« Au départ, moi j’ai toujours eu un goût prononcé pour la lecture, j’ai toujours adoré ça. Nous sommes issus d’une famille qui lit beaucoup, qui discrètement bibliotine. Donc, bon, y’a toujours eu l’occasion d’acheter des bouquins en vente publique. À l’époque c’était très abordable, des choses très intéressantes qui, aujourd’hui, coûtent des sommes folles ; du coup, pour acheter des livres que je désirais conserver, je revendais ce qui m’intéressait moins. Donc, j’ai fait ma bibliothèque personnelle comme ça et après je me suis dit : « Pourquoi pas passer le pas et devenir marchand ? » Xavier Zimmer, 47 ans, libraire-expert.
Koinai : Depuis combien de temps êtes-vous dans la profession ?
Une trentaine d’années.
K : Ce n’était pas une vocation ?
Ah, pas du tout. Non non non. Ah non, j’adore les livres, j’adore les lire, mais de là à adorer les vendre non, au départ non.
K : Comment avez-vous appris le métier ?
Y’a pas de formation particulière, bon, à part pour ceux qui veulent être bibliothécaires, y’a l’école des Chartes, qui forme les bibliothécaires. Mais pour les libraires, non. De la même manière qu’un antiquaire ou un brocanteur se forme bien souvent sur le tas ou en fréquentant les professionnels ou les hôtels de vente, de la même manière l’expertise c’est pareil. On devient expert et… quand on est reconnu par ses pairs.
K : En quoi consiste votre activité d’expertise ?
Ah ! Ben ça, c’est,comment dire… l’expertise, ça permet d’éclairer les gens sur ce qu’ils possèdent. Alors, de manière générale, ça s’accompagne de transactions, très souvent. Ceci dit, moi j’ai beaucoup de plaisir quand les gens viennent, une vieille dame m’amène un bouquin qu’y z’ont depuis une décennie dans la famille, elle me dit : « Qu’est-ce que vous en pensez ? » Bon, même si elle veut pas le vendre, je suis content, toujours, de voir des beaux livres. Voilà, et comme c’est un service que je ne fais pas payer parce qu’y a aucune raison, sauf si on me demande de faire une expertise pour une bibliothèque ou une assurance, bon, auquel cas je demanderai de payer les actes d’expert mais sinon non, c’est gratuit. Et c’est très plaisant de voir des livres.
K : Quelles sont les compétences nécessaires à votre profession ?
Ah, y faut être curieux de tout, voilà. Y faut ouvrir ses oreilles, y faut écouter et regarder, y faut être curieux. Parce que sinon, y’a des puits de science qui débarquent dans le commerce, on est bien obligé d’expliquer un peu ce qu’on vend et ce qu’y a dans les livres, malgré… (rires) qu’y z’en sachent quatorze milliards fois plus que nous, mais on apprend et après on ressort aux autres hein, ouais.
K : Quelles sont les contraintes de votre activité ?
Les contraintes, ben c’est le prix. Moi, la plus grosse contrainte, c’est le prix des livres. Oui, parce qu’un marchand de livres anciens, donc un livre un peu intéressant, c’est de suite plusieurs centaines ou plusieurs milliers d’euros, de suite. Donc, y faut avoir les moyens pour les acheter et sans aucune garantie de les vendre.
K : Quel aspect du métier préférez-vous ?
Ah ben, c’est qu’on rencontre des puits de science, voilà ; c’est qu’on rencontre des gens qu’on rencontre jamais ou qu’on croise, hein, on sait pas ce que c’est, mais là forcément ils parlent un peu de leur passion, de leur métier, de leurs livres, de leur vie et donc ça, c’est intéressant. Sinon ces gens, on les croise dans la rue, on peut croiser des prix Nobel, je sais pas, hein, mais on parle pas avec eux. Que là, ben du coup on a une passion commune, donc on parle la même langue et donc les échanges sont très sympas.
K : Et qu’aimez-vous le moins ?
