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Le doigt magique de Bénédicte - Au travail ! - L'enfance de l'art - La revue du témoignage urbain

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Le doigt magique de Bénédicte

« C’est fou, parce que quand on regarde un miroir, on se dit : "Mais… qui l’a touché ? Qui s’est regardé dedans ? Qu’est-ce qu’il a vécu ?…" Et j’ai choisi ce métier complètement par hasard, mais j’aimais beaucoup les antiquités et les choses anciennes, donc en fait ça m’a… ça m’a un petit peu développé cette voie. » Bénédicte Streit, 36 ans, doreuse sur bois à l’atelier "Il Dito Magico" de la rue Consolat.


Le doigt magique de Bénédicte
 Le doigt magique de Bénédicte

Koinai : Avez-vous suivi une formation ?
Oui, en Italie, chez un artisan, pendant quatre ans à peu près, et donc je travaillais d’atelier en atelier de façon à apprendre mon travail sur le tas, quoi ; je suis complètement autodidacte. Mais si j’avais fait une école, j’aurais gagné dix ans, mais bon, là je suis autodidacte et je me suis éclatée… J’ai voyagé, j’ai rencontré des gens intéressants, c’était super, c’est un parcours qui est sympa, quoi.

K : Qu’est-ce qui vous amène en Italie ?
J’ai rencontré ce monsieur italien qui était en vacances, et qui était antiquaire. On a eu une interview, d’ailleurs, dans le village, parce que y’avait un festival du cheval arabe et on était les deux seuls étrangers, donc on a été interviewés ensemble, on a sympathisé. Et donc il m’a dit : "Mais Bénédicte, s’il te reste un peu de vacances viens me voir à Rome, je te présenterai des amis et tout." Puis, c’est ce que j’ai fait et puis j’y suis restée ! J’ai tout plaqué et je suis restée là-bas. J’ai commencé, j’ai fait un peu du ménage, tout ça, à droite à gauche, parce qu’il fallait quand même manger, quoi, c’était comme ça, et j’ai appris l’italien parce que je parlais pas du tout italien. Et de là, après, il m’ a fait commencer à bosser chez des amis à lui qui étaient restaurateurs, et puis de fil en aiguille, après j’ai gravi les étapes comme ça, quoi…

K : Quelle était votre toute première réalisation et pour qui ?
Ah ! Ça c’est pointu. Ma première réalisation, c’était un pied de chandelier pour mon ami Fabio, en Italie, donc ça été un… qui était sympa, qui était fait à la feuille de cuivre, d’ailleurs, donc pas du tout à l’or, et puis de là il avait adoré et c’est lui qui m’avait justement mis dans la voie en me disant que j’avais un don, je pense.

K : Quelles qualités une doreuse sur bois doit-elle posséder ?
C’est… Il faut de la patience, déjà, il faut avoir un petit peu quand même le goût de… enfin même, être manuel. Voilà, le sens de l’esthétique et puis bon, le sens des couleurs. Et puis surtout être manuel, parce que c’est le B-A BA.

K : Depuis combien de temps exercez-vous ?
Ça fait quinze ans maintenant.

K : Inutile de vous demander si vous aimez votre activité ?
Ah non, j’adore ! (rire)

K : Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je dois avoir une muse ! Ma source d’inspiration, heu… c’est l’humeur générale, je crois, parce que quand ça va pas, y’a rien qui va : pour faire un faux marbre, je mets trois jours au lieu de mettre dix minutes. En fait il faut vraiment bien être dans ses baskets pour arriver à sortir du bon boulot, mais sinon, vu qu’il y a toujours plus ou moins une ambiance sympa, on arrive à faire des bonnes journées de travail.

K : Avez-vous des modèles ?
Oui, quand on nous demande de faire des copies de meubles ou de miroirs avec des patines spéciales, on a des modèles sur des livres.

K : Quelle est votre plus belle réussite ?
Le Casino de Nice, le Palais de la Méditerranée, on a fait tout le hall d’entrée du casino à la feuille d’or avec des palmeraies reconstituées en grandeur nature, tout à la feuille d’or. Ça nous a pris à peu près deux mois… C’était somptueux.

K : Quel a été votre plus gros ratage ou votre plus grande déception ?
Mon plus gros ratage, oh ! J’ai dû en faire… Non, ma déception, j’ai jamais eu de retour de clients, donc ça prouve que quelque part, y sont contents. Mais des ratages, je sais pas, j’ai pas eu de… J’ai dû en faire certainement mais, non, ça m’a pas marquée, rien de catastrophique.

K : Même à vos débuts ?
Non, au début j’ai dû… Même pas, parce que c’est tellement amené doucement, doucement, que c’est pas… On nous confie pas un objet XVIIIe tout de suite, donc on n’a pas trop le temps de se lourder sur le résultat.

