à porter toute la journée, donc vider tout ça, porter des plaques de dix kilos jusqu’au frigo, les reprendre, les tourner…
Ma : La décoration, c’est peut-être plus féminin. Le gros travail, maintenant, y’a des machines, ça facilite mais par exemple l’été, on utilise pas nos machines parce que la chaleur est décuplée alors on fait tout à la main, on a des petites quantités mais là on travaille vraiment à l’ancienne : ma mère table le chocolat, on touille nous-mêmes, comme quand on a commencé, et dans les grosses cuves c’est pas toujours du chocolat liquide, y’a aussi du praliné mélangé donc c’est assez physique.

K : Au départ, un local si petit, c’était voulu ?
Ma : Non : d’abord, au Panier, pour trouver des grands locaux c’est pas évident, donc y’avait quand même 49 m², mais c’est simplement que ma grand-mère avait une très forte personnalité et son décès nous a beaucoup affectées. On est une petite famille, on était que trois donc on avait ce local-là, il fallait continuer à travailler mais on ne pouvait simplement plus rentrer… Voilà pourquoi on a changé.
Mi : C’était une thérapie, celui-là, c’était un renouveau pour nous.
Ma : On avait besoin de tourner la page et au début c’est douloureux, ce magasin la représentait vraiment et maintenant, on a remis nos meubles donc les gens arrivent à s’y retrouver, mais…

La Vieille Charité était fermée, le quartier était pas connu, nous non plus, elle était enceinte, donc elle a fait faillite la première année, en plein Pâques ! Après, mon grand-père a recréé la société, d’ailleurs ça s’appelait la Petite Chocolatière puisque j’étais la petite chocolatière. Après son décès ils ont refait faillite en 92, enfin ç’a été assez tumultueux mais dans les années 80, c’était un peu différent, et le travail payait, donc elle regardait pas les heures. Elle avait besoin de ça, aussi, elle est repartie à zéro à quarante ans, donc elle a construit ça et on continue petit à petit. L’artisanat c’est beaucoup de travail, il faut aimer ça et avoir envie, sinon… Il y a vingt-cinq ans, le quartier était heu… très mauvaise réputation - faut dire que le Panier abritait les bandits les plus connus, les bandits corses, donc c’était assez mal famé - donc ma mère a commencé avec du porte à porte, elle a fait beaucoup de comités, elle s’est fait connaître petit à petit et on a réussi à avoir une clientèle plutôt de la haute société de Marseille qui venaient agrippées à leur sac.

À l’heure actuelle, on a une clientèle qui préfère manger un peu moins de chocolat mais de qualité, donc classe moyenne plus ou moins riche, parce qu’on travaille pas avec la clientèle du quartier, on est quand même un produit à 45 € le kilo. Jusqu’à y’a quelques années, ça s’est beaucoup défavorisé, maintenant y’a de plus en plus de Parisiens : l’immobilier a augmenté donc y’a des gens qui ont plus de moyens et l’ancienne génération, ils nous emmènent leurs enfants. À la rue Vacon, on a une clientèle plus BCBG du centre, on a le septième, mais les gens viennent vraiment de partout. Ici c’est beaucoup plus touristique : des gens d’Aix, de Cassis, d’Aubagne, des alentours, une clientèle qui nous connaît, venue en voyage, qui nous demande des produits, parfois on leur envoie en Colissimo. Et on ouvre le troisième en septembre, pour recréer cette communication avec la clientèle parce que depuis le décès de ma grand-mère, on était plutôt cantonnées dans la fabrication. Dans les points de vente, les gens disent aux vendeuses s’y z’aiment ou pas, mais c’est traduit par une personne intermédiaire, les réactions sont pas directes et ça nous manque. À la rue Neuve, on veut reformer une fabrication avec notre magasin pour être en contact direct avec nos clients, qu’ils nous ramènent leurs trucs un peu insolites et qu’on essaye de recréer comme on a pu créer le chocolat au raz el hanout parce qu’on a fait goûter à deux, trois clients qui passaient dire bonjour, comme ça ils nous disent si y’a trop de ci, de là, et on a pu faire nos dosages.

Mi : Y’a de plus en plus de demande. Moi je fermais six, sept mois au début, je travaillais que pour Noël et Pâques. Et l’œuf fait industriellement, il a trois ou quatre mois de fabrication, ç’a pas la même saveur, et les clients ont commencé à me dire : « J’ai pas pu manger un morceau d’œuf, faites-moi une barre !  » Jamais j’aurais cru que je vendrais du chocolat toute l’année !
Ma : C’est le bouche à oreille. On a jamais fait de publicité, on a eu la chance d’avoir beaucoup de médiatisation à la télé : la BBC, la Rai Uno, les télés australiennes et dernièrement Discovery Channel. On touche de plus en plus de gens aussi via Internet. Quand on a des sujets de Marseille, souvent on est nommées, la plupart des guides on y est. Là, y’a l’association des vingt commerces qui est en train de se faire, ces beaux commerces comme la Maison Empereur, Gatimel, le Four des Navettes, ce sont de vieux commerces qui font partie de Marseille. On fait pas spécialement d’efforts pour se faire connaître, ça vient tout seul parce que y’a aussi un retour au naturel. C’est l’époque, l’environnement devient important, donc les gens recherchent des choses plus anciennes, authentiques. On en fait partie, donc y’a une espèce de ressort, ça repart.