Ben, le moins c’est que… c’est toujours pareil, c’est que le prix des choses est tellement élevé que ça limite forcément. Y’a des gens qui sont sûrement très intéressants mais qui ont pas les moyens d’acheter et donc, on les rencontre pas.
K : Quelles satisfactions vous apporte votre activité ?
Ah ben, c’est la chasse. C’est un peu comme si… oui, on est un peu des chasseurs, hein. Un chasseur qui va tirer un gibier rare ou quelque chose qu’y cherche depuis longtemps, ben nous c’est pareil : moi, ma satisfaction c’est quand je traque le bouquin qui me manque ou que je veux, dont je connais l’existence et je sais qu’il est dans mes moyens parce que y’a des choses… la bible de Gutenberg, je pourrai jamais me l’offrir, ça c’est bien évident, quand bien même y’en aurait une sur le marché, c’est pas possible. Mais y’a des choses que je suis content de trouver, et je suis content quand quelqu’un me demande quelque chose et que je lui trouve, voilà.
K : Quels sont vos domaines de prédilection ?
La littérature ; c’est quand même la littérature. Ceci étant dit, tous les livres, à partir du moment où y sont majeurs dans leur spécialité, y m’intéressent. Ça peut être un livre sur la culture des huîtres dans le bassin d’Arcachon, si c’est le meilleur bouquin sur le sujet, y va m’intéresser, voilà.
K : Quels critères retenez-vous pour acheter un livre ?
Sa rareté. Sa rareté parce que je n’ai pas une grosse surface, je suis pas la FNAC donc, "Iris de Suze" de Jean Giono en collection blanche chez Gallimard ne m’intéresse pas, malgré que ce soit un grand texte. Par contre, si c’est un exemplaire d’une édition originale, hein, des… je sais pas, je vais vous dire un chiffre au hasard, hein, les cinquante exemplaires sur Japon signés par Jean Giono et donnés par Jean Giono à Jean Ballard, par exemple, là oui, de suite c’est bien, quoi.
K : A contrario, quels livres ne voudriez-vous pas vendre ou acheter ?
Ben, tous les livres… Non, tous les livres sont respectables, hein. Maintenant, bon, des cochonneries y’en a, hein…y’en a peu. Mais y’a certains livres politiques d’extrême… que je refuse de voir. Y’a des livres que des gens refusent d’avoir, que j’ai, que je n’expose pas parce que je ne veux pas faire de provocation, mais je choisis les gens à qui je vais les vendre. Je pense en particulier à « Suicide, le mode d’emploi », je pense à « Mein Kampf », je pense à… « Les Protocoles des Sages de Sion », les textes anti-sémite de Céline. Tout ça, je les ai, je ne les expose pas, parce que je ne veux pas provoquer les gens et je choisis à qui je les vends. Je les vendrai à un chercheur, un universitaire, à… un bibliophile, pourquoi pas, qui va augmenter sa bibliothèque, mais à un petit facho, non, il n’en est pas question.
K : Comment vous renouvelez-vous ?
Ben, principalement c’est à l’hôtel des ventes ou c’est les particuliers, lors de successions, de divorces, d’événements malheureusement toujours un peu tristes, qui se séparent de leur bibliothèque, quoi.
K : Quels types de livres vendez-vous le plus ?
C’est vraiment très variable. Disons que bon, les livres importants sur la Provence, bon, à Marseille on en vend pas mal, j’en vends un certain nombre. La littérature provençale, ben tout ce qui est en provençal, les Roumanilles, les… comment ça s’appelle ? Les Aubanel, bon, ça on en vend beaucoup. Les Historiques de Provence, qu’y soient faits récemment ou qu’y soient très vieux comme les ouvrages de l’abbé Papon ou le Villeneuve, ce sont des bouquins qui sont très chers. Mais ça, de manière générale c’est des bibliothèques qui se les offrent, hein, c’est rarement des particuliers parce que c’est excessivement cher.
K : À quelle période avez-vous le plus d’activité ?