K : Avec quelle matière aimez-vous travailler ?
Moi, j’aime bien la peinture, mais sinon, tout ce qui a trait avec… Moi, tant que ça touche le manuel, j’aime toutes les matières.

K : Ce sont des peintures acryliques ?
On utilise de la peinture acrylique, mais surtout de la peinture à la colle de peau. C’est de la peinture avec de la colle de peau de lapin, blanc-meudon et pigment naturel, donc on passe… et qui imite, en fait, les peintures anciennes.

K : Quels sont outils de travail ?
Les pinceaux, gouges [1], qu’est-ce qu’on utilise beaucoup ?… Des ciseaux à bois... On utilise tout ce qui est en rapport avec le bois, quoi, en fait.

K : Quels produits utilisez-vous ?
Avant tout, de la feuille d’or ! Ça, c’est notre activité première. Sinon, beaucoup de matière animale, minérale, en fait des matières anciennes, parce que c’est un métier où on est obligé d’utiliser des matériaux anciens. Ils ont pas trouvé d’équivalent dans le moderne, donc on est obligé de recommencer les techniques anciennes, la colle de peau de lapin, du blanc-meudon, des produits comme ça.

K : Trouvez-vous ces matériaux facilement ?
De plus en plus rare, de plus en plus difficile parce que la colle de peau de lapin était distribuée avant en plaque, maintenant c’est interdit avec les nouvelles normes européennes donc on trouve plus. Ça a pas les mêmes propriétés, ça devient un peu difficile.

K : Quelles sont les différentes étapes réalisées jusqu’à la finition d’une pièce ?
Oh !… Une vingtaine, peut-être. On attaque déjà par le travail du bois et du support pour finir par la dorure et la patine. Donc, dans tout ça, y’a tout le travail d’ébénisterie, de collage, tout ce qui est traitement du bois contre les insectes, consolidation etc. Et ensuite, y’a toutes les préparations de la dorure qui est quand même très difficile parce que pour atteindre un support très très lisse, y’a beaucoup beaucoup de préparation.

K : Combien de temps ce travail vous prend-il ?
Pour un objet c’est pas évident, ça dépend de la grandeur. Bon, pour une petite glace on va dire de trente, quarante, si elle va être bien faite, si y’a pas mal de restauration, quoi que ce soit, y faut compter quand même deux jours. Oui, tout confondu, quoi, sans compter les temps de séchage et le … Si vous mettez le temps de travail bout à bout, oui deux jours, sur des petites glaces.

K : Et pour un grand miroir ?
Ah ! Ca peut aller… Moi j’ai eu un miroir d’un musée à Vitrolles, j’ai mis à peu près six mois pour le faire. On mettait du produit pour consolider, fallait que ça sèche, que ça s’évapore, il fallait en remettre, ç’a été très long, donc ça dépend.

K : Travaillez-vous en équipe ?
Oui, tout le temps. On est trois, après pour les chantiers un peu plus conséquents, ça nous est arrivé d’être plus, quoi, mais bon, généralement on est trois.

K : Quel est le modèle le plus demandé ?
Le cadre Louis-Philippe, ça on en fait à la pelle, et sinon tout ce qui est cadre provençal, plus ou moins. Dans la région, on en a beaucoup, les miroirs Louis XV provençal, ça y en a pas mal. C’est les cadres, en fait, un peu arrondis à hauteur, sur la partie supérieure, ça c’est Napoléon III. Voilà, tout ce qui est Napoléon III, on en a beaucoup.

K : Quel type de clientèle rencontrez-vous ?
Des particuliers, donc des gens, heu… complètement normaux, disons plutôt âgés, c’est pas des gens qui sont d’une majorité jeune. Sinon après, les collectivités et puis bon, les musées. Enfin, tout ce qui a trait un petit peu avec les antiquités, quoi, beaucoup d’antiquaires, mais les antiquaires, bon, il faut travailler vite, des fois t’es obligé de bâcler le travail pour arriver à une certaine rentabilité. Donc, bon, c’est pas forcément très intéressant non plus… Plutôt le particulier, puis bon, les collectivités, mais c’est des appels d’offre, donc c’est du travail de fond qui se fait généralement sur six mois, un an, donc y faut pas s’arrêter de bosser, quoi.

K : Quelles relations entretenez-vous avec vos clients ?
Bonnes ! Non, les gens sont très contents d’amener leur… à restaurer, donc en fait, on n’a pas d’esclandre, on n’a pas de… C’est comme s’ils vous portaient un bébé, quoi, en fait, donc ils sont confiants, gentils. Et quand ils viennent me voir c’est comme si vous aviez fait revivre quelque chose qui leur appartenait et donc, ils sont, heu… Vous faites revivre le miroir de la grand-mère qui est resté pendant dix ans dans le grenier, quelque part ça leur fait rejaillir une petite source de… Ça leur plaît, quoi.