Mi : Le plus d’activité, c’est Noël. Pâques c’est l’enfant, on achète un œuf, mais on fait pas énormément de cadeaux tandis que Noël c’est les adultes, y’a les cadeaux d’entreprise, et beaucoup de gens font plus de cadeaux.
Ma : Beaucoup de clients me prennent facilement 20 € tous les dix jours, 500 grammes, hè. Et des habitués prennent leur kilo toutes les semaines !
Mi : Cinq tonnes dans l’année, on est pas des gros… Une moyenne, une famille de quatre personnes mange 60-70 grammes par jour, ils finissent la semaine, ils leur en manquent ! C’est pas le bout du monde, hè. Beaucoup ont compris que ça fait du bien et en mangent régulièrement. D’ailleurs, on vend 80 % de noir.

K : Vous diversifiez-vous dans la vente ?
Ma : On a essayé mais dès qu’on essaye de vendre un produit qu’on fait pas nous, ça marche pas : y’a que le chocolat qu’on fait. Et plus il est artisanal… Chez les autres chocolatiers, on veut les petits chocolats bien faits qui sortent de la machine, moi j’ai une machine, hè, je peux les faire pareils, ils vont croire que c’est pas nous qui les faisons et ils les veulent pas ! Des fois, du chocolat coule de la machine, il sèche et ça fait des petits tas. En général on refond, et puis on trouvait que c’était un peu sympa, on l’a mené au magasin, au départ pour la décoration. Eh bè ils l’achetaient !

K : Pourquoi le bon chocolat est-il considéré comme un produit de luxe ?
Ma : Parce que la main d’œuvre est très chère, on fait tout à la main, on met des produits de qualité. Les fruits confits c’est cher, les amandes, dans les quartiers chinois, vous les payez pas cher mais c’est pas bon : nous on choisit toujours les amandes de Provence, les noisettes du Piémont. Pareil pour les fèves, ça va de la matière première à ce qu’on met dans nos produits : nos fruits confits à l’orange ont le goût de l’orange, pas juste juste l’aspect, le melon c’est vraiment du melon. Et une fois qu’il est fabriqué, il faut le plier, le vendre, à Noël et Pâques on est plus de quinze salariés. On est obligées d’avoir un certain prix, sans parler de la TVA et cetera. On essaye d’être sous les prix des concurrents, beaucoup sont à 60-70 mais, c’est très cher, les ballotins, les décos : quand y’a un ballotin en velours, ils sont obligés de facturer leurs produits plus chers.
Mi : Et là les gens ont compris qu’y payent pas tout cet emballage qui sert à rien. On a simplifié : un cornet en cellophane alimentaire, des nœuds, suivant la mode, hè : il fut un temps c’était brillant, maintenant c’est le raphia.

Ma : On fait goûter aux gens, et dès qu’on a un autre point de vente on fait des dégustations. Ma mère s’est fait une réputation grâce aux cadeaux aux clients, à la personnalisation : elle s’investissait, elle a toujours innové et il lui est arrivé de faire des fondues sur la placette, j’ai des clientes qui nous en parlent encore ! Après elle avait plus le temps, mais on fait pas payer les visites, parce qu’on veut garder la possibilité, même ceux qui ont moins de moyens, de goûter un peu. Les gamins qui sont venus d’un quartier défavorisé, si je fais 2 ou 3 €, ils vont pas pouvoir. On a quand même des récompenses : à Noël, des clients m’amènent de la soupe fraîche, le foie gras, le pain fait maison, les figues du jardin, c’est vraiment un échange. Ma grand-mère, elle connaissait tous ses clients, la plupart c’était devenu des amis donc c’est normal qu’on fasse la dégustation, et on leur fait des petits cadeaux quand on les voit revenir. On peut plus en faire autant, au niveau du fisc, tant de kilos achetés, tant de kilos vendus, c’est difficile à prouver quand on fait la dégustation, on est obligé de tenir des fichiers draconiens. On fait quand même encore, ça fait partie du folklore, les gens ont besoin de ça, et puis ça nous aide à progresser !

K : Quelle est votre plus belle réussite ?
Mi : La satisfaction des clients quand ils nous disent : « Merci de nous régaler comme ça !  »
Ma : Y’a tellement de spécialités que y’en a pas une qu’on préfère. On serait tentées de dire le couscous, mais dans quelques mois ce sera autre chose, avant c’était le fenouil…
Mi : C’est toujours la dernière, et quand on en fait une autre on oublie, on est infidèles, pour nos amours de chocolat.

K : Que vous évoque le mot « chocolat » ?
Ma : Mais nous, c’est un peu tout, parce qu’on vit dedans… Y’a un truc marrant, chaque fois qu’y viennent y’en a : « Qu’est-ce-qu’il y a de nouveau, cette semaine ? » On peut pas faire des nouveautés toutes les semaines, hè. « Ah ! je dis, aujourd’hui y’a au couscous. » Alors ça, ça m’amuse beaucoup parce que j’en ai même un qui a senti les graines alors qu’y en a pas, c’était croustillant, voilà !
Mi : De la magie parce que le chocolat, ça fait… Les gens rentrent avec le sourire, avec envie, ça se reflète sur leur visage et déjà, ça, je dis : « C’est gagné ! » Et on joue là-dessus : on leur offre dès qu’ils rentrent une dégustation, donc on a toute la journée cette satisfaction de gens qui rentrent avec bonne humeur dans notre magasin.

Propos recueillis par M-J Flandin le 26/07/07 ; rédaction : Odile Fourmillier ; image : Anne Muratore.

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