Bof, c’est assez linéaire, hein, toute l’année. Traditionnellement les gens disent : « Ah, les mois d’été, les gens sont en vacances, Marseille c’est mort. » C’est pas vrai ; traditionnellement parlant, juillet-août sont pas des mauvais mois. Y’a quelques touristes qui passent, y’a des gens qui sont à Marseille, qui du coup sont pas partis en vacances, ben, se disent : « Tiens, comme je suis pas parti en vacances, je vais m’offrir un truc qui me fait plaisir », donc c’est pas de mauvais mois. Et paradoxalement, les périodes de fêtes ne sont pas particulièrement… Parce que c’est très délicat de trouver un livre qui est l’occasion par définition, hein.
K : Quelle est votre clientèle ?
Euh… ben c’est un peu tout, un peu toutes les catégories sociales. Ceci dit, j’en reviens toujours à la même chose : ça demande des efforts, hein, des efforts financiers. La bibliophilie c’est un sport de prince, hein, donc y faut avoir de l’argent. Alors, ceci dit, ceux qui ont des revenus plus modestes, bon y’a des facilités de paiement, y’a des échanges, y’a des reprises, on se débrouille toujours à ce que les gens qui ont envie de quelque chose, y puissent l’acquérir sans les étrangler, voilà.
K : Des relations privilégiées se créent-elles avec certains clients ?
Oui, ah oui oui oui ! Ben, y’a beaucoup de clients qui sont devenus des amis, hein, par le biais de la librairie… Alors là, on… on parle la même langue, hein, on se trouve des affinités et puis c’est un peu, comment dire… c’est pas une rencontre amoureuse, mais enfin autour du livre ça rapproche quand même les gens, quoi. Ah ben, c’est très important, oui. Oui parce que sinon, maintenant, vous voyez, on vend énormément de choses par Minitel parce que la clientèle internationale, bon, on la touche grâce à ça. Alors, mais c’est un peu dommage parce que on passe des fois des dizaines d’années pour trouver le bouquin qui va bien, et clac ! Arrive un gros marchand américain avec son chéquier, on sait même pas d’où y sort, y vous le commande et… et voilà.
K : La clientèle a-t-elle évolué ces dernières années ?
Eh ! Malheureusement non. Pas assez, pas assez, non non ; une clientèle vieillissante, de notables, hein, mais qui vieillissent, et… le renouvellement n’est pas, euh… y’a pas un un jeune client qui va remplacer un vieux, hein. On va perdre quatre vieux ou cinq clients pour un jeune.
K : Et selon vous, peut-on dire que les gens lisent moins ?
Ah, ils lisent beaucoup moins, oui.
K : Êtes-vous en relation avec d’autres libraires ?
Oui, oui, sans cesse, sans cesse, quotidiennement, oui. Oui oui, on échange des informations au sujet des livres, au sujet des clients, au sujet du marché. Et puis on travaille beaucoup, beaucoup ensemble, c’est-à-dire que… moi j’ai un type de clientèle, donc certains types de livres qui vont se retrouver chez quelqu’un qui n’a pas ce type de clientèle, je vais lui acheter et vice versa.
K : Votre activité est-elle en expansion ou en diminution ?
En diminution, en diminution, oui oui, en diminution de façon très sensible. Ceci étant dit, y’a toujours des clients pour les très belles choses, voilà, mais ça devient très difficile, les livres moyens se vendent très difficilement.
K : Quel est l’impact de la vente de livres sur Internet ?
Ah ben, c’est en train de tuer les boutiques, tout simplement, euh… D’abord les gens qui nous amenaient les livres avant, bon ben, y vont sur les sites de ventes aux enchères, genre Ebay et puis y les vendent eux-mêmes, ça leur… Et puis c’est un passe-temps plutôt rigolo, ça les amuse, y voient : "Tiens", et puis les prix montent, bon, et je peux les comprendre, hein, euh… Mais, mais d’un autre côté, le moindre livre… moi y’a des livres, je… pff… que je pensais être le seul à avoir, eh ben quand on se branche sur Internet, on s’aperçoit que tous les livres que j’ai, quasiment, on les trouve sur Internet, quoi, et parfois moins chers.