K : Il y a un côté affectif ?
Tout à fait. Ils sont très, très attachés à ça. Bon, les collectivités c’est que des budgets, donc à la limite, ça, y’a aucun rapport, c’est du travail, produire du boulot, mais les personnes, les particuliers, c’est assez sympa comme rapport.

K : Parvenez-vous à fidéliser votre clientèle ?
Oui, oui tout le temps. J’en ai, ils emmènent une bricole, ils vont… Enfin j’ai toujours de bons rapports, et puis ils passent même s’ils ont rien, y viennent voir ce qui se passe, donc ils sont… Non mais, bon, l’endroit leur plaît, c’est pas un endroit fermé, quoi. On les aide, on écoute… Je voulais redonner un petit peu ce côté que j’avais eu en Italie, où on m’a vraiment ouvert beaucoup de portes, parce que bon, à Marseille, quand je suis arrivée d’Italie, ç’a été une catastrophe, les gens m’ont fermé toutes les portes et m’en on fait pleurer, tellement qu’ils étaient odieux. Donc, bon, je prends un peu ma revanche quinze ans après et je suis contente que les gens rentrent, aient envie de revenir, surtout, donc c’est vrai que ça fait plaisir.

K : Quelle est la période la plus fructueuse ?
C’est l’été. Ouais, j’ai toujours très bien travaillé l’été, parce que les gens sont en vacances, ils ont le temps de s’occuper de leur maison. Et la période la moins fructueuse, ça serait plutôt entre décembre et février. Et après, tout le printemps et l’été, c’est à croire que les gens ont envie de renouveler, de réparer leurs objets, c’est là où ça marche, ça marche bien.

K : Quelles sont les contraintes liées à votre activité ?
Les contraintes, c’est… comment dirais-je, l’instabilité parce que bon, on n’est jamais sûr du travail qu’on peut avoir. On a des commandes mais c’est jamais sur six mois d’avance, si ce n’est qu’il faudrait travailler avec l’Etat en permanence. Et puis sinon, il n’y a pas trop de contraintes.

K : Avez-vous participé à des concours ou à des expositions ?
Expositions, oui, mais ça apporte pas grand-chose. Pour le Conseil Général on avait fait Artisans 13, heu… exposition, au musée de Château-Gombert pour l’artisanat local, heu… oui, quelques expositions à Marseille, c’est beaucoup de travail pour… pas grand-chose.

K : Avez-vous une anecdote qui vous revient à l’esprit ?
Oui, un jour on m’a fait patiner une armoire peinte, enfin une peinture à la colle ancienne ; la personne pour qui je l’ai restaurée l’a vendue et la personne qui l’a achetée me l’a ramenée pour la restaurer… (rires) C’est assez comique !

K : Que voyez-vous dans vos miroirs ?
Bè, ce qui s’y passe, surtout dans les tableaux, quoi. On a envie de rentrer dedans et de savoir ce qui se passe de l’autre côté et dans les miroirs souvent, ça parle, quoi. Quand on a un objet du XVIIIe siècle, il s’en est passé des choses ! Y’a pu avoir des belles femmes qui se sont regardées dedans, des mauvaises, des… Ç’a pu être mis par terre, ça a entendu des disputes… Ça a vu des tas de choses, quoi, donc c’est vrai, ça a une âme, et même dans les meubles c’est pareil, tout ce qui a été mis dedans, tout ce qui a… ça parle ! Et si on arrive à s’intéresser au-delà de de la restauration, c’est vrai que quand on voit un truc comme ça, c’est pas grand-chose, c’est un mauvais miroir Napoléon III, mais y’a autre chose, c’est peut-être un cadeau de mariage qui a été offert, enfin, il faut arriver à se… Ç’a une âme, quoi, en fait, les objets anciens. C’est ce qui change des meubles Ikéa, quoi, en fait, parce que tous ces meubles neufs, de designer, ça a pas de vie, quoi, c’est pas… Mais c’est vrai que c’est sympa, quoi.

K : D’où vient le nom de votre atelier ?
Le nom de l’atelier est italien en hommage, justement, à la personne qui m’a appris. Parce que je me servais beaucoup des doigts, donc il se moquait de moi, il me disait : "Ma ! Il dito magico ! " Je me servais toujours de mon doigt et du coup, j’ai voulu faire un clin d’œil, parce que si j’en suis là, c’est un peu grâce à lui. Donc voilà, c’est pour ça que je l’ai appelé comme ça…

Propos recueillis par Marie-José Flandin le 14/06/07 ; rédaction : Odile Fourmillier.

Notes

[1Gouge : outil creusé en canal, à bout tranchant et courbe, utilisé en sculpture, en gravure et en menuiserie.

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