K : Et comment vous adaptez-vous à ce phénomène ?
Eh ben, je suis aussi sur Internet, hein. Mon catalogue est en ligne, oui oui. Je suis d’ailleurs le premier en France, hein, à avoir mis un catalogue en ligne ! À l’époque, c’était le minitel. cazitel.com c’est mon site à moi, et après je fais des exports sur les sites généralistes genre Livre-Artbook ou AbeBook où là nous sommes des dizaines de libraires, mais j’ai mon site à part aussi, où tous les livres sont photographiés.
K : La librairie vous permet-elle de vivre correctement ?
Je suis infirmier aussi à côté. Oui, parce que c’est un métier qui nourrit pas son homme, hein. Ah ! Non, pas du tout. Non, c’est une danseuse. Quelqu’un qui veut se monter aujourd’hui, il n’y arriverait pas. Ça lui coûterait même en argent pour un revenu qui serait assez faible, donc c’est un métier qui va disparaître, donc ça restera entre quelques grands marchands parisiens ou étrangers et puis voilà, hein.
K : Avez-vous en mémoire une anecdote liée à votre activité ?
Mais des anecdotes, cher monsieur, y’en a tout un tas, c’est sans cesse, c’est sans cesse ! Enfin moi, celle qui m’a touché le plus de près, si vous vous voulez, c’est que y’a une trentaine d’années en arrière - non, peut-être pas tant, vingt-cinq ans - euh… j’avais acheté dans un hôtel des ventes qui n’existe plus, qui était à côté d’ici, là, rue… je me rappelle plus, enfin un peu plus loin et, euh… j’avais acheté un livre avec ma fiancée de l’époque et on était contents d’avoir ce livre, bon. Et puis, y’a quelques années j’ai été rattrapé par les impôts parce que j’étais parti un an à l’étranger sans payer d’impôts, que quand je suis revenu, y m’attendaient. Donc j’ai dû vendre ma bibliothèque, j’ai vendu tous mes livres et - je me suis séparé bien sûr de la fille en question - et ce livre est parti avec ma bibliothèque, bon, je l’ai vendu et j’ai toujours regretté ce livre, toujours. Je dis : « Merde, c’était un souvenir de quelqu’un que j’avais aimé », euh… Et un jour, y’a deux ans de ça en arrière, je vais au Cours Julien et clac ! A dix mètres, qu’est-ce que je vois dans les rayons d’un bouquiniste qui vendait sur le marché ? Çui-là, ce livre-là, celui que j’avais acheté avec mon amie de l’époque ! Alors du coup je l’ai acheté, bien sûr, et je l’ai remis chez moi et maintenant je le vendrai plus (rires).
K : D’où vient le nom de votre magasin ?
Ah ! Alors là, ç’a été une prise de tête terrible, on a travaillé à plusieurs pendant des jours et des jours et en fait, c’est une copine qui… « Tiré à part », en fait c’est un terme de bibliophilie qui… comment expliquer ça… un tiré à part c’est une partie d’ouvrage qui a un caractère particulier, soit important, soit anecdotique, donc qui justifie qu’y soit isolé de l’ouvrage général auquel il appartient, et on le propose ainsi. Voilà, par exemple si y’avait un bouquin sur les mollusques et puis qu’on dise : « Tiens - je sais pas moi - la palourde du Frioul, on va faire… », voilà, on sort, si vous vous voulez, la palourde du Frioul et on le tire à part, voilà. Et bon, comme je suis un peu… y’a une espèce de petit jeu de mot à connotation vaguement grivoise aussi, donc ça amusait beaucoup cette amie et je trouvais que ça correspondait bien avec ma grande gueule, donc pourquoi pas, voilà.
K : Et si c’était à refaire ?
Ah je recommencerais, mais beaucoup plus tôt, ouais ouais. Ouais, j’ai perdu du temps.
Propos recueillis par Pierre Defleur le 01/08/07 ; rédaction : Odile Fourmillier.
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